On ne saurait s’étonner des phénomènes météo extrêmes de l’été qui, au moment d’écrire ces lignes, frappent de nouveau le Québec, avec la plus importante canicule de l’été en pleine rentrée scolaire. Le manque de personnel enseignant fait également partie des phénomènes prévisibles de cet automne chaud et pour lequel le milieu syndical sonne l’alarme depuis longtemps.
Pénurie d’enseignant-es ou pénurie de bonnes conditions de travail?
En 2016, la chronique de la rentrée du comité école et société de la FNEEQ (Chronique 73 – Pénurie de main-d’œuvre, mythe ou réalité?) exposait déjà le fait que le phénomène de rareté de main-d’œuvre dans certains domaines ne relevait en rien d’une formation inadéquate des étudiantes et des étudiants, mais bien de sérieux problèmes touchant principalement les enjeux de « perspectives salariales, possibilités d’avancement, stabilité d’emploi, conditions de travail » (CES, 2016).
Deux ans plus tard, le comité école et société déposait son rapport La formation des maîtres au Québec – Enjeux et débats (2018), qui posait la question fondamentale suivante : comment attirer de bonnes et bons candidat-es dans un programme d’une durée de quatre ans menant à une profession sous-rémunérée, mal reconnue et exercée dans des conditions de travail de plus en plus difficiles? Ce rapport avait mené à l’adoption d’une dizaine de recommandations (Point 12. Formation des maîtres) qui, sans surprise, n’ont pas eu d’écho auprès du gouvernement.
En réaction à l’actuel manque d’enseignant-es dans le réseau, la CAQ se plaît à répéter, et ce, depuis sa première élection à l’automne 2018, que l’éducation demeure sa priorité (Radio-Canada, 23 août 2023). Or cela devrait se refléter au plan financier, ce qui n’est pas le cas : « Entre 2019-2020 et 2023-2024, les dépenses du portefeuille de l’éducation ont augmenté de 29 %, soit le même pourcentage de hausse que les dépenses totales de portefeuille (santé, éducation, enseignement supérieur, et toutes les autres missions de l’État). La part de l’éducation dans les dépenses totales de portefeuilles est donc restée stable à 14,6 % » (Brousseau-Pouliot, 31 août 2023). De plus, les sommes investies par la CAQ en éducation sont idéologiquement orientées vers des enjeux qu’elle juge prioritaires (voir, à ce sujet, le dossier Partenariats et place de l’entreprise privée en éducation, 2021) plutôt qu’investies directement dans les conditions d’enseignement.
Négationnisme et pensée magique
De la même façon dont il fait preuve de malhonnêteté intellectuelle face à l’important problème environnemental des gaz à effet de serre (dont témoigne son désormais célèbre « Lâchez-moi avec les GES! »; Pilon-Larose et Lévesque, 2 septembre 2022), l’actuel ministre de l’Éducation ignore les données pourtant « probantes » sur le phénomène de « l’école à trois vitesses » (qu’il qualifie d’idéologique; Sioui, 16 mai 2023), qui n’est pas sans impacts importants sur la désertion de la profession enseignante.
Dans le même ordre d’idées, devant le manque criant de profs, la CAQ propose, entre autres : d’augmenter la tâche enseignante plutôt que de la diminuer; de réduire les exigences à l’embauche au lieu de valoriser la formation des maîtres, notamment en rémunérant les étudiant-es lors de leurs stages (et non en leur octroyant une bourse, sous réserve de réussite et à condition d’être inscrit-e à temps plein, uniquement pour leur dernier stage; Bussière McNicoll, 8 septembre 2023); de proposer un boni de 12 000$ aux profs admissibles à la retraite au lieu d’augmenter le salaire de toutes et tous afin de retenir l’ensemble des enseignant-es en poste . Emboîtant le pas, des centres de services scolaires refusent certains congés et les tâches à temps partiel au lieu de donner une bouffée d’oxygène aux enseignant-es en diminuant le nombre d’élèves par classe. Conséquemment, l’augmentation de la tâche enseignante amène un vent de désaffection, qui à son tour entraîne un alourdissement des conditions de travail pour les enseignant-es qui restent dans le réseau, ce qui augmente le nombre de celles et ceux qui abandonnent, etc., etc.
Cerise sur le sundae de chef Drainville : il mise sur la recette inefficace du rebrassage des structures (sur le projet de loi 23, qui soulève de plus en plus de critiques, voir la chronique 97 – Le tour de vis de Drainville ainsi que le mémoire de la CSN sur le projet de loi 23), se donnant au passage plus de contrôle et de pouvoir, même celui d’autoriser plus d’enseignement à distance et, c’est à craindre, plus d’intelligence artificielle, puisqu’on manque d’humains à l’appel… Pourtant, les impacts délétères des cellulaires et autres écrans en classe ainsi que de l’enseignement à distance ont été maintes fois dénoncés, notamment dans plusieurs publications récentes. La CSN réitère que l’enseignement à distance devrait être « limité à des situations exceptionnelles telles qu’une crise sanitaire ou des raisons humanitaires » (CSN, 2023, p. 7). Bref, il est urgent de « replac[er] l’humain au cœur de l’enseignement », tel que le propose le récent dossier sur l’intelligence artificielle en éducation du comité école et société.
Mépris pour la profession dans un contexte de négo
Somme toute, plutôt que de profiter de l’actuelle négociation des conventions collectives du secteur public pour honorer sa priorité en investissant massivement en éducation, pour tous les niveaux d’enseignement, dans les salaires des divers corps d’emplois et dans les conditions de travail, la CAQ se contente d’assurer à la population qu’il y aura au moins un adulte par classe pour la rentrée 2023. Difficile d’envoyer une image plus méprisante du parcours de formation et du professionnalisme de l’ensemble du personnel enseignant. D’ailleurs, plusieurs enseignant-es ont répliqué à cette sortie de Drainville par le mouvement « Affiche ton diplôme » (Dion-Viens, 22 août 2023).
Accepterions-nous de confier nos enfants à un adulte sans permis de conduire au volant d’un autobus scolaire? Mais il est vrai que le métier d’enseignant, surtout au primaire et au secondaire, est exercé majoritairement par des femmes et semble perçu, par le ministre Drainville, comme du gardiennage, lui qui suggérait récemment de confier les classes de maternelle aux nouvelles et nouveaux enseignant-es pour favoriser leur rétention (Dion-Viens, 17 août 2023).
L’automne chaud de 2023 doit être l’occasion d’affirmer haut et fort que le mépris envers la profession enseignante n’aura qu’un temps. Il est urgent de se mobiliser massivement pour défendre l’intégrité de la profession enseignante et de l’éducation. Ça commence le 23 septembre prochain, à la Manifestation nationale pour nos services publics, et ça continuera aussi longtemps qu’il le faudra et par tous les moyens nécessaires.
Sommes-nous tanné-es? Montrons-le!
Le comité école et société
On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca