C’est avec grande tristesse que nous avons appris, il y a quelques jours, le décès de Denis Choinière (1950-2022). Il a été membre du comité exécutif de la FNEEQ pendant plus de dix ans, soit de 1983 à 1995, et sa grande réputation de militant hors norme, de syndicaliste convaincu et d’homme entier a traversé les décennies pour marquer à jamais la fédération. Chose certaine, Denis a été au cœur d’événements qui ont forgé la FNEEQ et qui lui ont permis de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Sa contribution est incontournable et particulièrement digne de mention. Nous tenons à lui rendre un vibrant hommage aujourd’hui.

Denis Choinière était un très jeune enseignant de 24 ans quand il a fait ses débuts en syndicalisme dans le but d’améliorer la sécurité d’emploi et la charge de travail du personnel enseignant laïque, le syndicat du Petit Séminaire de Québec a déclenché, le 24 janvier 1975, une grève qui a duré de plus de 30 jours. Il s’agit de la plus longue grève de l’histoire des collèges privés affiliés à la FNEEQ.

L’année suivante, il a poursuivi son implication à la fédération, d’abord à titre de délégué de son syndicat au conseil fédéral de juin 1976, ensuite comme membre du bureau fédéral au mois d’octobre suivant et en 1978, en tant que responsable du comité de la négociation coordonnée de neuf collèges privés à une table provinciale parallèle à celle du secteur public. On dit que Denis se démarquait alors par sa fougue, son intensité et son grand talent d’orateur. Malgré sa détermination, la négociation nationale des collèges privés n’a pas permis d’obtenir les résultats espérés, car la partie patronale a refusé de libérer suffisamment les représentants syndicaux et elle a même refusé de mener les pourparlers à la table provinciale souhaitée, forçant le comité national à négocier à chacune des tables locales. À partir de cette date, les collèges privés ont privilégié un mode de négociation entièrement local.

Par la suite, Denis Choinière a été élu au comité exécutif de la FNEEQ au poste de secrétaire général en juin 1983. Cette période est marquée d’abord par les positionnements de la FNEEQ et de la CSN sur la question nationale, mais surtout sur la réponse syndicale aux lois matraques décrétées par le Parti québécois cette année-là. Rappelons que la loi 111 comportait comme particularités « Perte de trois ans d’ancienneté par jour de grève. Possibilité de congédier les enseignantes et les enseignants qui refusent de retourner au travail. Double pénalité salariale pour chaque jour de grève. Interdiction de manifester sur les lieux de travail. Cessation du précompte syndical pour une période de 6 mois pour chaque jour d’infraction. Présomption de culpabilité. Suspension de la charte des droits et libertés. » La quasi-totalité des syndicats de cégeps affiliés a défié la loi durant 2 jours, plusieurs syndicats l’ont fait jusqu’à 24 jours. Cette loi a été déclarée inconstitutionnelle en décembre 2000 (car elle avait été adoptée uniquement en français), impliquant par conséquent l’acquittement de 8000 membres de la FNEEQ, de la FNEEQ elle-même et de la CSN qui avaient été condamnés à payer les amendes prévues par la loi.

Alors qu’il était secrétaire général, Denis Choinière a mis sur pied plusieurs réformes significatives qui ont amélioré les structures de la FNEEQ. Tout d’abord, les fonds de négociation ont été créés, accordant aux différents secteurs un soutien financier indispensable en période de négociation. En 1985, le tout premier comité de coordination de la négociation des chargé-es de cours a été formé. « La séparation entre les questions de négociation et celles d’orientation politique est alors apparue clairement », selon Denis. Enfin, en juin 1987, le bureau fédéral a été mandaté pour réviser les structures de la fédération. Le projet a été finalement adopté à l’automne 1988 après une consultation des syndicats. Trois regroupements ont été mis en place (cégep, privé, université) et le Congrès fédéral a été réinstauré après avoir été aboli en 1972. On peut dire que sous l’égide de Denis Choinière, la FNEEQ est devenue plus cohérente, plus efficace et plus agissante en mettant en dialogue la force des regroupements et celle des instances fédérales.

Denis Choinière a été élu président de la FNEEQ en juin 1988, puis réélu par le nouveau congrès en juin 1989. Les divisions internes à la fédération depuis les décrets de 1983 et les difficultés éprouvées dans le cadre de la négociation de 1986 ont provoqué la désaffiliation de 13 syndicats de cégeps au début de 1988. Denis considérait que ces désaffiliations étaient le fruit d’une alliance contre nature entre deux tendances opposées : « Un groupe ne voulait plus de syndicats et l’autre voulait des syndicats plus forts. » Ces syndicats ont alors fondé la Fédération autonome du collégial (FAC) qui sera éventuellement dissoute en 2009. À peu près au même moment, la juridiction de la FNEEQ sur les professeur-es d’université a été confiée à la fédération des professionèles de la CSN (FP) et le syndicat des professeur-es de l’UQAM (SPUQ) a alors changé son affiliation. Avec tous ces départs, Denis a vécu l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire de la fédération, mais il a su garder le cap et maintenir la crédibilité et la prépondérance de la FNEEQ sur le plan national.

En 1992, deux équipes syndicales complètes se disputent les postes du comité exécutif au congrès. À la présidence, Denis Choinière est élu par une seule voix tandis que tous les collègues de son groupe mordent la poussière. Trois ans plus tard, à la toute fin de ce mandat qui n’avait assurément rien de banal, il sera le seul officier encore en poste, les trois autres ayant démissionné en cours de route !

Sous le leadership de Denis Choinière, la FNEEQ a réussi en 1993 l’exploit de syndiquer les auxiliaires d’enseignement de McGill qui forment aujourd’hui l’Association des étudiant-es diplômé-es employé-es de McGill, mieux connue sous son acronyme anglophone, AGSEM, une première au Québec. Notons aussi que, durant cette période, de nombreux syndicats se sont joints au regroupement université : en plus des maîtres d’enseignement de l’ETS en en 1992, on compte les syndicats des chargé-es de cours de l’UQO en 1993, de Concordia et de l’Abitibi-Témiscamingue en 1994.

C’est aussi durant ses mandats à la tête de la FNEEQ que l’on a vu les premiers exemples d’intégration d’établissements privés au réseau public. En effet, le Séminaire de Saint-Georges est devenu le cégep Beauce-Appalaches (1990), le Collège Marie-Victorin est devenu le cégep Marie-Victorin (1993). Quelques années après son départ, l’école de musique Sainte-Croix a été intégrée au cégep de Saint-Laurent et le Collège de l’Assomption est devenu une constituante du cégep régional de Lanaudière. Par ses actions et par sa vision, Denis a insufflé un dynamisme renouvelé au regroupement privé de la FNEEQ.

Les différents mandats de Denis Choinière à l’exécutif ont aussi été marqués par les négociations du secteur public (1986, 1989 et 1992) ainsi que par la lutte contre la réforme du régime des études collégiales pilotée par la ministre de l’Éducation, Lucienne Robillard, en 1993. Il n’est pas anodin de souligner que Denis a été élu pour négocier la convention collective des cégeps alors que lui-même provenait du réseau des collèges privés. Il s’agit d’un choix atypique, mais révélateur des qualités de cet homme : ses connaissances techniques, sa maîtrise des enjeux et ses qualités de débatteur le rangeaient dans une classe à part. Il était reconnu comme un travailleur d’équipe qui ne cherchait pas l’avant-scène. Il était un stratège convaincu de la force de l’action collective. Il donnait souvent l’exemple de la construction du pont de Québec qui n’aurait pu se faire sans le travail de tous les ouvriers. Il estimait que la lutte était essentielle pour maintenir et conquérir les droits, « la liberté ne s’achetant pas au Steinberg », disait-il. Il croyait aussi à l’importance d’avoir un exécutif de fédération qui avait comme responsabilité de proposer des orientations.

Récemment, à l’occasion des célébrations du 50e anniversaire de la fédération, Denis nous a raconté, avec la larme à l’œil, l’un de ses plus beaux souvenirs. Lors d’une instance de la Fédération des affaires sociales (maintenant la FSSS) en 1986, on avait invité in extremis la militante chilienne Carmen Quintana que Denis accompagnait. Son intervention qui ne devait durer que 4 minutes en a finalement pris plus de 20 et a permis de recueillir sur place près de 50 000 $ en dons.

À l’évidence, le parcours syndical de Denis Choinière en est un de solidarité et de lutte. Cet homme chaleureux aux profondes convictions a su, durant plus d’une décennie, surmonter les crises sociales et les déchirements internes de la FNEEQ. Toujours fidèle à son engagement de défendre les enseignantes et les enseignants de tous les horizons, il a profondément marqué notre fédération.

La FNEEQ souhaite transmettre ses plus sincères condoléances aux proches de Denis ainsi qu’à tous les membres de notre famille syndicale qui ont côtoyé ce grand militant.

Cet hommage est inspiré des témoignages de Flavie Achard et de Guy Beaulieu qui ont côtoyé Denis Choinière alors qu’il était au comité exécutif de la FNEEQ ainsi que du livre 50 ans à faire école par nos luttes, publié en 2019 à l’occasion du cinquantième anniversaire de la FNEEQ. Cet ouvrage est disponible sur la page Wiki de la FNEEQ.