Le projet de loi no 96 a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps. Vous avez sans doute vu passer, dans les médias et les réseaux sociaux, des lettres d’opinion, des pétitions et des positions adoptées par plusieurs syndicats de personnel enseignant de cégep en assemblée générale. À travers toutes ces prises de parole, nous croyons qu’il est important de préciser la position de la FNEEQ dans ce débat et d’en expliquer les fondements.

Position de la FNEEQ

Dans les faits, le projet de loi no 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, a été déposé à l’Assemblée nationale par Simon Jolin-Barrette, ministre responsable de la Langue française, il y a plus de dix mois, le 13 mai 2021. Trois semaines plus tard, le 3 juin, dans le cadre du congrès de la FNEEQ, il y a eu présentation des principaux enjeux liés à ce projet de loi ainsi qu’une première analyse de ses impacts sur l’enseignement supérieur, touché par des changements importants, particulièrement pour les huit syndicats de collèges anglophones affiliés à la fédération. Afin d’approfondir la réflexion, de permettre la consultation et de prendre position en vue de la commission parlementaire devant débuter à la fin du mois de septembre, la FNEEQ a convoqué ses 102 syndicats à un conseil fédéral extraordinaire le 3 septembre. Le débat a duré une journée entière et la position adoptée a été guidée par quatre principes, à savoir : la défense et la protection des emplois, la défense et la promotion de la langue française au Québec, la dénonciation de la concurrence entre les établissements collégiaux et universitaires et la défense du développement cohérent du réseau des cégeps et des universités.

À l’image de la société québécoise, nos membres ont défendu des points de vue diversifiés sur cette question aux multiples facettes. En fin de journée, l’assemblée du conseil fédéral a adopté une position qui vise un équilibre et qui se veut rassembleuse. Malgré plusieurs réserves à l’égard de certaines mesures, nous croyons que le projet de loi no 96 respecte, dans sa forme initiale, les quatre principes énoncés ci-dessus. Si l’on considère l’accroissement de 23 % des effectifs étudiants prévu dans la province au cours des neuf prochaines années, les dispositions inscrites dans le projet de loi vont mettre fin au développement chaotique du réseau des cégeps, et permettront de rétablir un équilibre entre les collèges anglophones et francophones par la réduction graduelle du poids relatif des premiers tout en maintenant les postes actuels des enseignantes et des enseignants.

En somme, la FNEEQ considère qu’il s’avère nécessaire d’apporter des modifications à la Charte pour défendre et promouvoir le français, mais l’imposition des articles 72 et 73 aux établissements collégiaux publics et privés (qui réserverait l’enseignement en anglais exclusivement aux ayants droit) n’est pas souhaitable tant pour des motifs de protection des emplois qu’en raison des limites structurelles du réseau, particulièrement à Montréal. À cet égard, l’application de la loi 101 aux cégeps engendrerait notamment un déplacement massif d’étudiantes et d’étudiants qui dépasserait largement la capacité d’accueil des collèges francophones. Il en résulterait nécessairement des pressions accrues pour l’enseignement à distance ou pour l’éclatement du cadre horaire habituel – où les cours se terminent à 18 h – dans le contexte où le Conseil du trésor ne souhaite pas financer totalement la construction de nouveaux espaces (PQI, 2022). Il y aurait également un impact certain sur le plan de la sécurité d’emploi, soit par un déplacement des enseignant-es permanent-es des cégeps de langue anglaise vers les établissements de langue française avec les supplantations qui y seraient associées, soit par une augmentation des coûts de cette sécurité d’emploi en raison de la protection salariale, le personnel des cégeps anglophones n’étant pas tenu de se déplacer dans des collèges francophones. Le cas échéant, il risquerait d’y avoir des incidences sur les négociations à venir. Compte tenu de ce contexte, nous jugeons la position adoptée par le conseil fédéral en septembre 2021 réaliste et solidaire. 

Il est en outre important de rappeler que la position de la FNEEQ concorde avec celle de la CSN. Il faut, à cet égard, considérer également les modifications apportées à la loi pour améliorer le statut du français comme langue du travail.

Rebondissements en commission parlementaire 

En fonction de cette position, la FNEEQ a rédigé un mémoire qu’elle a soumis à la Commission de la culture et de l’éducation, responsable du cheminement du projet de loi no 96. Il y a eu neuf séances de consultations particulières entre le 21 septembre et le 7 octobre 2021, la CSN ayant été invitée à faire une présentation le premier jour. Le projet de loi est passé à l’étape de l’étude détaillée à partir du mois de novembre et, à ce jour, cette dernière se poursuit. La lenteur du processus s’explique autant par le très grand nombre d’articles (plus de 200 !) qui le composent que par les joutes politiques auxquelles se livrent le gouvernement et les partis d’opposition.

Après avoir laissé planer un doute sur l’extension des articles 72 et 73 de la Charte aux cégeps, le ministre Jolin-Barrette a tranché la question le 23 février dernier : la loi 101 ne s’appliquera pas à ceux-ci. Le même jour, la commission a adopté des amendements proposés par le ministre ainsi que le Parti libéral qui plafonnent à 17,5 % les effectifs des collèges anglophones et qui rendent obligatoires trois cours donnés en français (en sus de ceux de langue seconde) pour les francophones, les allophones et les ayants droit fréquentant ces établissements.

Les modifications relatives aux trois cours de français constituent un dangereux précédent dans le réseau des cégeps : les parlementaires ont pris la décision de modifier, sans consultation aucune, le cursus collégial dans l’improvisation la plus totale. À titre de fédération syndicale, nous anticipons pourtant de sérieuses difficultés d’application et des contraventions graves aux conditions de travail du personnel enseignant concerné. Le ministère de l’Enseignement supérieur se voit réduit, quant à lui, au rôle de simple exécutant forcé de trouver une façon de rendre applicable une décision irréfléchie de la commission.

Les délégué-es des 45 syndicats de professeur-es de cégep affiliés à la FNEEQ-CSN ont tenu, les 24 et 25 mars derniers à Québec, une rencontre lors de laquelle elles et ils ont discuté du projet de loi no 96. Le regroupement cégep a résolu de « s’opposer aux amendements apportés au projet de loi no 96 qui obligent les collèges anglophones à donner des cours non linguistiques en français ». Une intervention politique d’une telle ampleur dans le contenu des programmes collégiaux ne devrait pas mener à une modification de ceux-ci sans la consultation des différents acteurs de notre milieu.

De telles modifications poseraient plusieurs difficultés d’application, notamment quant aux conditions de travail du corps enseignant et à la réussite de la population étudiante. De plus, une entrée en vigueur précipitée, en 2022 ou 2023, nous semble périlleuse compte tenu du nombre de personnes touchées. En conséquence, la FNEEQ demande aux membres de la Commission de la culture et de l’éducation le retrait de ces modifications.

Notons par ailleurs que la commission parlementaire a entériné plusieurs amendements allant dans le sens des revendications adoptées par le conseil fédéral de la FNEEQ en septembre dernier, dont l’assujettissement des attestations d’études collégiales (AEC) et des collèges privés non subventionnés aux dispositions du projet de loi. Elle a également renforcé l’article concernant l’obligation imposée aux établissements anglophones d’admettre prioritairement des étudiant-es de langue anglaise. Finalement, elle a envoyé un message positif concernant le soutien à la recherche en français.

Revendications dans les assemblées syndicales des collèges

Parallèlement aux débats politiques et aux travaux de la commission parlementaire, plusieurs syndicats ont été invités par leurs membres à réfléchir et à prendre position sur l’extension des articles 72 et 73 de la Charte de la langue française au niveau collégial. Entre le 21 avril 2021 et le 30 mars 2022, 21 instances locales ont pris position en faveur de l’application de la loi 101 dans les cégeps. D’autres assemblées générales sont prévues au cours du mois d’avril. La semaine dernière, un syndicat a transmis à la fédération un avis de motion demandant une reconsidération de la position de celle-ci dans ce dossier. Le code de procédure prévoit, en effet, que toute décision prise par une instance peut être débattue de nouveau. Le bureau fédéral de la FNEEQ, qui se réunira cette semaine, les 7 et 8 avril, fixera la date du conseil fédéral lors duquel cet avis de motion sera traité.