« J’invite les élu-es qui jugeraient irréaliste cette vision humaniste de l’enseignement supérieur à garder en tête ceci : chaque dollar injecté dans les établissements de haut savoir est un investissement qui enrichit le Québec. D’aucune façon les récentes baisses d’impôts et remises de chèques individuels, équivalentes à plusieurs milliards de dollars, n’ont permis de régler les maux collectifs qui plombent notre société. Les problèmes vécus à la rentrée actuelle le prouvent bien. »
Christine Gauthier
Rédactrice

Jour après jour, depuis la mi-août, les médias documentent à juste titre le naufrage organisationnel prévisible de la pénurie de personnel enseignant au primaire, au secondaire et même, désormais, dans certains domaines au cégep, comme le révélait récemment notre fédération dans Le Devoir. D’autres, et ils ont raison, rappellent la vétusté des établissements d’enseignement. On se penche également sur les impacts évidents des écrans dans les classes, sur l’intelligence artificielle et les risques qui y sont associés ou encore sur les frais croissants liés à la rentrée. Un constat s’impose : les défis sont nombreux en éducation et en enseignement supérieur, au Québec.

Parmi ceux-ci, j’encercle au tableau le sous-financement chronique de nos universités. Cela passe sous le radar de la rentrée 2023, alors que notre société a besoin plus que jamais de « cerveaux » capables d’imaginer et de mettre en place des solutions pour régler nos problèmes collectifs. Quoiqu’en dise le gouvernement Legault et « sa-première-priorité-l’éducation », les faits pointent vers ce manque de fonds, dont la facture est en partie refilée à la population étudiante par l’intermédiaire des droits de scolarité. Or, personne ne niera que cette dernière, particulièrement à risque de précarité financière, subit aussi les affres de l’inflation et de la crise du logement. Dans un tel contexte, nous sommes en droit de nous demander : combien d’universitaires étireront leur formation pour tenter de joindre les deux bouts, combien abandonneront en chemin ou encore combien de candidatures potentielles renonceront tout simplement à s’inscrire ? Or, ces scénarios s’avèreraient catastrophiques pour le Québec…

La course aux « étudiants-clients »

Soyons francs : le financement conditionnel au prorata du nombre d’étudiant-es à temps plein a créé un système néfaste de mise en concurrence entre les universités et de précarisation du personnel. Dans presque chaque région du Québec, les universités se concurrencent à coup de pavillons satellites coûteux et de cours à distance surpeuplés. Engagées dans une opération de grande séduction des « clients », tant au Québec qu’à l’international, elles dépensent (inutilement) de précieuses ressources financières en marketing. Elles supplient quasiment les étudiantes et les étudiants étrangers de s’inscrire pour renflouer les coffres, alors que l’explosion des droits de scolarité pour ces étudiant-es en a malheureusement fait des « machines distributrices ». Ce système contribue également à maintenir dans une précarité inacceptable les personnes chargées de cours, qui ne savent pas chaque session si elles enseigneront la suivante, alors qu’elles donnent pourtant plus de la moitié des cours au premier cycle universitaire.

Un test pour la ministre de l'Enseignement supérieur

La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, travaille actuellement sur une révision du modèle de financement des universités et les attentes sont grandes à cet égard. Non seulement doit-elle proposer une hausse substantielle de ce financement, mais elle doit aussi s’engager à soutenir une nouvelle répartition des sommes allouées pour en finir avec l’université capitaliste et la course à l’argent. Elle devra convaincre son gouvernement de tenter de rattraper le retard creusé avec les universités canadiennes, mais aussi de s’assurer de réparer les erreurs du modèle actuel pour financer plus adéquatement les universités francophones en région. Par ailleurs, il faut viser, comme l’ont fait plusieurs pays européens, une véritable gratuité scolaire qui profitera à l’ensemble de la société québécoise.

J’invite les élu-es qui jugeraient irréaliste cette vision humaniste de l’enseignement supérieur à garder en tête ceci : chaque dollar injecté dans les établissements de haut savoir est un investissement qui enrichit le Québec. D’aucune façon les récentes baisses d’impôts et remises de chèques individuels, équivalentes à plusieurs milliards de dollars, n’ont permis de régler les maux collectifs qui plombent notre société. Les problèmes vécus à la rentrée actuelle le prouvent bien.