La compétition est souvent saine lorsqu’elle permet le dépassement de soi. Elle devient toutefois inappropriée lorsqu’elle se transforme en une obsession, et carrément dangereuse voire même immorale lorsqu’elle pervertit la mission première d’une activité au point de s’imposer non plus comme un moyen, mais comme une fin.

Or, l’organisation du système universitaire nous laisse croire, par l’intérêt marqué qu’il porte aux palmarès et classements de ses composantes, qu’elle s’est engagée dans une compétition folle qui n’a pas lieu d’être. La concurrence effrénée à laquelle se livrent les universités a-t-elle un sens? Qui gagne vraiment à vouloir couronner certaines universités championnes? Comment procède-t-on aux évaluations que cela suppose?

Ce désir toujours plus grand de classer les universités est un symptôme de plus de leur marchandisation. Les universités sont désormais des produits de consommation dont on doit pouvoir reconnaître la valeur, et à l’heure où plusieurs d’entre elles se livrent une féroce concurrence pour séduire une «clientèle» internationale, les palmarès facilitent les choix. Mais à quel prix?

Des palmarès à la gloire des universités anglo-saxonnes
Il n’y a pas si longtemps, les médias québécois titraient que trois universités québécoises se classaient dans un prestigieux palmarès des universités, le QS World University Ranking. Si McGill y occupe une place très respectable, au 18e rang, l’Université de Montréal et l’Université Laval font un peu moins bonne figure, occupant respectivement le 114e et le 324e rang. Connaissant bien ces trois universités, et leurs autres «compétitrices» québécoises, toutes honorables, il est légitime de se demander d’où viennent de telles disparités entre elles dans ce classement.

Il faut dire que les universités anglo-saxonnes triomphent : elles occupent les 12 premières places et 19 des 20 premières places. D’autres palmarès, tout aussi suivis, dont le Times Higher Education World University Ranking, arrivent à des résultats similaires (21 des 22 meilleures places sont occupées par les universités anglophones, dans le cas de ce dernier palmarès). On se demande comment l’Allemagne, la France ou le Japon arrivent à être si performants, s’ils sont dotés de piètres universités, incapables de prendre place parmi les meilleures.

En y regardant de plus près, on constate que les critères d’évaluation de ces palmarès peuvent aisément susciter la controverse. Parmi les plus importants: la réputation qui, par un effet de surenchère, renforce les universités qui en ont déjà une très bonne. Ou encore, le nombre de citations d’articles publiés; pour ne pas trop s’empêtrer dans la multitude, seuls les articles écrits en anglais sont comptabilisés!

En fait, les critères varient passablement d’un palmarès à l’autre, pour des résultats relativement similaires: on peut tenir compte, par exemple, du nombre de prix Nobel parmi le personnel enseignant, du nombre d’étudiantes et d’étudiants étrangers ou du volume de la recherche. Étrangement, la qualité de l’enseignement ne semble pas un critère à prendre en compte.

Quels que soient les critères sur lesquels sont basés ces palmarès, il est difficile de croire qu’ils puissent refléter la complexité et la multiplicité des enjeux en éducation supérieure. Ils prennent aussi pour acquis que l’université forme un tout. Peu importe si la qualité varie énormément d’un département à l’autre, d’un groupe de recherche à l’autre au sein d’une même université, il existe un verdict incontournable : votre université occupe un rang bien déterminé – une vérité solide comme le roc.

Pourtant, appliquer de pareilles évaluations tendancieuses à une institution qui a le devoir d’enseigner la rigueur et la précision scientifique est pour le moins paradoxal – sauf peut-être dans une logique marchande! Ce qui n’empêche pas les résultats d’être affichés et considérés, et les universités gagnantes de s’en enorgueillir.

Le modèle canadian
Au printemps dernier, la FNEEQ recevait, à sa grande surprise, un questionnaire de la revue Maclean’s l’empressant de se prononcer sur la réputation de soixante-deux universités canadiennes. Ce questionnaire est envoyé à des chercheuses et chercheurs ainsi qu’à des membres du personnel administratif d’université, à des orienteuses et orienteurs d’école secondaire et de cégep, à des dirigeantes et dirigeants d’entreprise, à des agentes et agents de recrutement et à des cadres supérieurs.

Il concerne rien de moins que la « qualité globale » des institutions, que l’on doit évaluer par quatre choix de réponses: excellent, très bon, satisfaisant, ou a besoin de s’améliorer. Par la suite, les répondants sont invités à attribuer une cote relative à l’innovation sur les plans institutionnel et social. Finalement, ils doivent choisir trois universités qui, à leur avis, sont les «leaders de demain». On comprend tout le sérieux de l’affaire lorsque la revue informe les personnes sondées que l’opération de classement ne leur prendra que cinq minutes! Le questionnaire ne comporte pas de questions ouvertes et l’absence de nuance dans les possibilités de réponses montre encore une fois le manque d’objectivité de l’opération.

Parmi les autres critères d’évaluation, le palmarès de la revue Maclean’s utilise le nombre d’étudiantes et étudiants par professeure ou professeur, le nombre de prix prestigieux remportés par les étudiantes et étudiants, les ressources financières de l’université, le budget des services aux étudiants. Les universités francophones ne sont pas gagnantes à ce jeu: l’Université de Montréal et l’Université Laval atteignent seulement le 12e rang, alors que McGill trône au premier.

La revue L’actualité a renoncé depuis 2008 à son fameux palmarès des écoles, fortement critiqué pour ses effets néfastes sur les perdants – toutes les écoles qui n’occupent pas les premiers rangs! – et son manque de rigueur. Personne ne le regrette. Devant l’impossibilité tout aussi grande de classer les universités, et devant la futilité de ce genre d’exercice, la revue Maclean’s devrait elle aussi mettre fin à ce genre de pratique.

Une évaluation, tout de même
Les universités québécoises, en dépit de tels classements, ne sont pourtant pas laissées à elles-mêmes. Des mécanismes de surveillance et d’évaluation, tant internes qu’externes, sont déjà déployés. Qu’il s’agisse des comités de révision de programmes, de la Commission des études ou du Conseil universitaire ou du Conseil d’administration, le personnel enseignant, les étudiantes et étudiants, ainsi que les autres membres de la communauté, jouent un rôle actif dans l’évaluation mais aussi dans l’ajustement et la bonification des différents programmes et de l’organisation générale de l’université.

Cette dynamique de surveillance interne repose sur la collégialité, un concept cher aux campus québécois, car c’est la gouvernance collégiale qui distingue, entre autres, les universités de l’entreprise privée. C’est aussi cette collégialité, à tous les niveaux, qui assure que ceux qui font l’université sont aussi les mieux placés pour l’évaluer et l’améliorer. Il existe en plus d’autres mesures de reddition de compte. Citons par exemple le guide d’application de la politique de la CREPUQ relative à l’évaluation périodique des programmes et l’examen des états financiers par l’Assemblée nationale.

La qualité de nos universités se voit surtout attestée par les compétences et la qualité des diplômées et diplômés qu’elles forment. Ce qui ne semble pas faire de doute, étant donné leur contribution importante à la société québécoise.

Le comité école et société
On peut rejoindre le comité école et société à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca