Les tests standards en éducation: un processus de taylorisation?

Au mois d’avril dernier, à Los Angeles, se tenait la Ve conférence Trinationale pour la défense de l’école publique. Organisée par un réseau d’organisations syndicales dont la FNEEQ fait partie, cette rencontre permet, tous les deux ans, de prendre la mesure de l’éventail des stratégies employées en Amérique du Nord pour privatiser l’éducation. Une occasion, pour les syndicats du Québec, de mieux connaître les tendances actuelles en la matière et de mieux comprendre les dangers qui nous guettent et auxquels nous pourrions être confrontés… dans un avenir peut-être pas si éloigné.

Au Québec comme ailleurs, les besoins sociaux en matière de santé et d’éducation ne cessent de croître, espérance de vie grimpante et société du savoir obligent. Dans les deux cas, les services publics sont, au mieux, débordés. Les gouvernements, incapables de se soustraire à la concurrence fiscale dans une économie mondialisée et coincés dans leur ambition de réduire les dépenses publiques, cherchent des solutions à coûts zéro et donnent à fond dans le recours au secteur privé.

La mode des tests standards
La situation qui prévaut au Québec en la matière n’est pour l’instant, bien sûr, pas du même ordre que ce qu’on observe aux États-Unis. Mais ce qui se passe chez nos voisins du Sud devrait nous inquiéter, ne serait-ce qu’en regard de la perpétuelle tentation des élites politiques à importer en douce des recettes d’ailleurs… même si, parfois, les mauvais résultats sont avérés.

Un exemple. En Californie, le gouvernement vient de hausser de 4 milliards de dollars le budget du système pénitentiaire… sabrant d’autant dans celui de l’éducation! Tant pis pour Victor Hugo, qui disait qu’ouvrir une école, c’est fermer une prison.

Cet État américain applique à la lettre le programme national No child left behind, une opération qui, sous couvert de mieux favoriser la réussite scolaire, ouvre dans les faits toute grande la porte à l’intrusion du privé au primaire et au secondaire. Des cibles de réussite sont fixées et, lorsqu’une école ne parvient pas à les atteindre, elle est littéralement «saisie» par l’État qui en confie la responsabilité à une firme privée. Les «chartered schools» ainsi créées peuvent éventuellement faire des profits à même les subventions de l’État même si, en principe, elles sont à but non lucratif. Quant à celles et ceux qui y enseignent, ils ne sont pas syndiqués… faut-il s’en étonner!

Ces cibles de réussite vont de pair avec une pratique qui se généralise, celle des tests standardisés, qui sont en passe de faire de véritables ravages dans la vie des écoles. Dans les matières de base (français, mathématiques, géographie), des entreprises privées concoctent et vendent des tests dits «standards» qui sont imposés dans les écoles, servant parfois de seule mesure d’évaluation des apprentissages. Ces entreprises font des profits importants en élaborant et souvent en administrant elles-mêmes ces tests, tout en augmentant leurs profits en vendant des outils de préparation à ces derniers.

Parce que ces tests sont devenus de véritables barèmes, les demandes des parents sont pressantes envers l’école pour que les enseignantes et les enseignants centrent leur travail sur la préparation à ces tests, qui finissent par obnubiler la vie scolaire. Une école qui n’offre pas de services particuliers à cet égard (soutien après l’école, voire la fin de semaine) subit de fortes pressions des parents, les résultats aux tests servant de critère pour la promotion scolaire. Dans les faits, on assiste presque à une taylorisation de l’enseignement, enseignantes et enseignants étant considérés comme des tâcherons dont le rôle principal, sinon le seul qui compte, consiste à faire réussir ces tests par les élèves, la valeur «pédagogique» se comptant au nombre de réussites à ce titre… avec souvent une paie au mérite à la clef.

Une résistance difficile à organiser
Lorsque de telles pratiques sont érigées en système, il est fort difficile d’y résister. Toute velléité de revenir à une conception plus humaniste de l’éducation se heurte à de colossaux enjeux financiers et à un discours politique de bon aloi : l’État ne dispose que de maigres ressources, il importe que les deniers publics soient dépensés en toute transparence et, dès lors, la concurrence entre les écoles est justifiée. Peu importe qu’une école soit située dans un milieu plus difficile, peu importe qu’elle ait ou non le droit de sélectionner ses élèves. Ce qui compte, la seule chose qui compte, c’est son «rendement», aussi fallacieux que puissent être les instruments qui le mesurent. Pas besoin d’aller bien loin pour observer des apôtres de ce discours au Québec : Mario Dumont, chef de l’ADQ, se décrivait sans ambages à la fin du mois d’août comme un partisan de la concurrence scolaire, faisant au passage l’apologie de l’école américaine.

Les débats sociaux entourant les pratiques scolaires sont très difficiles, en particulier parce que les parents sont interpellés individuellement et dans l’immédiat. Cela vaut pour le choix de l’école. Peut-on blâmer les parents de se demander quelle est la meilleure école pour leur enfant? Le choix va souvent aller de soi, entre un avantage individuel assez manifeste et un l’éventuel gain social, perçu comme minuscule, résultant d’un parti pris de ne pas souscrire à une logique discriminatoire en éducation.

Cela vaut d’autant plus lorsqu’une mécanique scolaire bâtie autour de tests standards est en place. Pour les parents, il devient beaucoup plus urgent de veiller à ce que son enfant réussisse les tests, quitte à rendre l’école responsable de pauvres résultats, que de joindre les rangs d’une lutte perçue comme ayant peu de chances de changer les choses.

Tout n’est cependant pas joué lorsqu’on s’organise. En Colombie-Britannique, le Ministère de l’Éducation a tenté d’importer dans les écoles la pratique de ces tests standardisés. Mais il s’est heurté à une résistance bien déterminée. Dans plusieurs écoles, les enseignantes et les enseignants ont refusé tout simplement d’utiliser ces tests et, devant la pression montante, se sont tournés vers les parents. Dans une lettre à leur adresse, ils ont expliqué en quoi l’éducation reçue par les enfants pouvait souffrir de l’approche réductrice qui sous-tend l’utilisation des tests. Complétée par des rencontres d’information, cette campagne a suscité beaucoup de réactions et les parents sont devenus, pour les enseignantes et les enseignants, de puissants alliés, le ministère a finalement battu en retraite.

Le partage de réussites syndicales de ce genre compense un peu pour les histoires d’horreurs qui émaillent l’évolution des systèmes éducatifs, au Mexique ou, comme nous l’avons vu plus haut, sur la côte Ouest des États-Unis. Mais dans l’ensemble, le portrait de l’évolution des systèmes éducatifs est plutôt désolant. «Enseigner au primaire et au secondaire, en Californie, c’est devenu non pas un second, mais un troisième choix de carrière, a constaté tristement une enseignante d’expérience à Los Angeles. La qualité générale du corps enseignant s’est effritée et au lieu de s’inquiéter de la capacité de l’école à véritablement éduquer, on s’intéresse seulement aux statistiques qui découlent des tests standardisés.»

On peut en savoir plus en consultant le site américain www.fairtest.org