Le 27 septembre 2014, dans l’État du Guerrero au Mexique, 6 jeunes ont Ă©tĂ© tuĂ©s, 25 autres ont Ă©tĂ© blessĂ©s et 43 ont disparu. Ces personnes font partie d’un groupe d’Ă©tudiantes et d’Ă©tudiants de l’École normale rurale RaĂşl Isidro Burgos de Ayotzinapa. Le groupe revenait de la ville d’Iguala oĂą il s’Ă©tait rendu pour amasser des fonds en vue de financer son Ă©cole ainsi qu’une dĂ©lĂ©gation devant se rendre Ă  Mexico pour commĂ©morer le massacre estudiantin de 1968Âą. Ă€ ce jour, les restes d’un seul de ces 43 disparus ont Ă©tĂ© identifiĂ©s et les familles continuent de rĂ©clamer qu’on leur rende leurs enfants vivants².

Cet Ă©vĂ©nement est marquant non seulement parce qu’il fait dĂ©border la coupe sanglante de la violence endĂ©mique qui marque le Mexique depuis de trop nombreuses annĂ©es, mais aussi parce qu’il tĂ©moigne d’une volontĂ© d’Ă©radication d’un mode historique de scolarisation.

Répression contre les étudiantes et étudiants de la Normale rurale Raúl Isidro Burgos de Ayotzinapa

À PROPOS DES 43 ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS DISPARUS

Le 20e siècle des «Normales»
Ă€ la suite de la RĂ©volution mexicaine de 1910-1917, les gouvernements postrĂ©volutionnaires souhaitaient promouvoir la formation civique et nationaliste dans toutes les rĂ©gions du Mexique, jusqu’aux communautĂ©s autochtones les plus Ă©loignĂ©es. Afin de concrĂ©tiser ce projet, les Ă©coles normales rĂ©gionales (escuelas normales regionales) et les Ă©coles centrales agricoles (escuelas centrales agricolas) ont Ă©tĂ© créées au dĂ©but des annĂ©es 1920. Celles-ci devaient rapidement former les enseignantes et enseignants qui, Ă  leur tour, enseigneraient la lecture, l’Ă©criture et de nouvelles techniques agricoles aux populations locales. Ă€ la fin de la dĂ©cennie, les deux Ă©coles fusionnèrent pour former les Ă©coles normales rurales. En 1931, il existait 16 Ă©coles normales pour la formation des maĂ®tres. En dĂ©pit de l’opposition de la bourgeoisie et du clergĂ©, ces Ă©coles se sont multipliĂ©es au cours du mandat du prĂ©sident socialiste Lazaro Cardenas, Parti rĂ©volutionnaire institutionnel (PRI), (1934-1940).

En 1935, les Ă©tudiantes et Ă©tudiants normaliens fondent la FĂ©dĂ©ration des Ă©tudiants paysans socialistes du Mexique (FECSM) qui existe toujours. La FECSM est l’une des associations Ă©tudiantes les plus anciennes du Mexique et toutes les Ă©coles normales en font partie, incluant celle d’Ayotzinapa. Elle se charge non seulement de la formation politique Ă  l’interne, mais aussi de la mobilisation en solidaritĂ© avec les luttes paysannes, ouvrières et syndicales des enseignantes et enseignants. C’est ainsi que les Normales sont un symbole de la dĂ©fense des personnes et des populations marginalisĂ©es de la sociĂ©tĂ© mexicaine. Ces Ă©coles, et particulièrement la Normale d’Ayotzinapa qui est l’une des plus combattives, permettent la formation politique du futur personnel enseignant. Puisque ces jeunes sont originaires des mĂŞmes milieux, leurs relations avec les communautĂ©s sont facilitĂ©es, car ils partagent une mĂŞme rĂ©alitĂ©, parlent parfois la mĂŞme langue, et ils sont habituĂ©s Ă  travailler la terre, etc. En 1968, dans la foulĂ©e de la rĂ©pression du mouvement Ă©tudiant, 15 des 29 Normales ont Ă©tĂ© fermĂ©es. La rĂ©pression des Ă©tudiantes et des Ă©tudiants de ces Ă©coles ne faisait que commencer.

Le 21e siècle du néolibéralisme
La volontĂ© de l’État de faire disparaĂ®tre les Normales ne date pas du 21e siècle. Nombreuses ont Ă©tĂ© les tentatives visant Ă  les Ă©liminer. Les liens qui se tissent entre les groupes Ă©tudiants, enseignants et paysans renforcent le tissu social. Ce sont leurs forces conjuguĂ©es qui, par moments, rĂ©ussissent Ă  faire reculer l’État quant Ă  l’imposition de politiques qui ne bĂ©nĂ©ficient clairement qu’aux Ă©lites nationales et internationales. Plusieurs communautĂ©s qui se sont organisĂ©es contre les projets nĂ©olibĂ©raux, contre la corruption, contre les abus des policiers et des militaires, ont Ă©tĂ© soutenues par des personnes enseignantes et Ă©tudiantes qui ont un esprit combattif. Si les Normales sont dĂ©rangeantes pour le modèle nĂ©olibĂ©ral, c’est, entre autres, parce qu’elles permettent aux gens les plus pauvres d’accĂ©der Ă  une Ă©ducation supĂ©rieure gratuite ou presque.

En 2008, durant le mandat de Felipe Calderon Hinojosa, le Parti Action Nationale (PAN), en accord avec la dirigeante du SNTE (Syndicat national des Travailleurs en Éducation), Elba Esther Gordillo, a annoncĂ© la crĂ©ation de l’Alliance pour la qualitĂ© de l’Ă©ducation (ACE). Cette dernière relaie le discours nĂ©olibĂ©ral en Ă©ducation prĂ´nĂ© par les grandes organisations internationales telles que le FMI, la BM et l’OCDE. Selon cette dernière, les professeures et professeurs sont responsables des problèmes en Ă©ducation. Ceux-ci sont donc Ă©valuĂ©s selon le taux d’Ă©chec de leurs Ă©lèves, sans aucune prise en compte des conditions sociales, Ă©conomiques, culturelles, linguistiques et gĂ©ographiques dans lesquelles ils Ă©voluent. Les enfants sont simplement Ă©valuĂ©s Ă  l’aide d’examens standardisĂ©s et abstraits des principaux problèmes reliĂ©s Ă  l’Ă©ducation.

L’ACE s’oppose notamment aux Normales. Sa prĂ©sidente a dĂ©clarĂ© en 2010: «Il ne faut pas oublier que les Normales rurales sont des terreaux de guĂ©rilleros, si nous ne les fermons pas, ils [les Ă©tudiants] continueront de faire la mĂŞme chose.» L’idĂ©e Ă©tait donc de convertir les Normales en Ă©coles de tourisme afin de rĂ©pondre aux besoins de l’industrie.

Au cours du mandat de l’actuel PrĂ©sident, Enrique Pena Nieto, 23 rĂ©formes structurelles sont planifiĂ©es visant la privatisation du secteur public. L’une d’entre elles est la rĂ©forme Ă©ducative qui, non seulement privatise l’Ă©ducation, mais attaque aussi directement les droits des enseignantes et enseignants mexicains. Face Ă  l’imposition de cette rĂ©forme, tout le secteur Ă©ducatif syndical de la Coordinadora Nacional de Trabajadores de la EducaciĂłn (CNTE) ainsi que les Normales se sont mobilisĂ©s pendant plusieurs mois. De nombreuses rĂ©pressions ont eu lieu durant la pĂ©riode de mobilisation.

Les rĂ©formes structurelles amèneront la paupĂ©risation de la majoritĂ© de la population mexicaine, et la rĂ©pression des opposants Ă  ces rĂ©formes. Le massacre et la disparition forcĂ©e des Ă©tudiantes et Ă©tudiants d’Ayotzinapa n’est pas une situation isolĂ©e. C’est une rĂ©ponse organisĂ©e et planifiĂ©e qui relève d’un terrorisme d’État, qui sème un climat de terreur crĂ©ant des conditions de violence extrĂŞme, afin de dissuader la population de s’organiser politiquement.

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  1. En 1968, annĂ©e des Jeux olympiques au Mexique, le gouvernement de Gustave Diaz Ortaz rĂ©prime le mouvement Ă©tudiant de la ville de Mexico. Le 2 octobre, sur la place de Tlatelolco, l’armĂ©e tire sur le rassemblement laissant des centaines de morts (200 Ă  300 selon les manifestants).
  2. Le 27 janvier 2015, le gouvernement mexicain confirmait la mort des 43 étudiants disparus.

Le comité école et société
On peut contacter le comitĂ© Ă©cole et sociĂ©tĂ© par courriel Ă  l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca