Au moment où le monde de l’éducation est traversé par des débats entourant l’école inclusive, tant dans son interprétation que dans ses applications, le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) vient de produire, en collaboration avec le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), une «trousse à outils» se réclamant de la «pédagogie universelle». Outre le fait qu’on puisse s’interroger sur l’implication du CSÉ dans la création d’outils de formation, on devrait s’inquiéter de l’intention de privilégier une méthode pédagogique spécifique alors qu’il n’existe pas de consensus sur ce que devraient être les politiques d’inclusion scolaire. De plus, il est à craindre que les impacts de ce choix sur les conditions d’enseignement et d’apprentissage soient moins bénéfiques que le CSÉ le laisse entendre. Sans garantie quant à l’organisation du travail ou au respect de l’autonomie professionnelle, sans débat préalable sur les objectifs d’apprentissage et d’évaluation, une telle avenue pourrait contribuer à détériorer davantage les conditions d’exercice du personnel enseignant, sans pour autant favoriser la réussite éducative. Ne devrait-on pas plutôt privilégier d’autres solutions (diminution du ratio élèves-enseignant, réelle mixité scolaire, ressources suffisantes, amélioration des conditions d’enseignement) afin de concrétiser l’idéal de l’école inclusive?

La trousse du CSÉ fait suite à son avis de 2017 Pour une école riche de tous ses élèves – s’adapter à la diversité des élèves, de la maternelle à la 5e année du secondaire ainsi qu’au document Étude de cas: des écoles inspirantes qui s’adaptent à la diversité des élèves¹. On y trouve napperon, présentation vidéo, cahier de participation, guide de référence et d’animation, six ateliers de réflexion d’une heure et demie (CSÉ, 2018a, p.7), bref tout un arsenal visant à inciter les équipes-écoles à modifier leurs pratiques afin de soutenir l’idéal d’une éducation inclusive dans toutes les écoles québécoises. Toutefois, entre l’idéal et la réalité, il y a un écart qui tient peu compte des ressources disponibles et du surmenage que vit déjà une bonne partie du personnel enseignant.

Principes et stratégies pédagogiques

Il est important de distinguer les principes entourant la notion d’inclusion, très prometteuse pour la réussite éducative, des stratégies pédagogiques – parfois douteuses, souvent inapplicables – qui s’en réclament. Au Québec, on a moins procédé à une inclusion qu’à une inscription tous azimuts d’élèves dans les écoles publiques, indépendamment de leurs difficultés d’apprentissage, sans y mettre les ressources ni les moyens nécessaires, et au détriment des conditions d’enseignement, de travail et de réalisation de l’inclusion elle-même.

L’éducation inclusive se réclame de valeurs de justice sociale et d’équité visant l’accès à l’éducation et à la réussite pour toutes et tous. Elle prétend permettre une meilleure inclusion que le modèle de l’intégration (où l’élève ayant des besoins particuliers doit s’adapter à la classe ordinaire afin d’évoluer comme les autres élèves) et celui de l’inclusion scolaire (où l’école s’adapte à l’élève ayant des besoins particuliers afin de lui permettre de participer pleinement aux activités d’apprentissage au sein de la classe ordinaire) (CSÉ, 2018b). Pour sa part, l’éducation inclusive proposée par le CSÉ se veut une stratégie pédagogique qui privilégie la recherche de solutions collectives pour répondre a priori aux besoins individuels de chaque élève (CSÉ, 2017b, p.99).

Mais comment l’école peut-elle s’adapter aux «besoins individuels de chaque élève» si on admet au départ que, justement, ces besoins sont différents? Des mesures universelles peuvent-elles suffire à combler tous les besoins individuels? La recherche de mesures générales pour répondre à des besoins particuliers ne risque-t-elle pas d’entraîner un nivellement par le bas, de nuire à la réussite éducative des élèves et de desservir, tout compte fait, les principes d’inclusion dont elle se réclame? L’éducation inclusive est certes une idée qui peut séduire, mais qui occulte un bon nombre de difficultés théoriques et pratiques.

Les difficultés de l’intégration

Il est vrai que certaines pratiques actuelles entravent l’idéal d’une école inclusive, ainsi que le souligne d’ailleurs le Conseil supérieur, comme «la hiérarchisation des parcours de formation, la valorisation inégale des talents ou la mise en concurrence des élèves et des écoles» (CSÉ, 2018b). Cependant, le recours à la pédagogie inclusive, et tout particulièrement à la Conception universelle des apprentissages (CUA)², tel que proposé par le CSÉ, doit-il être adopté et nécessairement généralisé pour assurer la meilleure inclusion?

