Document de réflexion déposé à la réunion du regroupement des syndicats des établissements privés, le 26 septembre 2008

Lors de la réunion du regroupement privé du 26 septembre dernier, un des points à l’ordre du jour portait sur la mobilisation et sur l’utilité de la grève. En effet, trois des syndicats du regroupement, ceux du Collège Saint-Sacrement, du Séminaire de la Très Sainte-Trinité et de l’école Villa Maria ont déjà pris des votes de grève et, dans le cas de l’école Villa Maria, l’ont même exercée. Il apparaissait approprié, à la coordination du regroupement, de lancer une discussion sur ce sujet, parfois épineux. Caroline Senneville, secrétaire générale de la FNEEQ et responsable politique du regroupement privé, a donc préparé la contribution qui suite

NÉGOCIER

Comme syndicalistes, nous savons que la négociation d’une convention collective est toujours un moment fort important dans la vie d’un syndicat et des personnes qui le composent. C’est là le moment de rassembler les forces des membres du syndicat vers un but commun crucial : améliorer nos conditions de travail!

C’est pourquoi nous préparons minutieusement nos demandes, en consultant nos membres, en identifiant les lacunes, les imprécisions de la convention actuelle, puis que nous mettons tant d’énergie à la négociation proprement dite, en même temps que nous accomplissons, en tout ou en partie, notre tâche d’enseignement.

Mais pour négocier, il ne suffit pas toujours d’argumenter, de raisonner. Il faut aussi démontrer à l’employeur que les gens que nous représentons sont véritablement derrière ces demandes, et que ces dernières n’émanent pas que d’un cercle restreint de syndicalistes extrémistes, mais sont la volonté partagée par celles et ceux qui, chaque jour dans l’école, y travaillent!

APPUYER LA NÉGOCIATION

En un mot, il faut appuyer la négociation par des arguments, bien sûr, mais aussi par des actions. Ce sont ces actions qui démontreront sans aucun doute à la partie patronale que les gens sont unis derrière le comité de négociation et qu’ils ont vraiment à cœur les demandes syndicales.

En jargon syndical, on parle d’exercer un rapport de force. Cette expression fait souvent peur, car certains croient y voir un appel à des actions musclées ou même violentes.

En fait, il n’en est rien. En relations de travail, surtout lors de la négociation, tout le monde reconnaît qu’il y a deux forces en présence : la force patronale et la force syndicale. Chacune des parties a des intérêts différents, parfois même très divergents. La partie patronale cherchera à protéger, voire augmenter son droit de gérance, en limitant le plus possible les contraintes, et à diminuer ses coûts. La partie syndicale, elle, cherchera justement à accroître les prérogatives syndicales et à améliorer concrètement les conditions de travail de ses membres, ce qui a bien sûr un impact sur les coûts. Il serait illusoire de croire que l’exercice de négociation n’a alors rien à voir avec la force ou la faiblesse des parties en présence.

Le professeur Bora Laskin, qui deviendra Juge en chef du Canada, définit d’ailleurs ainsi la négociation collective:

« La négociation collective est un processus par lequel les travailleurs expriment leur opinion, par l’entremise des représentants de leur choix, et non des représentants choisis, nommés ou autorisés par les employeurs. Plus que cela, il s’agit d’un processus par lequel l’employeur et ses employés peuvent négocier pour s’entendre sur les conditions de travail, pourvu que leur pouvoir respectif de négociation soit de force relativement égale. »

Pour un syndicat, exercer un rapport de force efficace passe beaucoup plus par la démonstration de l’unité des membres (la fameuse SO-SO-SO-SOLIDARITÉ…) que par des coups de gueule à la table de négociation, la menace ou des actions d’éclat isolées.

C’est d’ailleurs pourquoi la CSN, en plus de fournir des personnes conseillères syndicales à la négociation par les fédérations, fournit également les services d’une personne conseillère à la mobilisation par les conseils centraux des régions. Ainsi, pour un syndicat, la formation d’un comité de mobilisation est tout aussi importante que celle d’un comité de négociation.

Il faut donc susciter et démontrer l’adhésion des membres aux revendications syndicales.

Dans cette mission, le rôle de l’information est fondamental, c’est pourquoi la coordination du regroupement souhaite débattre de cette question lors de notre prochaine réunion. Aujourd’hui cependant, nous voulons nous attarder à la question de la mobilisation, mais surtout à l’action suprême pour un syndicat, c’est-à-dire la grève.

LA GRÈVE, POURQUOI ?

Voilà un mot et une action, qui font peur! Pourtant, dans les derniers temps, quelques syndicats du regroupement privé en ont débattu et l’ont exercée. Et pourquoi pas, puisque ces dernières années, ce sont surtout les employeurs qui nous ont menacés ou qui ont utilisé leur arme ultime, le lock-out. Un employeur l’a même utilisé trois fois en 20 ans!

Une partie du débat d’aujourd’hui servira à entendre ces syndicats, afin d’apprendre comment ils en sont venus à l’idée d’envisager ce moyen d’action, comment ils en ont débattu, comment ils l’ont exercée et les conséquences de cette grève. Mais avant, nous souhaitions vous remettre ce texte de réflexion sur la question.

Pour la coordination du regroupement, il est primordial que les syndicats du privé puissent de plus en plus et de mieux en mieux appuyer par des actions concrètes leurs négociations. Et nous ne croyons pas que la grève doit être systématiquement exclue des moyens éventuellement envisagés. Il en va de l’amélioration de nos conditions de travail et de la vitalité de nos syndicats. Car comment un rapport de force peut-il être égalitaire si une seule des parties ose utiliser l’arme ultime de l’arrêt de travail! Tant que les employeurs n’auront pas renoncé à leur droit de lock-out, c’est, du côté des syndicats, se placer volontairement dans une position de faiblesse que d’exclure d’emblée la grève des recours possibles.

LA GRÈVE, COMMENT ?

C’est le comité de mobilisation du syndicat, toujours en lien avec le déroulement de la négociation, et selon les mandats de l’assemblée générale, qui pensera et organisera les différents moyens d’action. Malgré la réputation sulfureuse qui peut parfois l’accompagner, jamais la CSN ou ses organisations affiliées (les fédérations et les conseils centraux) ne décideront de la grève à la place des syndicats locaux et de leur assemblée générale. Jamais non plus elles n’exerceront de pressions pour « forcer » un syndicat à poser des actions qu’il ne souhaite pas. La CSN est une organisation où, outre la solidarité, la valeur de l’autonomie est primordiale. Ainsi, dans sa déclaration de principe, la CSN déclare que « les syndicats affiliés sont des organisations autonomes. Cette autonomie préserve leur capacité de se déterminer, de mener leurs luttes et de prendre, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, les décisions qu’ils estiment nécessaires. »

Nous souhaitons une réflexion sur la grève, mais cette dernière ne peut jamais arriver comme ça, de but en blanc. Elle doit s’inscrire dans le cadre d’un ensemble de moyens d’action. Il faut donc qu’il y ait une gradation des actions de mobilisation. Le port de macarons, de t-shirts, de jeans, les pauses café avec des tasses CSN, la distribution de tracts, la visite en groupe des bureaux de la direction ou des réunions du conseil d’administration, une manifestation ou un pique-nique devant l’école, les relations avec la presse sont quelques-uns des moyens qu’un syndicat peut utiliser pour exprimer la détermination de ses membres.

La plupart du temps, ces moyens sont bien accueillis par les membres et sont amplement suffisants pour en arriver à un règlement satisfaisant. En 2007, au Québec, seulement 2 % des syndicats en négociations ont vécu un conflit de travail, que ce soit sous la forme de grève ou de lock-out. Heureusement d’ailleurs ! Mais que fait-on si cela est loin d’être suffisant, si l’employeur continue à faire la sourde oreille à la moindre de nos demandes, ou pire encore, exige d’importants reculs syndicaux ? Doit-on obligatoirement exclure la grève de notre éventail d’actions ? Parce que l’on craint la réaction de nos membres, des parents, du public, ou de perturber l’année scolaire des élèves ?

Pour toutes ces raisons, en plus bien sûr de la perte de salaire, personne ne part en grève de gaieté de cœur. Il ne faut jamais décider d’une grève à la légère, c’est toujours un moyen de dernier recours qui témoigne d’une situation extrême et qui ne peut durer.

On ne décide pas d’une grève à l’amorce d’une négociation, c’est forcés par des situations intenables qui perdurent que les syndicats en viennent en à débattre et à l’exercer. Par ailleurs, refuser même de l’envisager quand le contexte l’exige, c’est, pour un syndicat, se priver d’un moyen d’action qui a prouvé son efficacité, ce qui peut devenir un aveu de faiblesse. C’est pourquoi, comme responsables syndicaux, nous jugeons qu’elle ne peut être exclue dès le départ.

Il faut également que les raisons derrière cette éventuelle volonté de faire la grève soient connues, partagées, circonscrites et importantes. On ne fait pas la grève, par exemple, simplement pour obliger un employeur à se présenter à la table de négociation, car quels moyens d’action restera-t-il au syndicat lorsque viendra le moment d’appuyer ses demandes ?

De même, un syndicat qui voudrait partir en grève pour soutenir une longue liste de demandes diverses risque de s’éparpiller, ce qui fera durer la grève indûment, sans compter que les membres ne sauront pas précisément pourquoi ils sont en train de se geler sur le trottoir.

Un exécutif syndical qui souhaite proposer à ses membres de voter sur la possibilité d’une grève doit également s’assurer que ce vote a de bonnes chances d’être fortement majoritaire.

Le contraire créerait une situation qui rendrait définitivement plus difficile l’atteinte des objectifs recherchés par la négociation et la grève. Imaginez la crédibilité d’un comité de négociation qui se présenterait devant l’employeur après une telle défaite ! De même, obtenir un mandat de grève de justesse, c’est aller à la bataille avec des troupes peu motivées. Il est certain que ces conditions ne pourront être remplies si, dès le début de la négociation, le comité exécutif a répété qu’il ne saurait jamais être question d’un arrêt de travail.

Il ne faut pas non plus brandir à tout escient une menace de grève que nous n’avons nullement l’intention de mettre à exécution. Ce serait là perdre une crédibilité précieuse, et devant nos membres, et devant l’employeur. Quand le mot grève est prononcé, il faut que tous croient qu’il s’agit là d’une réelle possibilité.

LA PEUR DE LA GRÈVE

Comme enseignantes et enseignants, nous sommes souvent déchirés quand vient le temps de discuter de l’éventualité de la grève. Même si nous souhaitons améliorer nos conditions de travail, nous ne voulons pas perturber l’année scolaire. C’est tout à notre honneur. Certains de nos membres craignent de faire de la peine ou de se mettre à dos les autres personnels de l’école, les parents, voire les élèves. Nous souhaitons évidemment, comme individu ou comme groupe, l’appréciation de notre milieu. Mais sommes-nous prêts à faire le sacrifice de nos salaires, de la lourdeur de notre tâche, pour obtenir cette appréciation ?

Et qu’en est-il du respect ? Et des moyens à prendre pour l’obtenir ? Se faire aimer des parents, bien qu’agréable, ne met pas de beurre sur le pain, et ne diminue pas le nombre d’élèves par classe, par exemple. Ce qui ne veut pas dire que nous devons faire exprès de nous les mettre à dos. Il faut en tenir compte dans notre stratégie de communication et dans nos divers moyens de mobilisation.

Surtout, il faut se rappeler qu’en voulant négocier une meilleure convention collective nous ne revendiquons pas seulement une amélioration tout à fait légitime de nos conditions de travail : nous cherchons aussi à préserver ou à améliorer la qualité des services éducatifs de notre école.

Il faut aussi comprendre que c’est l’attitude intransigeante de l’employeur qui pousse le syndicat à proposer une grève. Quand on fait la grève, nous sommes tellement convaincus de la pertinence de nos revendications, que nous sommes prêts à nous priver d’une partie de nos revenus, ce n’est pas rien, et personne le fait pour des raisons frivoles. Par contre, à en juger par les lock-out de ces dernières années, plusieurs employeurs ne semblent pas partager nos scrupules.

LES MOYENS DE FAIRE LA GRÈVE

La CSN est une centrale syndicale qui soutient financièrement ses syndicats qui décident d’aller en grève. Une partie de toutes les cotisations à la CSN va au fonds de défense professionnelle qui sert notamment à apporter un secours aux syndiqués et aux syndicats lors de conflits de travail. Dès le 15e jour de grève, chaque gréviste reçoit un montant forfaitaire, non imposable, pour faire face aux dépenses essentielles. Et le syndicat reçoit également des allocations pour les dépenses de grève.

À la FNEEQ, plusieurs syndicats ont des fonds locaux de défense ou permettent l’utilisation de leurs surplus accumulés pour couvrir ces deux semaines de délai de carence. Ce qui veut souvent dire que les membres des syndicats en conflit reçoivent, dès le premier jour d’arrêt de travail, une compensation financière visant à pallier, au moins partiellement, la perte du salaire.

La constitution d’un tel fonds par un syndicat local sert, à notre avis, à renforcer le rapport de force syndical, car il diminue les contraintes financières des membres et pourra apaiser certaines appréhensions. La connaissance de l’existence d’un tel fonds de grève par la partie patronale augmente encore plus le rapport de force en notre faveur, car il sera connu de tous que le syndicat a les moyens d’aller en grève s’il le faut.

LA GRÈVE, MALGRÉ TOUT

Ne croyez pas que nous faisons ici l’apologie de la grève comme d’une banalité, d’un moyen de pression comme les autres et que tout syndicat digne de ce nom devrait avoir hâte de négocier pour aller en grève !

Il serait cependant naïf de croire que la négociation de meilleures conditions de travail n’est qu’une simple discussion comme une autre avec l’employeur. Nous croyons ardemment que pour être menée à bien, une négociation se doit d’être appuyée par les membres dans des actions visibles; que, parfois, malheureusement, une de ces actions peut ou même doit être la grève.

Et que quand il est question de mobilisation, ce n’est pas nécessairement la grève, mais la grève, si nécessaire.