Magnifiquement organisé par le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’université Laval (SCCCUL), la COCAL IX a constitué, au milieu du mois d’août dernier, un lieu exceptionnel d’échanges et de discussions sur la réalité de celles et de ceux qui, à temps plein ou à temps partiel, enseignent dans les universités nord-américaines à titre de chargé-es de cours. La qualité des interventions et des analyses, tout comme l’accueil réservé aux délégué-es des États-Unis et du Mexique, ont contribué au succès de l’événement. Nous proposons ici un portrait des enjeux qui traversent le monde syndical de l’enseignement universitaire, du point de vue de ces milliers de personnes qui assument dorénavant plus de la moitié de cet enseignement.

La longue marche de la reconnaissance
La présence de chargé-es de cours dans l’enseignement universitaire ne date pas d’hier. Au départ, il s’agissait de recourir à des expertises particulières dans certains domaines. Mais on a assisté, dans les années 60-80, à une véritable explosion de leur nombre, les directions universitaires trouvant largement leur compte dans cette augmentation d’un bassin d’enseignantes et d’enseignants dont les conditions de travail étaient beaucoup moins coûteuses.

Ce changement majeur dans l’enseignement universitaire n’est pas propre au Québec. Au Mexique, comme aux États-Unis, on a pu observer la même volonté de rationalisation des budgets universitaires, la même rareté des subventions de recherche et la même propension à recourir à une catégorie de personnel enseignant plus mouvante et partant, moins organisée et moins capable d’intervenir dans les politiques d’orientation des établissements.

Au Québec, malgré le remarquable essor syndical du début des années 70, il a fallu une féroce bataille judiciaire pour que les chargé-es de cours puissent acquérir le droit de se syndiquer et de former des unités d’accréditation à part entière. Depuis, les chargé-es de cours ont mené une longue lutte – qui n’est pas encore achevée – sur tous les fronts de la reconnaissance de leur travail: rattrapage salarial, sécurité d’emploi, reconnaissance au sein de l’établissement universitaire, etc. Des gains importants ont été faits, comme en témoignent une certaine reconnaissance salariale, la présence des chargé-es de cours aux instances des universités ainsi que des programmes d’intégration pédagogique qui leur permettent de faire reconnaître des tâches autres que l’enseignement. Mais, à certains égards – notamment en regard des protections sociales – les luttes commencent à peine.

Même s’il reste beaucoup à faire, les acquis des syndicats québécois de chargé-es de cours apparaissent comme des phares pour leurs collègues du reste de l’Amérique. Si nous avons réussi au Québec à civiliser la précarité et à améliorer les conditions de travail des chargé-es de cours, elles restent déplorables dans la plupart des universités américaines et mexicaines: leur liberté académique est inexistante et, à plusieurs endroits, l’organisation en syndicats reste à bâtir entièrement. Ajoutons que, dans de nombreux états américains, le droit de grève n’est pas acquis!

Par ailleurs, les grandes organisations syndicales américaines et canadiennes, même quand elles ne tardent pas à se préoccuper des chargé-es de cours, ne se montrent pas nécessairement ouvertes à prendre en compte leur situation spécifique. En effet, au sein de certaines de ces organisations, une position de principe sur l’éradication de ce statut précaire apparaît préférable à l’organisation de luttes centrées sur les besoins immédiats de ces enseignantes et enseignants.

Déjà, en regard de cette situation générale, les réunions de la COCAL (Coalition of Contigent Academic Labour) constituent un lieu privilégié d’échanges et de réseautage qui permettent, non seulement de faire le point sur les enjeux, mais aussi de partager des stratégies et de développer des solidarités.

Parmi les enjeux majeurs, celui de la configuration des forces syndicales en milieu universitaire reste central. Les syndicats de professeurs existent depuis longtemps sur les campus et les intérêts de ces derniers – sans compter les inévitables préjugés – ne convergent pas toujours avec ceux des chargé-es de cours.

Ainsi, les alliances sont parfois difficiles à établir, non seulement à cause d’écueils objectifs (la part des budgets à obtenir, par exemple) mais également en regard des finalités des luttes syndicales dans l’enseignement universitaire. Faut-il viser la constitution d’un corps d’emploi uniquement voué à l’enseignement, s’y consacrant de manière pleine et entière et centré sur l’amélioration de conditions de travail qui lui seraient spécifiques? Ou plutôt, à terme, permettre une meilleure fluidité au sein d’une même profession enseignante, en balisant (et en encourageant) – pour celles et ceux qui le souhaitent – le passage du statut de chargé-es de cours à celui de professeur-es?

Ces questions, auxquelles il n’est pas facile de répondre en soi, sont rendues encore plus complexes par une forme d’hétérogénéité au sein des chargé-es de cours. On y retrouve des gens qui enseignent à temps partiel par choix; d’autres qui font de l’enseignement universitaire exclusif, un choix professionnel; d’autres enfin, pour lesquels l’enseignement à l’université ne constitue qu’un complément à une carrière menée dans un domaine particulier.

Pour rendre compte de cette réalité complexe, il faut aussi mentionner la multiplication des titres d’emploi au pourtour de l’enseignement proprement dit: correcteurs d’examens, surveillants, mentors, etc. Dans un tel contexte, il est tout aussi complexe qu’urgent de développer les solidarités nécessaires, d’autant plus que la bataille de la juste reconnaissance du travail des chargé-es de cours se joue sur la toile de fond d’une certaine dévalorisation de l’enseignement par rapport à la recherche dans le monde universitaire. Le sous-financement public des universités ajoute une grave contrainte à la recherche de solutions durables.

Quel avenir se profile pour nos chargé-es de cours? La combativité et l’acharnement de nos syndicats ont montré qu’il était possible d’améliorer substantiellement leur sort. Cela constitue certes un exemple inspirant pour nos collègues d’ailleurs mais, compte tenu des défis énormes que présente la tendance à la marchandisation du savoir et à la privatisation en enseignement supérieur, on ne peut que souhaiter un développement rapide des solidarités, afin que l’ensemble de la communauté enseignante universitaire atteigne la cohérence nécessaire pour influencer utilement le cours des choses.