Clairement, la sélection des élèves dans l’accès à certains programmes pédagogiques particuliers ou à certaines écoles nuit à la mixité sociale et scolaire et crée un déséquilibre dans la composition des groupes. C’est ainsi qu’on retrouve souvent une plus forte concentration d’élèves en difficulté dans les classes ordinaires du réseau public, ce qui complexifie grandement la tâche du personnel enseignant et impose des conditions d’apprentissage beaucoup plus difficiles. Or, si la solution à cette surreprésentation des élèves en difficulté dans les classes ordinaires des écoles publiques se limite à l’introduction de la CUA, sans s’attaquer aux problèmes de la ségrégation scolaire, les bonnes intentions de l’école inclusive reviennent à faire porter sur les enseignantes et les enseignants le fardeau d’un problème systémique.

Pour justifier le recours à la Conception universelle des apprentissages (CUA), le CSÉ soutient que la complexité qu’impliquent les mesures d’intégration ou d’inclusion scolaire des élèves à besoins particuliers dans une classe ordinaire a atteint un tel point que la «multiplication des mesures individualisées ne permet plus de répondre adéquatement à l’ensemble des besoins éducatifs des élèves [et que pour] dépasser cette limite, l’éducation inclusive privilégie la recherche de solutions collectives qui répondent aux besoins individuels» (CSÉ, 2018b). Mais qu’est-ce que cela signifie? La fin des plans d’intervention et mesures adaptées aux besoins particuliers des élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage pour ne plus «s’adapter» qu’à partir de mesures universelles ? Que veut-on dire par «besoins des élèves»? Le besoin n’existe qu’en regard des situations individuelles et particulières des élèves face à ce qu’ils doivent apprendre. Dans cette perspective, il n’y aurait pas, à proprement parler, de besoins communs, bien qu’il y en ait qui soient les mêmes pour plusieurs… La CUA nie, en quelque sorte, que les effets bénéfiques d’une mesure donnée puissent être différenciés. Avant de s’engager dans la CUA, la notion centrale de « besoin » doit nécessairement être approfondie.

La Conception universelle des apprentissages, réponse ou mirage?

En dehors des images métaphoriques³, les défenseurs de la Conception universelle des apprentissages donnent peu d’exemples convaincants d’une application réaliste et judicieuse. Qui plus est, plusieurs questions demeurent sans réponses claires: Cherche-t-on des mesures universelles ou adaptées à chaque élève? Ces mesures doivent-elles aller dans le sens des objectifs d’apprentissage ou en faire abstraction ? Les transformations s’appliquent-elles surtout à la pédagogie ou davantage à l’organisation du travail?

Parmi les exemples proposés par le CSÉ pour illustrer les principes de la pédagogie inclusive, on retrouve le fait d’offrir du temps additionnel à tous les élèves lors d’un examen au sein même de la plage horaire du cours, ce qui «élimine la nécessité de prévoir des aménagements particuliers tel que la réservation de locaux, une liste des élèves concernés, une surveillance, etc.» (CSÉ, 2018b). Mis à part l’«intérêt» financier d’une telle mesure («intérêt» dans une perspective de sous-financement chronique de l’éducation), puisque c’est le personnel enseignant qui assumerait la surveillance durant ce temps additionnel offert à tous les élèves, on peut se demander si le problème n’est pas simplement déplacé. Comment occupe-t-on les élèves qui finissent plus tôt ? Quelle matière au programme élimine-t-on pour dégager ce temps supplémentaire pour tous lors de chacune des évaluations?

Un autre exemple fourni par le CSÉ peut surprendre : dans une école secondaire, l’enseignant de français remarque que plusieurs élèves ont des difficultés de concentration en fin de journée; il décide donc de placer systématiquement les examens en avant-midi. Il constate que cela est bénéfique pour ses élèves en difficulté et que ses élèves forts obtiennent des résultats équivalents ou même meilleurs puisqu’eux aussi profitent de cette mesure et actualisent ainsi davantage leur potentiel (CSÉ, 2018b). À supposer qu’un enseignant dans une école secondaire aurait le pouvoir de modifier l’horaire de ses cours afin de placer ses examens en début de journée plutôt qu’à la fin, faut-il appeler son initiative de la «pédagogie universelle» ou du simple bon sens, qui est déjà appliqué lorsque c’est possible?

Nos aspirations pour une inclusion réussie

En réponse à l’arrivée d’un grand nombre d’élèves en difficulté dans leurs classes, les enseignantes et enseignants réclament davantage de soutien. Le personnel enseignant a aussi besoin de temps pour les échanges, la planification et l’administration à l’intérieur de nouveaux collectifs de travail. On en vient à «se demander si une réduction draconienne du nombre d’élèves dans les classes ne serait pas préférable à l’augmentation “compensatoire’’ d’un grand nombre d’experts en soutien aux enseignantes et enseignants surchargés» (FNEEQ, 2018, p.40). Selon une étude menée par des chercheuses de la coalition citoyenne Debout pour l’école, «moins d’élèves par classe favorise les apprentissages scolaires chez les élèves du préscolaire à la moitié du secondaire; […] les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage progressent plus rapidement dans des classes à effectifs réduits.» (Paret et Demers, 2019). La baisse du ratio élèves-enseignant ne devrait-elle pas être prioritaire dans la recherche d’une école inclusive?

