Le débat sur les droits de scolarité, récurrent dans la société québécoise, connaîtra sous peu un autre épisode, à l’occasion d’un forum sur les universités organisé par la ministre Beauchamp. Rappelons que le gouvernement Charest a amorcé, en 2008, un dégel progressif des droits de scolarité et que si l’on se fie au budget présenté en mars dernier par le ministre Bachand, il faut envisager bien pire, soit une hausse majeure des droits et une différentiation possible de ceux ci selon les programmes d’études.
Pour la FNEEQ, la gratuité de l’éducation et de l’enseignement supérieur a toujours constitué une valeur centrale, partie intégrante et structurante du projet de société qu’elle défend. À une certaine époque, l’enseignement secondaire était un privilège – qu’il fallait d’ailleurs souvent payer – réservé à une minorité capable de produire la petite élite dont la société pouvait avoir besoin. Les temps ont changé, l’éducation secondaire est devenue une nécessité, puis un droit. La mouvance sociale nous amène dans cette direction pour la formation supérieure qui, de la même manière, devrait être revendiquée comme un droit. C’est un changement profond de paradigme, dans lequel s’inscrit la demande de gratuité scolaire à l’université. Le gel, ou la disparition de ces droits, constitue dès lors un geste social proactif et un vecteur de changement, contrairement à l’image d’immobilisme que tentent d’en donner les tenants de l’orientation utilisateur-payeur.
Bien sûr, il faut trouver une solution au sous-financement des universités. Nous en sommes. Mais ce débat est large : il interpelle l’état réel des finances publiques et la propension du gouvernement à augmenter ses sources de revenus pour faire face à de nouveaux besoins sociaux. C’est dans le cadre d’une approche différente des finances publiques, plus progressive et plus sociale, qu’il faut examiner le financement des universités. À cet égard, les suggestions ne manquent pas . Au vu des diverses avenues qui pourraient constituer des choix de société différents, la hausse et la différentiation des droits de scolarité à l’université sont des choix essentiellement politiques.
Choix idéologiques, donc, et c’est sur ce terrain qu’il faut faire le débat. Et certains arguments de ce débat, relayés souvent dans les médias, méritent qu’on s’y arrête.
Afin que ses membres participent activement aux discussions que nous appréhendons sur la question, la FNEEQ a demandé au comité école et société de mettre à jour l’ensemble de nos positions et de nos réflexions sur les droits de scolarité : un argumentaire à diffuser et à utiliser largement auprès des membres des syndicats et aussi auprès des étudiantes et des étudiants.
1 L’accessibilité au savoir et à la formation : une question de principe
Une éducation supérieure de qualité et accessible à tous, peu importe la provenance socio-économique des individus, est une responsabilité collective que la population québécoise a choisi d’assumer depuis 1968. Ce choix, qu’elle a réitéré en 1996 lors des États généraux, est une des conditions essentielles pour que l’accès à un meilleur niveau de vie soit possible pour tout le monde. L’éducation, prise dans son sens large et dans ce qu’elle a de plus essentiel, vise à assurer le plein développement de l’être humain, l’évolution des mentalités et des mœurs, la diffusion de nouvelles valeurs fondamentales ainsi que la liberté et la diversité des modes d’existence dans une démocratie. Dans une société du savoir comme la nôtre, il serait désastreux de songer à revenir en arrière.
L’accès aux études supérieures demeure limité pour les jeunes issus des classes défavorisées et le sera davantage si le gouvernement maintient sa décision d’augmenter les droits de scolarité. Déjà, si rien ne change, les étudiantes et les étudiants auront subi une hausse de 30 % de ces droits, entre 2008 et 2012. Soulignons que l’objectif gouvernemental de rejoindre la moyenne canadienne des droits de scolarité impliquerait une hausse de 145 %.
Maintenir les droits de scolarité au plus bas seuil possible, voire les éliminer, est la première condition pour que soit maintenue l’équité d’accès aux études supérieures. L’ensemble du contexte commanderait par ailleurs que nous révisions nos pratiques sociales à l’égard des étudiantes et des étudiants.
Nous sommes entrés dans une ère où la formation postsecondaire d’une fraction importante de la population est devenue l’assise incontournable du développement de la société et des individus. Dans un tel contexte, l’accès aux études supérieures devrait être conçu comme un droit et non comme un privilège tarifé.
2 L’éducation est un droit et non pas un produit qu’on achète
Selon nous, l’éducation est un droit fondamental, pour tous, de la maternelle à l’université. Soumettre l’éducation au concept de l’utilisateur-payeur va totalement à l’encontre de ce droit fondamental. Ce modèle a comme conséquence inévitable de créer un système inéquitable qui contribue à accentuer les inégalités, comme dans le secteur de la santé.
La logique marchande en éducation mène nécessairement à une hiérarchisation de la qualité de la formation, donc à une différentiation – selon le portefeuille de la famille – de la formation qui peut être « achetée ».
L’éducation est un bien commun, pas une marchandise. Elle est un bien commun parce qu’une personne instruite fait profiter l’ensemble de la société de son savoir ; parce qu’avec davantage de gens instruits, les expertises se multiplient et permettent de répondre plus efficacement aux défis qui attendent la communauté.
C’est la raison pour laquelle il faut penser l’éducation selon le principe d’une solidarité sociale. Le rôle de démocratisation – dévolu explicitement aux universités et aux cégeps dans le Rapport Parent – ne peut et ne doit pas être remis en question. Or, dès qu’il devient nécessaire « d’acheter » une formation, on s’éloigne nécessairement d’une école et d’un enseignement supérieur constituant un authentique levier de brassage social.
L’imposition de droits de scolarité élevés transforme l’éducation en produit, ce qui vient entre autres choses pervertir la notion d’une éducation de qualité, puisque, implicitement, on la soumet ainsi, elle aussi, au principe de concurrence, de la valeur ajoutée et d’une qualité variable qu’on peut ou non s’acheter. Ultimement, seuls les individus fortunés pourront profiter d’une éducation « haut de gamme » forcément plus chère.
Il est important de distinguer, dans une société, ce qui appartient à la sphère marchande et ce qui relève du bien commun et des droits fondamentaux.
3 L’augmentation des droits de scolarité nuit à l’accessibilité
Certains prétendent que l’augmentation des droits de scolarité n’a que très peu d’impact sur l’accessibilité, puisque la fréquentation des universités au Canada où les droits sont plus élevés est comparable, voire meilleure, qu’au Québec.
Voilà un argument fallacieux, qui confond taux de fréquentation, accessibilité et profil des effectifs étudiants.
Il est vrai qu’augmenter les droits de scolarité ne conduit pas nécessairement à diminuer drastiquement la fréquentation globale. La nécessité, de plus en plus grande, d’une formation supérieure oblige effectivement les jeunes à faire davantage de sacrifices pour étudier plus longtemps, ce qui atténue les effets observables des hausses de droits. En 2010, le réseau universitaire québécois comptait environ 18 000 inscriptions de plus qu’en 2008. Malgré le dégel des droits de scolarité, cette hausse s’explique en partie par le nombre plus élevé de diplômés au collégial et par la crise économique qui incite plusieurs jeunes (qui peuvent se le payer) à poursuivre leurs études supérieures.
Il est faux par ailleurs de dire que le taux de fréquentation des études supérieures est moins élevé au Québec qu’ailleurs au Canada. Grâce à la gratuité scolaire – si l’on tient compte du collégial – le Québec est la province ayant les meilleurs résultats quant au pourcentage de jeunes inscrits aux études supérieures.
La barrière financière ne jouant pas de la même manière pour tous, il est important de souligner qu’une hausse des droits mène aussi – et peut-être surtout – à un déplacement du profil des effectifs vers les groupes socio-économiques favorisés. Les facultés contingentées, pour lesquelles le nombre de demandes dépasse largement le nombre de places, continuent évidemment d’afficher « complet » après une hausse des droits.
La proportion d’étudiantes et d’étudiants en provenance de régions éloignées ou de quartiers pauvres, ou moyennement pauvres, est au Québec de 22 % plus élevée qu’ailleurs au Canada. N’est-ce pas là un gain précieux ? Selon le Journal of Higher Education, pour chaque augmentation de 1 000 $ des droits de scolarité, la proportion d’étudiantes et d’étudiants moins nantis – susceptibles de persister et de terminer leurs études – baisse de 19 %, toutes disciplines confondues.
« Sans surprise, les droits de scolarité ont un effet négatif sur la probabilité de s’inscrire. » Ce n’est pas la FNEEQ qui l’affirme, mais bien le MELS, dans une étude datant de 2007. Les autres facteurs ayant des effets négatifs sur les inscriptions sont l’âge, le lieu de résidence et le nombre d’heures travaillées pendant les études. De plus, l’étude prévoit que l’abolition des droits de scolarité amènerait une hausse de 8 % du nombre d’inscriptions, alors que la hausse rapide et importante des droits (équivalant à ceux observés dans le reste du Canada) provoquerait une baisse d’environ 10 %.
« Pour résumer, il existe des preuves que la soudaine et importante déréglementation des frais de scolarité des programmes professionnels en Ontario était associée à une augmentation absolue et relative de la probabilité que les étudiants provenant de familles aisées poursuivent des études menant à un diplôme professionnel. »
Les tenants du dégel disent que l’argent n’est pas la barrière principale à la fréquentation universitaire… drôle de raisonnement. Le fait qu’un obstacle ne soit pas le seul justifie-t-il qu’on rende ce dernier encore plus important ?
Il est faux de prétendre qu’une hausse des droits ne nuit pas à l’accessibilité. Elle a, au contraire, un effet réel sur les chances d’entreprendre et de réussir des études supérieures, et cet effet est particulièrement dramatique chez les moins bien nantis.
4 L’équité passe par la fiscalité
Les droits de scolarité constituent une mesure régressive : plus l’étudiant est démuni, plus il a de la difficulté à assumer les coûts. L’étudiant en provenance d’un milieu aisé, par contre, peut absorber sans difficulté les augmentations qu’on lui impose.
Une fiscalité progressive fait en sorte que les montants donnés à l’impôt correspondent à la capacité de payer de chacun. Une éducation financée à même les impôts permet ainsi de la rendre plus accessible.
La progressivité des impôts a cependant été réduite au Québec de 1988 à 1998 : le nombre de paliers d’imposition est passé de seize à trois, ce qui a surtout profité aux citoyens gagnant de hauts revenus. L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), dans un document intitulé Budget 2010 : comment financer les services publics, propose quant à lui une table d’impôt plus équitable à dix paliers, ce qui rétablirait une véritable progressivité des impôts. Ainsi, les individus qui profitent de hauts salaires, auront largement l’occasion de contribuer au financement de l’éducation.
L’évasion et l’évitement fiscaux, par le biais des paradis fiscaux, permettent à de nombreux individus, parmi les plus fortunés, de ne pas payer leur part d’impôts. Un accord de « double imposition » entre le Canada et la Barbade, par exemple, a fait de ce dernier pays – un paradis fiscal – la deuxième destination des investissements canadiens, après les États-Unis, ce qui permet de soutirer d’importantes sommes à l’impôt sans être embêté. Malgré certaines déclarations des Libéraux et des Conservateurs, rien n’a été fait pour empêcher efficacement les fuites fiscales.
Une taxe sur les transactions financières pourrait, quant à elle, rapporter entre 300 et 1 000 milliards de dollars par année à l’échelle mondiale. Une partie de ce montant pourrait être consacrée à l’éducation et aux services de santé, tant dans les pays pauvres que dans les pays développés. Cette mesure est soutenue, partout dans le monde, par de nombreuses organisations de la société civile. Pourtant, le gouvernement canadien est l’un des opposants les plus acharnés à l’égard de cette taxe.
Il est donc possible de bien financer l’éducation sans avoir recours à une hausse des droits de scolarité. Il faut avoir pour cela le courage d’imposer une fiscalité vraiment équitable.
5 L’aide financière aux études (AFE) est insuffisante et inadaptée
Les tenants de la hausse des droits de scolarité prétendent que cette dernière peut être compensée par un meilleur régime de prêts et bourses – accessibles aux étudiantes et aux étudiants les moins fortunés – afin de garantir l’accessibilité et la réussite. C’est une illusion, selon les associations étudiantes et d’autres études, car il faudrait immédiatement procéder à un ajustement de 239 millions $ (estimation de 2008) uniquement pour actualiser les besoins du régime avant d’en concevoir un autre, plus satisfaisant et plus coûteux. Le régime en vigueur comporte de nombreuses carences et ne tient pas compte du coût de la vie quant aux frais de subsistance .
Ce régime, à l’université, ne sert pas à l’ensemble des étudiantes et des étudiants car il bénéficie surtout à celles et à ceux qui sont inscrits aux études de maitrise et de doctorat – et encore, seulement 30 % d’entre eux y ont finalement accès. Les étudiantes et les étudiants au premier cycle – qui comptent pour 75 % de la population étudiante universitaire – en perçoivent une maigre part après avoir reçu un prêt qui équivaut à lui seul aux trois-quarts de l’aide financière aux études (AFE); la plupart n’ont pas de bourse, mais seulement un prêt.
Si on ajustait l’AFE, il faudrait mettre l’accent sur les bourses afin d’éviter l’endettement cumulatif; mais il faut surtout comprendre qu’aucun ajustement du régime des prêts et bourses ne serait suffisant pour compenser, chez les moins nantis, une hausse des droits. Cela, sans compter la nécessité d’assujettir d’éventuelles bourses à des critères de mérite scolaire, soumettant ainsi les étudiantes et les étudiants les plus pauvres à une forme de méritocratie à laquelle échapperaient les plus riches!
Une telle approche pénaliserait également un large groupe d’étudiantes et d’étudiants issus de la classe moyenne. L’étude déjà citée de l’IRIS, s’appuyant sur d’autres recherches, conclut que : « Les politiques de frais de scolarité élevés, plus ou moins compensés par des programmes d’aide financière, mènent, tant au Canada qu’aux États-Unis, au renforcement des inégalités déjà présentes à l’université. »
L’aide financière – même si elle est améliorée – contribuera encore à l’endettement, elle ne pourra pas compenser la hausse des droits de scolarité et nuira à l’accessibilité d’une large part d’étudiantes et d’étudiants provenant des classes sociales moins nanties.
6 L’endettement étudiant : un fardeau déjà trop lourd
L’endettement est la principale cause d’abandon des études universitaires et constitue une entrave pour les entreprendre. L’aversion pour l’endettement pèse considérablement dans la décision des jeunes face à l’université. Le régime des prêts et bourses n’est plus indexé au coût de la vie et, s’il distribue beaucoup de prêts, il n’accorde que bien peu de bourses. Plusieurs étudiantes et étudiants ont un travail rémunéré pour subvenir à leurs besoins primaires, ce qui occasionne un allongement des études. Évidemment, pendant leur scolarité, la plupart des jeunes n’auront accès qu’à des emplois précaires et mal rémunérés, travaillant près de 20 heures par semaine. En combinant leur revenu de travail et leur prêt étudiant, on estime que plus du quart des étudiantes et des étudiants vivent sous le seuil de faible revenu; pour celles et ceux qui sont inscrits aux études supérieures, c’est le lot de la majorité.
Un jeune couple vivant conjugalement et inscrit aux études supérieures à l’université additionne le poids négatif d’une dette pouvant atteindre les 70 000 $ et même davantage. Plusieurs empruntent aussi, sur leur crédit personnel, aux banques. En début de carrière, au bas de l’échelle salariale, les remboursements seront pénibles. Dans ce contexte, inutile de souligner que les perspectives d’avenir en vue de fonder une famille sont peu attirantes.
Au Canada, en 2010, on estime la dette cumulée des étudiants à près de 15 milliards de dollars. L’État québécois doit payer les retards de remboursement aux banques et racheter les mauvaises créances, pour un montant annuel qui dépasse les 35 millions de dollars depuis dix ans. Les dettes personnelles deviennent ainsi un fardeau collectif grandissant. La dette personnelle des étudiants n’est plus admissible à une déclaration de faillite, selon la loi.
L’allongement des études « normales » devrait conduire à réviser et à ajuster nos pratiques sociales à l’égard des étudiantes et des étudiants. Plutôt que de lorgner vers une hausse inéquitable des droits, ne devrions-nous pas tenter – socialement – de rendre leur condition moins difficile, en améliorant par exemple l’ensemble des réductions consenties aux étudiantes et aux étudiants (transport en commun, matériel utile aux études, loisirs, etc.) ?
Le financement adéquat de l’éducation est un investissement social qui ne peut s’accompagner d’un endettement insupportable pour les personnes et pour la collectivité.
7 L’augmentation des droits de scolarité n’est pas la solution au sous-financement
Le sous-financement chronique des universités est devenu le prétexte invoqué pour augmenter les droits de scolarité. Puisque nous n’arrivons plus à financer adéquatement l’éducation supérieure, nous dit-on, faisons donc payer celles et ceux qui en profitent.
Il s’agit d’une option politique : il y en a d’autres.
D’abord, rien ne garantit que les sommes déboursées en droits de scolarité permettront un meilleur financement de l’éducation supérieure. Les augmentations pourront servir de prétexte au gouvernement du Québec pour réduire son propre financement. Les expériences de certaines provinces canadiennes, comme l’Ontario, ont permis de constater les effets négatifs de pareilles mesures. En moyenne, les étudiants inscrits au premier cycle dans cette province paient au moins deux fois plus en droits de scolarité que les Québécois. Pourtant, les universités ontariennes ne profitent pas d’un meilleur financement que les nôtres.
Somme toute, les droits de scolarité ne comptent que pour une partie du coût réel de la scolarisation (entre 10 % et 15 %). Pousser à bout la logique d’augmenter les droits pour régler le sous-financement pourrait mener à tout faire payer aux étudiants. De nombreuses universités états-uniennes appliquent ce principe et les droits de scolarité atteignent facilement 40 000 $ par année : l’éducation supérieure devient alors un luxe.
En ces temps de crise et d’austérité budgétaire, il est particulièrement risqué de faire payer aux étudiants le coût de leur formation. Manquer de main-d’œuvre qualifiée parce que les études coûtent trop cher ne nous aidera certes pas à nous relever.
Plutôt que d’envisager une hausse des droits de scolarité pour régler le sous-financement, ne serait-il pas plus avisé d’augmenter de façon significative le financement de l’éducation par l’État ? L’IRIS a calculé que la gratuité scolaire au Québec coûterait annuellement environ 550 millions de dollars. Une pareille somme, qui n’est pas si élevée, pourrait être collectée par le biais d’impôts plus progressifs et rendrait les études supérieures beaucoup plus accessibles.
Un vigoureux changement de cap est donc nécessaire et le vrai leadership politique, pour nos gouvernements, consisterait à envisager des solutions sociales plutôt que de vouloir faire payer des utilisateurs qui n’en auront souvent pas les moyens.
8 Les études universitaires ne sont pas seulement un bénéfice personnel, mais elles profitent à l’ensemble de la société
Certes, on ne peut nier l’évidence que poursuivre des études universitaires procure des avantages personnels futurs. Toutefois, c’est surtout collectivement que nous en tirons des bénéfices. En effet, l’augmentation de la scolarisation des membres de notre société, leur accès à des emplois de meilleure qualité et leur contribution financière et sociale au mieux-être collectif sont profitables à tous. Selon Emploi-Québec, le nombre d’emplois requérant une formation universitaire a augmenté de près de 30 % entre 1999 et 2009.
La durée « normale » des études s’allonge. Il s’agit là d’une exigence sociale et non pas de choix individuels qui auraient évolué. Tout comme une société ne saurait se priver d’universités capables de soutenir le rythme et les exigences du développement des savoirs, elle ne peut pas se permettre de ne pas y donner plein accès à celles et à ceux que le parcours intéresse.
Il y a aussi une limite à considérer l’éducation supérieure comme une responsabilité personnelle. Cette perspective commande que chacun investisse son argent et son temps dans ce qui est le plus rentable pour lui-même. Est-ce profitable socialement ?
Par ailleurs, plus le coût de l’accès aux études sera élevé, plus il sera difficile de maintenir l’équilibre nécessaire entre les différents champs disciplinaires, dont certains offrent un intérêt moins économique que social et culturel, contribuant ainsi à une meilleure progression des connaissances. Nous devons nous assurer collectivement que les choix de chacun, en matière d’orientation professionnelle, dépendent le moins possible de la capacité de payer et le plus possible des ambitions et du potentiel de chaque individu, ainsi que d’une volonté de contribuer à une société plus juste et plus équitable.
Pour préserver l’indépendance, l’autonomie et la diversité des champs de recherche et de formation de ces lieux de haut savoir que sont les universités, il nous appartient d’y investir collectivement, que nous les fréquentions ou non.
9 Le gel des droits de scolarité avantage d’abord les mieux nantis : faux !
Si on veut dire par là que le coût associé à la poursuite d’études supérieures ne constitue pas une barrière pour les mieux nantis, cela est probablement vrai ! Cependant, il faut analyser le phénomène dans une toute autre perspective. D’une part, les citoyennes et les citoyens à plus hauts revenus participent déjà au financement des réseaux d’enseignement supérieur par le biais du caractère progressif du système d’impôt – système qui, soit dit en passant, mériterait d’être réajusté en fonction de la capacité de payer de chacun. Disons aussi que les jeunes dont les parents sont fortunés ne le sont pas eux-mêmes, par simple association. Les parents n’assument pas nécessairement les droits de scolarité et de subsistance afférents à la poursuite d’études supérieures. L’enquête sur les conditions de vie des étudiants, publiée par le MELS en 2003, montrait que 38,8 % des effectifs étudiants non bénéficiaires de l’aide financière n’avaient reçu aucune contribution parentale.
Indépendamment du gel ou non des frais de scolarité, on peut considérer que les études coûtent déjà plus cher aux moins fortunés. Ces derniers sont plus susceptibles de devoir s’endetter ; ils doivent vivre dans des conditions souvent plus difficiles ; ils sont parfois tenus d’allonger la durée de leurs études parce qu’ils doivent occuper un emploi, le plus souvent précaire et mal payé. Il y a là un coût de renonciation qui peut en faire hésiter plus d’un. Une hausse de quelques dollars est plus difficile à assumer dans ce cas.
Toute hausse des droits de scolarité ne peut que freiner les possibilités de mobilité sociale ascendante qu’offrent les études supérieures. Cette mobilité est encore loin d’être optimale, mais nous l’avons défendue au Québec depuis les années 1960, et elle mérite d’être préservée comme composante essentielle du rôle des universités.
10 La concurrence n’est pas un gage de qualité
Comme dans tous les secteurs de l’économie, les tenants du néolibéralisme déclarent que la concurrence est la meilleure garantie d’efficacité et de qualité. L’étudiant (client-consommateur averti) pourra magasiner l’université et le programme qui répondra le mieux à son besoin.
Certains, comme les signataires du « Pacte pour un financement concurrentiel des universités », conçoivent l’éducation comme un service ou un bien de consommation au même titre que les autres. Ils acceptent (pour le moment) que l’éducation soit un bien commun qui profite autant à la société qu’à l’individu mais ce, jusqu’au niveau collégial ; par la suite, au niveau universitaire, l’éducation devrait être considérée comme un privilège « profitant » d’abord à l’individu qui « investit » dans son futur.
Le modèle « concurrentiel » est déjà bien implanté aux États-Unis et dans quelques pays occidentaux. Les résultats sont, d’un point de vue social, fort peu convaincants : hégémonie de l’entreprise privée dans le domaine de la recherche, ségrégation scolaire marquée, sous-financement chronique de tout ce qui est public, guerres d’images entre les universités, etc. Au Québec, nous avons l’exemple du réseau secondaire où le palmarès des écoles et la compétition entre les établissements avantagent clairement les écoles privées et les enfants provenant d’un milieu favorisé.
Pour ces promoteurs de droits élevés et variables, il est souhaitable qu’il y ait deux types d’universités : « […] certaines universités répondant à des besoins spécifiques et régionalement localisés, d’autres mettant l’accent sur un enseignement et une recherche de calibre national ou international. » . Nous pensons, au contraire, qu’il faut choisir de faire de l’éducation supérieure un patrimoine social, ce qui devrait signifier un financement approprié par l’État de l’ensemble des universités. Ce dernier n’est manifestement pas au rendez-vous : il faut l’amener à le faire et s’opposer aux solutions basées sur la logique marchande!
Au lieu de stimuler dans toutes les universités la recherche d’une meilleure qualité de formation, la mise en concurrence mène, l’expérience le démontre, à une différenciation des établissements qui renforce du même coup une ségrégation du monde universitaire.
- Voir notamment : Se donner le Québec qu’on veut (CSN, 2010), http://www.csn.qc.ca/c/document_library/get_file?uuid=25a78f97-54af-43f7-ae48-d7a9abf4179a&groupId=13943, La révolution tarifaire au Québec (IRIS, 2010) http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/la_revolution_tarifaire_au_quebec.pdf, Finances publiques, d’autres choix sont possibles (Coalition contre la hausse des tarifs et la privatisation des services publics, 2010), http://www.nonauxhausses.org/wp-content/uploads/17502_coalition_LR_coul.pdf et aussi L’heure juste sur la dette du Québec, Louis Gill, 2010, http://www.economieautrement.org/IMG/pdf/Gill_Dette_Heurejuste.pdf .
- Voir La révolution tarifaire au Québec, IRIS 2010, tableau 4, p.24.
- Voir Les facultés de médecine plus accessibles au Québec, dans La Presse, 16 août 2010.
- Les frais de scolarité, l’aide financière aux études et la fréquentation des établissements d’enseignement postsecondaire. Comparaison à l’échelle internationale et étude de scénarios pour le Québec; Valérie Vierstraete, juin 2007, MELS p.100. http://www.mels.gouv.qc.ca/sections/modesFinancement/pdf/droits_scolarite.pdf
- L’incidence des frais de scolarité sur l’accès à l’université : résultats de la vaste déréglementation des frais de scolarité des programmes professionnels ; Marc Frenette, Statistique Canada, 2005, p.21-22; http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/Collection/Statcan/11F0019MIF/11F0019MIF2005263.pdf.
- Les frais de scolarité et l’université. Fédération étudiante universitaire du Québec ; argumentation contre les hausses de frais de scolarité, mars 2010.
- Collectif, Pacte pour le financement concurrentiel de nos universités; 2010.
- IEDM, La hausse des droits de scolarité réduirait-elle l’accessibilité aux études universitaires, 2004, p.8.