Mise en garde de l’Ă©conomiste Joseph Stiglitz
Le 1er avril 2016, des membres du comitĂ© Ă©cole et sociĂ©tĂ© de la FNEEQ ont pris part Ă  un forum tenu Ă  l’UniversitĂ© d’Ottawa portant sur l’accord de Partenariat transpacifique (PTP) afin de recueillir les analyses d’Ă©minents experts en la matière et de s’enquĂ©rir sur les impacts de ce partenariat sur le secteur de l’Ă©ducation. SignĂ© le 3 fĂ©vrier 2016 Ă  Auckland en Australie, cet accord vise Ă  libĂ©raliser le commerce et les investissements entre 12 pays, dont les États-Unis, le Canada, le Japon, le Mexique, le Chili et l’Australie.

Le confĂ©rencier d’honneur Ă  cet Ă©vènement Ă©tait Joseph Stiglitz, rĂ©cipiendaire du Prix de la Banque de Suède en sciences Ă©conomiques en mĂ©moire d’Alfred Nobel et professeur Ă  l’UniversitĂ© Columbia. Les autres participantes et participants Ă  ce forum organisĂ© par le Syndicat des communications d’AmĂ©rique (CWA/SCA) et le RĂ©seau pour le commerce juste (Trade Justice Network) Ă©taient: Gus Van Harten, expert en droit international de l’investissement; Ron LabontĂ©, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mondialisation contemporaine et l’Ă©galitĂ© en matière de santĂ©; Jeronim Capaldo, chercheur Ă  l’UniversitĂ© Tufts; Scott Sinclair, Ă©conomiste au Centre canadien de politiques alternatives; Pia Eberhardt, chercheuse en commerce international pour l’Observatoire de l’Europe industrielle et Ashley Schram.

Un partenariat made in America
D’entrĂ©e de jeu, le professeur Stiglitz, posait la question suivante, avec un certain sourire ironique et un humour assez percutant: «Qui, selon vous, sera favorisĂ© par cette entente Ă©conomique faite par des AmĂ©ricains et pour des AmĂ©ricains dont l’objectif est de réécrire de nouvelles règles en faveur d’un capitalisme encore mieux orchestrĂ© pour favoriser le secteur corporatif?». La rĂ©ponse saute aux yeux. Selon Stiglitz, le gouvernement canadien ne devrait pas ratifier cette entente multilatĂ©rale, car elle pourrait le contraindre juridiquement et l’empĂŞcher de lĂ©gifĂ©rer, notamment dans deux dossiers clĂ©s de son programme, soit: la lutte aux changements climatiques et l’amĂ©lioration des relations avec les Autochtones. Cet accord pourrait aussi avoir des consĂ©quences nĂ©fastes sur une sĂ©rie d’autres domaines comme l’environnement, la langue de commerce ou l’Ă©ducation.

Dans la plus grande partie de son discours, M. Stiglitz a sĂ©vèrement dĂ©noncĂ© le mĂ©canisme de règlement des diffĂ©rends entre investisseurs et États (RDIE), prĂ©vu par l’accord. Ce tribunal d’arbitrage, privĂ© et non transparent, est Ă  l’unique avantage des entreprises qui peuvent poursuivre les États, alors qu’elles n’ont en Ă©change ni obligations ni responsabilitĂ©s lĂ©gales. Comme l’expliquait l’Ă©conomiste, ceci offre aux entreprises une protection juridique qui leur permet de dĂ©localiser davantage. Il a insistĂ© sur le fait que ce mĂ©canisme peut nous mener Ă  une situation aussi absurde que de donner de l’argent Ă  des entreprises pour qu’elles cessent de polluer! Plusieurs parmi les autres confĂ©renciers ont soutenu avec vigueur que le RDIE est profondĂ©ment antidĂ©mocratique et limite le pouvoir politique des États.

Un message clair Ă  partager
En entrevue avec La Presse canadienne, Joseph Stiglitz a clairement affirmĂ© que le PTP rĂ©duira, en outre, le «pouvoir de nĂ©gociations des travailleurs et des travailleuses, notamment sur leurs salaires, et ferait perdre beaucoup d’emplois et le Canada pourrait avoir des difficultĂ©s Ă  lĂ©gifĂ©rer en matière de salaire minimum, de programme de discrimination positive et d’Ă©valuations environnementales».

Jeronim Capaldo, de l’UniversitĂ© Tufts, a fait un portrait assez inquiĂ©tant de ce que seraient les pertes d’emploi si le PTP Ă©tait signĂ©. Par exemple, une plus grande «rationalisation» de la production, concentrĂ©e dans des lieux stratĂ©giques, conduirait Ă  une multiplication de mises Ă  pied et augmenterait la concurrence entre les travailleurs et les travailleuses pour l’obtention d’un emploi. De plus, il serait difficile pour les personnes congĂ©diĂ©es d’obtenir un nouvel emploi parce qu’elles ne trouveraient pas nĂ©cessairement des postes Ă©quivalant Ă  ceux qui auront Ă©tĂ© perdus.

Éducation inc.
L’impact culturel, Ă©ducatif et linguistique du PTP a Ă©tĂ© peu traitĂ© lors de ce forum qui portait davantage sur des enjeux commerciaux et juridiques. Toutefois, en rĂ©ponse Ă  notre question sur l’impact Ă©ventuel de cet accord sur le secteur de l’Ă©ducation, Joseph Stiglitz a affirmĂ© que le secteur public en Ă©ducation serait grandement menacĂ© par ce partenariat. En ce sens, l’Association canadienne des professeures et professeurs d’universitĂ© (ACPPU) – qui avait dĂ©jĂ  fait part de ses inquiĂ©tudes Ă  la ministre du Commerce international, Chrystia Freeland – rĂ©sume bien les propos de l’Ă©conomiste lors de ce bref Ă©change: le PTP permettra de faire d’importantes pressions en faveur de la privatisation et de la marchandisation de l’Ă©ducation.
On peut illustrer la crainte de Stiglitz et de l’ACPPU par l’exemple de la privatisation du secteur Ă©ducatif aux États-Unis sous la pression de compagnies provenant du secteur de l’enseignement Ă  but lucratif (for-profit education ). On y voit une transformation majeure de l’essence mĂŞme de l’Ă©ducation, qui n’est plus conçue comme un bien commun permettant d’Ă©lever l’esprit humain mais comme un investissement devant rapporter des profits les plus Ă©levĂ©s possible! Ces Ă©coles Ă  but lucratif, toujours Ă  la recherche de nouveaux marchĂ©s, pourraient profiter du PTP pour s’Ă©tablir dans les pays qui n’ont pas exclu l’Ă©ducation privĂ©e du PTP , ce qui est le cas du Canada. D’autres scĂ©narios de privatisation sont aussi envisageables, par exemple, en matière d’enseignement Ă  distance. Bien sĂ»r, les impacts sur les questions culturelles et de propriĂ©tĂ© intellectuelle ne sont surtout pas Ă  minimiser non plus.

Il reste Ă  souhaiter que Joseph Stiglitz soit entendu. Il n’y a aucun doute, le Canada ne doit pas ratifier cette entente commerciale (qui n’a rien d’un «partenariat»), afin de protĂ©ger, entre autres, les valeurs humanistes en matière d’Ă©ducation publique, mais plus largement, pour Ă©viter d’assujettir la sociĂ©tĂ© aux prĂ©rogatives capitalistes des grandes entreprises.

Le comité école et société
On peut contacter le comitĂ© Ă©cole et sociĂ©tĂ© par courriel Ă  l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca