Le « rendre accessible les moyens » nous apparaît plus porteur que le « rendre obligatoire »

Intervention de Ronald Cameron, président de la FNEEQ au colloque du CIREPE, 15 mars 2007

Le Centre d’intervention et de recherche en évaluation du personnel enseignant (CIREPE) a tenu un colloque les 15 et 16 mars dernier à Québec sur le thème de L’évaluation des enseignants : pourquoi ? comment ?. Le comité organisateur du colloque avait prévu une table ronde sur L’évaluation des enseignants et la qualité de la formation à laquelle ont participé Robert Ducharme, président de la commission des affaires pédagogiques de la Fédération des cégeps, Hélène David, vice-rectrice aux études de l’Université de Montréal, Mario Beauchemin, président de la Fédération des enseignantes et des enseignants de cégep (CSQ) et Ronald Cameron, président de la FNEEQ-CSN. Nous reproduisons ci-dessous l’intervention présentée par le président de la FNEEQ et préparée par le comité école et société.

Bonjour tout le monde,

J’aimerais d’abord saluer les membres du comité organisateur du colloque, les représentants des collèges, des universités et des différents réseaux de l’éducation, ainsi que tous les collègues enseignants. Je veux remercier en particulier les membres du comité organisateur de ce colloque pour y avoir prévu l’exposé de l’approche syndicale.

Lorsque nous avons reçu l’invitation à participer à la table ronde, nous nous sommes posés immédiatement la question que Réjean Parent, président de la CSQ, soulevait dans sa conférence plus tôt dans la journée, À quoi va servir cette intervention ? Nous questionnions ainsi le sens de cette proposition compte tenu du contexte marqué par le fait que ce fut d’une part un objet de négociation, et d’autre part, que celle-ci s’est terminée par un décret. En effet, la question de l’évaluation du personnel enseignant dans une institution d’enseignement supérieur est très près des questions du pouvoir dans un établissement. Nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes et un comité de réflexion de la fédération, en l’occurrence le comité École et société que plusieurs connaissent ici, a travaillé à préparer l’exposé que je vais maintenant vous présenter. Je veux aussi indiquer que mon propos sera centré sur la situation dans les cégeps, malgré le fait que nous représentons nombre de personnes chargées de cours, qui connaissent une situation différente.

Il est fort probable que nous ayons, à l’égard de l’évaluation, une approche fort différente de celles de la plupart des représentants de collèges qui se sont inscrits à ce colloque. Mais l’exercice n’aura pas été vain si la notre participation aux discussions d’aujourd’hui et de demain peut conduire, d’abord à une meilleure compréhension des réticences légitimes exprimées par les premiers intéressés face aux systèmes d’évaluation que certains collèges entendent mettre en place, et aussi se traduire, localement, par une meilleure ouverture aux représentations syndicales.

À la FNEEQ, au cours des 20 dernières années, les discussions sur l’évaluation ont été récurrentes. De nombreux échanges ont eu lieu là-dessus et tous ces débats ont mis en lumière, chez nos membres, de profondes réticences à l’égard des systèmes généralisés d’évaluation, des interrogations quant à leur véritable finalité et, enfin, des doutes quant à leur efficacité dans la poursuite d’un enseignement de qualité.

Associer ces réticences à la résistance au changement, c’est refuser, croyons-nous, de débattre du fond de la question. Au contraire, ces réserves s’inscrivent dans une réflexion authentique et continue, sur les conditions à développer pour permettre aux enseignantes et aux enseignants de mieux remplir cette mission qu’est l’enseignement supérieur au collégial, mission que portent au premier chef et à bout de bras celles et ceux-là qu’on essaie, aujourd’hui, de convaincre des vertus d’une évaluation systématique.

Les raisons invoquées pour sa mise en place sont fort peu convaincantes. Il s’agirait, pour certains, de pouvoir attester de la qualité de l’enseignement financé par les deniers publics. On conviendra que dans un contexte où la grande majorité des intervenants s’entend sur la nécessité d’assurer un caractère confidentiel à l’évaluation, l’argument est pour le moins paradoxal. D’autant que la loupe portée sur la qualité des programmes et des enseignements qui y sont dispensés est grossissante : l’évaluation est omniprésente et de nombreuses politiques et règlements ont vu le jour à cette fin. Le fait de travailler en collégialité avec des pairs en fonction d’objectifs partagés, le fait d’interagir avec des étudiantes et des étudiants en grand nombre, tout cela est manifeste d’une profession déjà largement soumise au regard des autres.

Pour d’autres, il s’agirait tout simplement de fournir au corps enseignant les outils nécessaires pour lui permettre de s’améliorer. L’évaluation formative peut paraître plus acceptable mais, malgré cela, c’est comme si les outils pour ce faire n’existaient pas, comme si la pratique réflexive n’était pas, au sein des départements et des programmes, déjà présente et bien vivante. Il est clair pour nous que l’amélioration de l’enseignement d’une enseignante ou d’un enseignant ne provient pas en soi d’un quelconque processus d’évaluation individuelle, mais d’une volonté d’investir dans sa pratique. Qu’on opte pour une évaluation effectuée par d’autres, parmi un ensemble d’options pouvant offrir une rétroactivité sur sa pratique, relève de chacun. Nous pensons que l’évaluation n’est qu’un modèle parmi d’autres.

Nos réticences face à une évaluation généralisée concernent deux aspects : d’une part, nous nous questionnons sur sa pertinence et, d’autre part, nous sommes très préoccupés par ses inévitables effets pervers. Je reviendrai dans ce contexte sur ce qui fut convenu sur l’évaluation dans la convention collective dans les cégeps.

Mais commençons par nos réserves sur la pertinence. Je ne parle pas ici, bien sûr, de l’évaluation « en soi ». Comme nous venons de l’évoquer, il y a toute la différence au monde entre l’intérêt que peut présenter, sur le plan individuel, une évaluation librement sollicitée dans le cadre d’une démarche volontaire d’amélioration professionnelle, et la mise en place d’un système généralisé d’évaluation. Nous croyons que le présent contexte est pourtant largement ouvert et chaque enseignante ou enseignant peut, à n’importe quel moment, obtenir sur demande et dans une forme qui lui convient, une rétroaction sur son enseignement.

À quoi tient donc cette volonté de systématiser la chose ? Quelle est l’utilité d’en faire une obligation ?

Les tenants d’un lien entre l’évaluation individuelle généralisée et la qualité verraient-ils quelque part des indices d’une baisse de qualité dans l’enseignement collégial ? Pas à notre connaissance, en tout cas. La qualité de la formation nous semble indiscutable, et les sources sont nombreuses à en témoigner. Alors, où est le problème ?

La question porte à conséquence parce qu’il y a des coûts associés à tout cela. Certains collèges, promoteurs de l’évaluation systématique, seraient prêts à y investir des sommes importantes annuellement… alors même que plusieurs enseignantes et enseignants se plaignent de restrictions concernant, par exemple, la reproduction de matériel didactique ou l’achat de logiciels !

Le questionnement sur la pertinence d’une systématisation de l’évaluation tient aussi aux limites de ce genre d’exercice, limite que soulignent d’ailleurs plusieurs pédagogues.

Ces limites sont inhérentes à la nature même de l’acte d’enseigner, un acte qui repose essentiellement sur une relation humaine. Elles tiennent aussi aux limites intrinsèques du regard porté sur l’enseignement. L’enseignement est une pratique complexe et de nombreuses interactions sont en jeu. Dans cette pratique, le professeur est appelé à porter un jugement sur les progrès que réalisent les étudiantes et étudiants dans leur apprentissage. Ces derniers sont-ils vraiment en mesure de se prononcer sur l’atteinte des objectifs, sur la qualité des enseignements qu’ils reçoivent hors de tout intérêt personnel ? Un contexte de classe serein a bien des chances de conduire à une évaluation sereine. Mais est-ce là l’enjeu ? Par ailleurs, une enseignante ou un enseignant qui est l’objet d’une contestation ou victime d’une discrimination ne vit-il pas une situation autrement plus difficile et qui ne saurait se résoudre par un questionnaire et son suivi ? Il faut regarder ailleurs.

Ce sont des réflexions de ce genre qui portent à penser que dans un domaine aussi délicat que l’évaluation d’une pratique si intimement liée à la personne, la prudence est de rigueur. En matière d’évaluation, le « rendre accessible les moyens » nous apparaît ainsi beaucoup plus porteur que le « rendre obligatoire ».

Il est à ce sujet assez significatif qu’aucun ordre professionnel, à notre connaissance, n’a recours à un système d’évaluation généralisé pour assurer la qualité des services rendus par ses membres. Au contraire, la grande majorité des ordres professionnels ont choisi une approche semblable à celle que nous préconisons, en mettant l’accent sur le préventif et sur le curatif. Ajoutons que le jour où les professeurs se verront comme des pourvoyeurs de services de formation et les étudiantes et étudiants comme des clients, le tout chapeauté par un service à la clientèle, je crois que nous aurons collectivement failli à notre mission d’éducation.

