NON À UNE RÉVISION QUI DÉNATURE LE DEC!
UN MORATOIRE EST NÉCESSAIRE!
En février dernier, le service de la formation préuniversitaire et de l’enseignement privé du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a lancé une consultation auprès de tous les collèges en proposant une structure complètement différente du programme préuniversitaire en Sciences de la nature. Résultat d’une démarche pour le moins contestable, la proposition sur la table ouvre la porte à des dérives majeures qui remettraient en question une formation dont la qualité est pourtant avérée depuis plusieurs années.
Depuis 1993, le ministère de l’Éducation ne détermine plus les cours, mais prescrit les compétences qui sont ensuite mises en œuvre dans les différents cégeps par la création d’une grille de cours qui fait office de « menu » d’un programme donné. On observe que le développement local des programmes techniques rend la mobilité étudiante plus difficile malgré la préoccupation des collèges à offrir une formation complète et transférable. De plus, une adaptation trop collée aux stricts besoins à court terme des entreprises locales comporte l’effet pernicieux de rendre aussi la main-d’œuvre moins mobile.
DES CHANGEMENTS VRAIMENT NÉCESSAIRES ?
Dans le programme actuel de Sciences de la nature, il n’y a pas de différence entre un cours et une compétence. Par exemple, en mathématique, le « cours réseau » calcul intégral (201-NYB) est un cours de cinq heures associé à une compétence du devis ministériel. L’ensemble des compétences du devis permet actuellement aux collèges de créer différents profils de sortie. Le projet de programme propose d’aller beaucoup plus loin dans cette voie en modifiant significativement les connaissances enseignées et la manière de les organiser tout au long du parcours. Ce changement structurel pave la voie à une prolifération des parcours préuniversitaires dont les effets pourraient poser problème à plusieurs égards.
Après avoir complété leur programme en Sciences de la nature, les étudiantes et les étudiants vont sur les bancs de l’université. Bien que leur choix ne soit pas toujours fixé à l’avance, un bon nombre choisissent ce programme pour garder toutes les « portes ouvertes » : est-ce que ce sera encore possible ? Les cheminements universitaires auxquels conduit le programme se situent principalement dans les domaines des sciences de la santé (20,2 %), des sciences pures (32,7 %) ou des sciences appliquées et de génie (32,3 %) [1]. La structure préconisée par le projet de programme − notamment l’introduction de compétences transdisciplinaires, la diminution de connaissances disciplinaires obligatoires et l’absence de prescriptions ministérielles précises quant au nombre de périodes associées aux disciplines −, risque d’appauvrir considérablement la qualité du programme actuel, tout en entraînant inévitablement des parcours très différenciés d’un collège à l’autre, voire d’une personne à l’autre dans un même collège. Certains de ces parcours pourraient même être si pointus et orientés qu’ils ne permettraient l’accès qu’à un nombre restreint de programmes universitaires. Ainsi l’éclatement de cette « offre nationale de cours » imposerait le choix d’une orientation de carrière plus tôt. De plus, cela entrainerait plus de confusion quand viendrait le temps de choisir un programme. Finalement, cet éclatement représenterait un véritable casse-tête pour les services d’admission qui peineraient à démêler l’acquisition des préalables. Notons d’ailleurs que des discussions ont cours dans les universités sur la possibilité d’abandonner la notion de préalables à l’admission et de plutôt exiger des cours de mise à niveau aux candidates et aux candidats. On peut vraiment se demander ce qui adviendra des programmes préuniversitaires.
DES PERTES D’EMPLOIS À PRÉVOIR
Pour ajouter à ces considérations académiques et organisationnelles inquiétantes, le programme proposé, s’il est mis en œuvre, entrainera une diminution importante du nombre de périodes dans certaines disciplines, dont mathématiques et en physique. Est-ce un hasard si ces disciplines sont souvent sur la sellette relativement aux taux de réussite des étudiantes et des étudiants ? Cette diminution d’heures se traduira par de nombreuses pertes d’emplois à statut précaire et par la mise en disponibilité d’enseignantes et d’enseignants permanents, alors que l’utilité de ces « sacrifices » reste à démontrer. Un autre aspect non négligeable avec lequel il faudra composer est le difficile partage des compétences transdisciplinaires et son impact sur le climat de travail.
UNE RÉFLEXION EST NÉCESSAIRE
Le rapport d’étude d’Éduconseil, préalable à la révision du programme, indique que « les personnes consultées constatent une certaine hétérogénéité en ce qui concerne les connaissances disciplinaires acquises par les élèves […] [et souhaiteraient] une plus grande uniformité sur le plan des apprentissages faits par les élèves au cours des études collégiales [2] ». Il est étonnant de constater que la structure de programme proposée va très certainement amplifier ce problème. En réaction à cette consultation, la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), qui réunit plus de 85 % du personnel enseignant des cégeps, exige un moratoire sur le processus de révision dans les collèges et demande que la signature ministérielle du programme soit reportée. Ce délai permettrait de faire les analyses et les discussions avec tous les acteurs impliqués sur la cohérence ainsi que la pertinence du programme proposé et contre la perte du caractère national du DEC. La FNEEQ n’est pas en train de dire que le programme de Sciences de la nature est parfait, mais que, s’il nécessite des ajustements, ceux-ci ne sont pas nécessairement d’ordre structurel. En effet, un programme qui assure une grande uniformité nationale n’empêche pas la transdisciplinarité et les initiatives locales, puisqu’il existe dans le programme actuel une compétence générique qui permet aux collèges de donner une « couleur locale » à la fin du parcours du DEC, notamment en créant des « options ». La diversité des approches pédagogiques rend également les parcours étudiants uniques, intéressants et significatifs.
Il est souhaitable d’avoir une réflexion nationale pour éviter que les cégeps se lancent individuellement dans une consultation d’une telle importance. Depuis 2016, la FNEEQ s’oppose fortement à toute modification du RREC qui permettrait l’ajout de compétences locales. En conséquence, la FNEEQ s’oppose aussi à des mesures qui auraient le même effet sur le caractère national du DEC. Celui-ci doit être préservé à tout prix. Un DEC, c’est un DEC, partout au Québec !
[1] Éduconseil (mars 2014) : Le profil attendu par les universités de la part des élèves diplômés des programmes d’études préuniversitaires en sciences. [En ligne] http://www.lareussite.info/wp-content/uploads/2017/01/2014-03_educonseil_profil-attendu-des-universites-eleves-diplomes-sciences.pdf, page 16 (page consultée le 14 mars 2018)
[2] Éduconseil (mars 2014) : Le profil attendu par les universités de la part des élèves diplômés des programmes d’études préuniversitaires en sciences. [En ligne] http://www.lareussite.info/wp-content/uploads/2017/01/2014-03_educonseil_profil-attendu-des-universites-eleves-diplomes-sciences.pdf, page 40 (page consultée le 14 mars 2018)