École et musique, sports-Ă©tudes, bac international: les programmes particuliers se multiplient Ă  l’Ă©cole publique. Certains attribuent ce phĂ©nomène Ă  une rĂ©action de l’Ă©cole publique, qui a reçu son lot de critiques, face Ă  la popularitĂ© grandissante de l’Ă©cole privĂ©e. D’autres y voient une simple rĂ©ponse du système public Ă  une «demande» grandissante des parents pour une Ă©cole capable de prendre davantage en charge l’ensemble du dĂ©veloppement des jeunes qui lui sont confiĂ©s.

Ces programmes sont populaires. Outre la possibilitĂ© de s’Ă©panouir dans un domaine artistique, sportif ou intellectuel, ces programmes permettent aussi de construire un rapport diffĂ©rent des jeunes Ă  leur Ă©cole. On comprend mieux, Ă  la faveur de ce nouveau courant, le rĂ´le important que joue le sentiment d’appartenance, rĂ´le que l’Ă©cole peut dĂ©velopper chez les jeunes par bien d’autres canaux que celui du parcours acadĂ©mique.

On pourrait ne voir, dans cette foison de «nouveaux programmes», qu’une heureuse diversification de l’offre de formation au secondaire. Ă€ la rĂ©flexion toutefois, on semble loin d’un simple enrichissement «horizontal» de la palette des possibles en matière de d’environnement scolaire. La grande majoritĂ© des programmes particuliers ont ceci en commun qu’ils nĂ©cessitent une sĂ©lection des Ă©lèves ─ qui doivent ĂŞtre en mesure d’accomplir plus rapidement leurs tâches acadĂ©miques afin de consacrer du temps Ă  l’activitĂ© choisie ─ et qu’ils exigent une contribution monĂ©taire supplĂ©mentaire de la part des parents. C’est ainsi que la multiplication des programmes particuliers gĂ©nère, dans les faits, une forme de sĂ©grĂ©gation de la population scolaire.

Une question délicate
La question est dĂ©licate: l’Ă©ducation des enfants soulève toujours les passions. Tous les parents dĂ©sirent le meilleur pour leur progĂ©niture. Par consĂ©quent, questionner l’existence d’environnements Ă©ducatifs «haut de gamme» dans la sociĂ©tĂ© consumĂ©riste nord-amĂ©ricaine est perçu comme une atteinte Ă  la libertĂ© de choix.

Mais la question se pose tout de mĂŞme: quel bĂ©nĂ©fice social net tire-t-on Ă  tolĂ©rer, voire Ă  encourager, des pratiques de sĂ©lection scolaire qui contribuent Ă  rassembler les Ă©lèves plus «performants» dans certaines Ă©coles, confinant par le fait mĂŞme les populations scolaires moins «talentueuses» ─ ou moins riches, car ce n’est pas seulement une question de talent ─ dans d’autres Ă©tablissements?

La question touche de près le dĂ©bat sur l’Ă©cole privĂ©e. Au-delĂ  de la question de son financement public, qui a fait couler beaucoup d’encre, le droit accordĂ© aux Ă©coles privĂ©es de sĂ©lectionner leurs Ă©lèves contribue Ă  la diffĂ©rentiation des effectifs scolaires. On produit parallèlement des palmarès de toutes sortes qui entretiennent l’illusion que l’Ă©ducation est de meilleure qualitĂ© dans certains Ă©tablissements, alors que, dans les faits, on a simplement permis d’y rĂ©unir de meilleurs Ă©lĂ©ments.

Une situation préoccupante
La diversification de l’offre de formation au secondaire gĂ©nère une stratification lente et difficilement rĂ©versible des Ă©lèves. La situation est d’autant plus prĂ©occupante que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) laisse complètement aller les choses et ce, sans vĂ©ritable dĂ©bat public. Les recherches entreprises par la FNEEQ, qui a organisĂ© l’an dernier des journĂ©es de rĂ©flexion sur cette question, ont montrĂ© que le phĂ©nomène n’est Ă  peu près pas documentĂ© au MELS.

Or, cette lente transformation du système scolaire, de l’intĂ©rieur pourrait-on dire, pourrait mener Ă  des changements bien plus profonds que ceux qu’apportent les rĂ©formes. Peu Ă  peu s’installe l’idĂ©e que, s’ils ont un minimum de potentiel, il est «normal» de pouvoir «acheter» pour ses enfants – puisque c’est bien le cas – un meilleur environnement Ă©ducatif, ce qui renforce pernicieusement la conception d’un État jouant sur le plan social un rĂ´le supplĂ©tif, fournissant aux moins nantis une sorte de «minimum garanti».

On peut penser que nous sommes encore loin d’une telle ghettoĂŻsation. Mais il n’est pas certain que, dans certaines Ă©coles aux prises avec des dĂ©fis sociaux importants, le personnel enseignant s’en croie si loin. Par ailleurs, si elles ne peuvent faire directement payer les parents, bien des Ă©coles doivent recourir Ă  toutes sortes de moyens alternatifs pour financer les activitĂ©s qu’elles veulent mettre en place, voire pour des services aussi fondamentaux qu’une bibliothèque. Ainsi voit-on se multiplier les fondations, les ventes d’objets de toutes sortes, voire le recours Ă  des entreprises privĂ©es qui voudraient mousser leur image corporative.

Pas question de niveler par le bas!
Le droit de sĂ©lectionner est au cĹ“ur du problème et le moins qu’on puisse dire, c’est que le MELS fait preuve Ă  cet Ă©gard d’un certain laxisme.

Remettre en question la pratique de sĂ©lection par l’Ă©cole, ce n’est pas chercher Ă  niveler par le bas. Cela ne signifie pas abaisser les standards: c’est un appel Ă  donner Ă  chaque Ă©lève une Ă©gale possibilitĂ© d’Ă©panouissement et de dĂ©passement. Si l’importance d’acquĂ©rir une formation de qualitĂ©, la nĂ©cessitĂ© de lutter contre le dĂ©crochage et le besoin d’un pĂ´le structurĂ© d’appartenance pour les jeunes, entraĂ®nent le besoin d’une Ă©cole capable de jouer auprès des jeunes un rĂ´le plus large que celui de seulement instruire, alors il faut admettre que cela concerne tous les jeunes.

Il faut promouvoir pour toutes et tous une Ă©cole capable de se prĂ©occuper davantage de toutes les dimensions de la personne, capable d’offrir Ă  cet Ă©gard des activitĂ©s qui concourent non seulement Ă  socialiser les jeunes et Ă  dĂ©velopper leur personnalitĂ©, mais qui peuvent aussi, dans bien des cas, se rĂ©vĂ©ler le levier indispensable Ă  la rĂ©ussite acadĂ©mique.

Des ratios profs/Ă©lèves trop Ă©levĂ©s, la pauvretĂ© des budgets et l’Ă©troitesse du cadre horaire empĂŞchent actuellement bien des Ă©coles Ă  se dĂ©velopper dans cette voie… sauf au prix d’une sĂ©lection et d’une contribution des parents. Cette Ă©cole souhaitĂ©e par tout le monde n’est ainsi accessible qu’Ă  certains… avec la consĂ©quence sournoise que la situation devient encore plus difficile pour les autres, privĂ©s, dans leur environnement scolaire immĂ©diat, d’activitĂ©s qui seraient pourtant particulièrement bĂ©nĂ©fiques et stimulantes, privĂ©s aussi de la prĂ©sence de compagnes et de compagnons entretenant un rapport plus positif Ă  l’Ă©cole.

Suggestion d’encadrĂ© en exergue

Ă€ l’Ă©cole Pierre-Dupuis, au milieu de l’un des quartiers les plus difficiles et des moins bien nantis de l’Ă®le de MontrĂ©al, un directeur a obtenu de bons rĂ©sultats en… mettant sur pied une Ă©quipe de football, qui a pu canaliser l’Ă©nergie de plusieurs jeunes, dĂ©velopper un sentiment d’appartenance et contribuer Ă  assainir un climat qui s’Ă©tait lourdement dĂ©tĂ©riorĂ©. Malheureusement, il a dĂ» pour ce faire endetter lourdement son Ă©cole….