Nous croyons qu’il ne pourra pas y avoir d’inclusion réussie si on impose aux enseignantes et aux enseignants d’adopter des méthodes pédagogiques spécifiques. Comme nous l’écrivions dans La formation des maîtres au Québec, si on ne respecte pas leur autonomie professionnelle, «quand bien même les enseignantes et enseignants parviennent à faire ce que l’on attend d’eux, on y perd, au bout du compte, le meilleur de ce qu’ils ont à offrir, soit leur propre pratique auprès des élèves et leur posture professionnelle devant leur responsabilité d’instruire.» (FNEEQ, 2018, p.43).

Si on procédait à la nécessaire amélioration des conditions d’enseignement, si on revenait à une réelle mixité scolaire, si on diminuait le ratio élèves-enseignant et que les ressources consenties à l’école étaient à la hauteur de nos aspirations collectives en éducation, le débat sur la «pédagogie universelle» semblerait somme toute superflu!

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca

  1. Le comité école et société de la FNEEQ a déjà réagi à ces textes dans le chapitre consacré à la question «Former les maîtres à l’école inclusive?» du document La formation des maîtres au Québec. Enjeux et débats (FNEEQ, 2018, p. 37-43).
  2. Le Conseil supérieur de l’éducation parle aussi de «pédagogie universelle» qui correspond principalement à la Conception universelle des apprentissages (CUA) ou Universal Design for Learning (UDL). Cette conception de l’apprentissage «s’inspire du “design universel”, modèle en architecture visant à concevoir des bâtiments et des espaces publics accessibles pour tous», La formation des maîtres au Québec. Enjeux et débats (FNEEQ, 2018, p. 43).
  3. L’image métaphorique la plus fréquemment utilisée est celle des trois spectateurs d’un match de baseball (elle est reprise par le CSÉ et le CTREQ dans leur trousse: https ://www.cse.gouv.qc.ca/lp/ces/ecole-riche-eleves/img/acces_universel.jpg). Elle tente de faire la distinction entre l’égalité, l’équité et l’accès universel en précisant qu’avec la CUA, il s’agit de faire disparaître l’obstacle (la palissade qui empêche de bien voir la partie) par l’utilisation d’un autre aménagement (la clôture grillagée), plutôt que de simplement trouver une manière de le contourner (offrir un banc ou deux pour voir par-dessus la palissade). Or, l’exemple est très peu convaincant puisque, avec la clôture grillagée, le plus petit, même s’il peut voir à travers le grillage, bénéficie d’une bien moins bonne vue que les plus grands à côté de lui…

 


MÉDIAGRAPHIE

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION (2017a), Étude de cas. Des écoles inspirantes qui s’adaptent à la diversité des élèves, Québec, Gouvernement du Québec, 93 p., https://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/EtudesRecherches/50-0505.pdf (page consultée le 27 janvier 2019).

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION (2017b), Pour une école riche de tous ses élèves: s’adapter à la diversité des élèves, de la maternelle à la 5e année du secondaire, Québec, Gouvernement du Québec, 155 p., http://cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/Avis/50-0500.pdf (page consultée le 27 janvier 2019).

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION et CTREQ (2018a), Guide de référence et d’animation de la trousse «Pour une école riche de tous ses élèves», Québec, Gouvernement du Québec, 32 p., https://www.cse.gouv.qc.ca/lp/ces/ecole-riche-eleves/rsc/guide_animation.pdf (page consultée le 27 janvier 2019).

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION et CTREQ (2018b), Trousse «Pour une école riche de tous ses élèves»: présentation vidéo, https://www.youtube.com/watch?v=ejKv0oKHmz4 (page consultée le 27 janvier 2019).

FNEEQ, COMITÉ ÉCOLE ET SOCIÉTÉ, La formation des maîtres au Québec : Enjeux et débats, Document présenté au Conseil fédéral des 5, 6 et 7 décembre 2018, 76 p., https://fneeq.qc.ca/wp-content/uploads/2018-12-12-Formation-des-ma%c3%aetres.pdf (page consultée le 11 février 2019).

PARET, Marie-Christine et Stéphanie DEMERS, «Baisser le ratio élèves-enseignant: une question d’équité», Le Soleil, 16 janvier 2019, https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/baisser-le-ratio-eleves-enseignant-une-question-dequite-cf3fffc9d0f25321aa0a70070b64539a (page consultée le 27 janvier 2019).