Qu’en est-il de la position de la FNEEQ ? Nous sommes persuadés, à la FNEEQ, qu’il faut investir davantage dans l’insertion professionnelle, qu’il faut aussi développer une culture de soutien professionnel, dans le cas de litiges pédagogiques. Loin de nous l’idée qu’il n’y a jamais de problèmes. Il faut se donner les moyens de leur apporter des solutions, il faut se donner des procédures à cette fin, dans le respect des professeurs et des étudiants concernés. Cela constitue l’exception et cela suppose une gestion par exception.

Il y a finalement, concernant la pertinence de généraliser les pratiques évaluatives dans un collège, un irritant circonstanciel qui n’est pas sans toucher plusieurs de nos membres. Le principal obstacle dans les collèges, c’est une tâche qui ne cesse de se complexifier et de s’alourdir. Après avoir vu nié par le ministère et par la Fédération des cégeps l’alourdissement manifeste de la tâche enseignante, qui a des impacts directs sur la qualité du travail, il est difficile de ne pas trouver problématique la volonté de procéder à une évaluation générale des professeurs.

Finalement, on ne peut faire abstraction des effets pervers d’un processus d’évaluation institutionnalisé. On s’interroge, notamment dans les milieux universitaires. Il a fallu des années de patiente élaboration de balises pour en arriver à quelque chose de viable… mais les conflits pédagogiques continuent d’être traités à la pièce !

Quant à l’évaluation formelle et obligée par les pairs, nous doutons qu’elle puisse être constructive dans un contexte où la collégialité, l’entraide et la poursuite d’objectifs partagés devraient primer. Il est de la responsabilité des départements d’assurer la qualité des enseignements dont ils ont la charge. Des efforts importants sont faits en ce sens, et toujours plus. Encore là, la concertation a meilleur goût que le regard scrutateur. L’évaluation systématique entre pairs porte en elle le germe du conflit et de la division. Et, dans un cégep, on ne peut prétexter qu’elle puisse servir à une promotion quelconque.

On peut par conséquent se demander pourquoi, compte tenu de toutes ces réserves, la FNEEQ a consenti à ce que soit incluse, dans la convention collective, une lettre d’entente sur l’évaluation.

La raison en est simple. Les positions que nous développons sur l’évaluation font état de l’essentiel de ce que je viens d’exposer. Ce n’est pas l’évaluation en soi qui pose problème, ni le fait de l’encourager, mais le fait de l’ériger en un incontournable, en un système généralisé obligatoire partout. Plusieurs de nos syndicats ne sont pas à l’aise avec cette perspective. Certains préfèrent la définir par l’assistance, le soutien professionnel et le règlement des litiges. D’autres, quant à eux, choisissent de tenter de négocier avec leur administration locale.

Mais au-delà des positions qui se développent localement, il nous est apparu qu’en cette matière, la reconnaissance syndicale devait être une condition essentielle de la mise en place d’une politique à propos de l’évaluation. C’est ce que nous avons exprimé dans la convention.

Nous avons explicitement, dans cette lettre d’entente, incité les parties locales à s’entendre, et j’insiste sur l’expression « s’entendre », en matière d’évaluation. Voilà le message principal.

Trop de cas nous sont rapportés où la négociation est bloquée par l’absence d’une réelle volonté, de la part des administrations, de reconnaître que les principaux visés en cette matière sont les profs, que ces derniers sont regroupés en un syndicat, et qu’on ne peut pas considérer le syndicat comme un « partenaire » quand il s’agit par exemple de lever des fonds pour une fondation ou faire la promotion du collège, et ne plus l’être quand il s’agit de mettre au point des politiques qui touchent aussi directement le travail enseignant.

Quiconque œuvre dans le réseau sait toute l’amertume et toute la rancœur que les dernières négociations ont laissées derrière elles chez les enseignantes et les enseignants. On pourra débattre des mérites de l’évaluation généralisée, trouver ou non un modus vivendi à cet égard, il reste que c’est autour du respect que se joue une bonne partie du climat de travail et, partant, le dynamisme d’un collège.

Des directions ont compris cet incontournable. J’espère que ce court exposé pourra contribuer à ce que d’autres directions aillent dans le même sens.