Solidarité avec une lutte historique

Un mouvement est en marche pour la rémunération de tous les stages depuis 2014. Un appui à ce mouvement est fondamental, dans la mesure où celui-ci s’attaque à un tort historique inacceptable relatif à la non reconnaissance du travail féminin, de la reproduction du social et des soins. Il faut reconnaître que la mobilisation en cours constitue un renouveau du militantisme étudiant qui ne peut qu’être bénéfique pour la défense du droit à l’éducation.

Entre le 19 et le 24 novembre 2018, près de 60000 étudiant‑es ont fait la grève pour revendiquer la rémunération de tous les stages. Cette semaine de grève faisait suite à une série d’actions visant à sensibiliser la population et le gouvernement à l’injustice vécue par plusieurs stagiaires et à préparer une grève générale illimitée à l’hiver 2019. Pourtant, dès le lendemain du déclenchement des grèves de cet automne, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge questionnait la stratégie des grèves, tout en se disant «sensible aux revendications des étudiants». «Il ne faut pas défoncer les portes ouvertes. Il y a des centaines de stages différents […]. Laissez-nous le temps de faire notre travail», déclarait le ministre, invitant les étudiant‑es à retourner en classe. La désinvolture du ministre face à la grève montre pourtant son importance. Si la question de la rémunération des stages est aujourd’hui au cœur de l’espace public, c’est grâce aux grèves et aux nombreuses campagnes d’actions organisées par diverses organisations étudiantes depuis 2014.

D’ailleurs, le Conseil fédéral de la FNEEQ adoptait la proposition suivante en question de privilège lors de sa réunion des 5, 6 et 7 décembre dernier :

RÉMUNÉRATION DES STAGES DES ÉTUDIANTES ET DES ÉTUDIANTS

Considérant l’actuel mouvement en faveur de la rémunération des stages ;

Considérant les votes de grève pris par certaines associations étudiantes en faveur de la rémunération des stages;

Considérant la solidarité de la FNEEQ envers les luttes favorisant l’accessibilité aux études et l’amélioration des conditions de vie des étudiantes et des étudiants;

Il est proposé:

Que le conseil fédéral appuie la lutte en faveur d’une rémunération juste des stages accomplis pendant les études et réclame que le financement de cette rémunération soit fait par de nouvelles ressources provenant de l’État.

Nous croyons nécessaire de maintenir et de diffuser l’appui de la FNEEQ à la lutte actuelle menée par les différentes organisations étudiantes. Il est consternant de constater que le budget déposé par le gouvernement caquiste ne contenait aucune mesure touchant à la rémunération des stages ou au statut des stagiaires alors que plus de 30 000 étudiantes et étudiants étaient en grève.

Bref récapitulatif de la lutte pour la rémunération des stages

Le mouvement qui mènera à l’actuelle grève des stages commence à s’organiser dès août 2014, avec la Campagne de revendication et d’actions interuniversitaires des étudiant‑es en éducation en stage (CRAIES). Vient ensuite la victoire des doctorant‑es en psychologie qui, après 4 mois de grèves de leurs stages et internat, à l’automne 2016, sont parvenu‑es à faire reconnaître par le gouvernement que l’internat en psychologie n’avait pas à être vu comme moins important que l’internat en médecine et à obtenir le versement de 250 bourses de 25 000 $1.

Cette victoire a donné un nouvel élan à la CRAIES. Toutefois, des débats internes vont mener à la division du mouvement, entre un courant limitant les revendications à une compensation pour le stage final en éducation et un autre refusant de réduire les revendications à un seul secteur ou à des arguments acceptables par l’État ou les partis politiques2.

De ces divergences, quant au type et aux modes de revendication, ont surgi les CUTE (Comités unitaires sur le travail étudiant) qui ont organisé l’actuel mouvement de grève revendiquant la rémunération de tous les stages et de toutes les disciplines (sans abandonner, à long terme, le principe de la gratuité scolaire et même un salaire étudiant).

«Ras-le-bol d’être bénévole»

La CRAIE est parvenue à obtenir une compensation de 3900$ par étudiant‑e pour le stage final en éducation, lors du dernier budget (préélectoral) du Parti libéral. Pourtant, cette compensation, qui se situe entre 12,19$/heure et 5,50$/heure (selon le nombre d’heures pris en compte), est grugée par l’impôt et par le calcul des prêts et bourses. N’étant pas une rémunération comme telle, cette compensation ne règle pas non plus le problème de l’absence de protection des stagiaires par la Loi sur les normes du travail, comme le dénoncent les CUTE.

Les gains obtenus par la CRAIES constituent tout de même un pas dans la bonne direction, tout comme la grève des stagiaires en psychologie. Bien que sectoriels et limités aux stages finaux, ces deux mouvements ont posé dans l’espace public le problème du travail non rémunéré au sein des stages et montré qu’il était possible d’obtenir des gains, par la lutte.

Il existe toutefois un danger bien réel de division du mouvement. En effet, le 12 février 2019, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et l’Union étudiante du Québec (UEQ) lançaient la campagne Stagiaires en solde qui met de l’avant un «projet de loi pour améliorer les conditions de réalisation et d’encadrement des stages». Cette proposition de projet de loi prévoit, notamment, des modifications à la Loi sur les normes du travail afin d’y inclure les personnes qui font un stage dans le cadre de leurs études (actuellement exclues explicitement de celle-ci) pour qu’elles et ils puissent bénéficier des mêmes protections que les travailleurs et les travailleuses en matière de harcèlement psychologique et sexuel ainsi que d’accidents de travail ou de demandes de congé pour décès d’un proche. La proposition de projet de loi vise également une «compensation financière […] sous forme de salaire, de bourse ou d’allocation».

Bien que ces revendications semblent être les mêmes que celles défendues par le mouvement de grèves des CUTE, plusieurs points de divergence empêchent l’unité ou la solidarité entre ces deux tendances du mouvement étudiant. Il y a, d’abord, des divergences dans les revendications. Les CUTE sont opposés à une «compensation», sous forme de bourse ou d’allocation, car ils veulent faire reconnaître les études comme du «travail invisible». Pour cette même raison, les CUTE s’opposent à la distinction entre les stages «d’observation» et ceux de «travail», comme veut l’établir la FECQ et l’UEQ, une avenue qui semble dans un sens acceptable par le gouvernement.

Mais au-delà de ces divergences, qui auraient très bien pu converger au moment des négociations, la pierre d’achoppement se rapporte à la synchronisation des actions. En effet, la campagne Stagiaires en solde est lancée au moment même où les CUTE cherchaient à mobiliser pour une grève générale illimitée, limitant ainsi les capacités de mobilisation.

 «Grève des stages / Grève des femmes 

Aussi, la lutte pour la rémunération de tous les stages dans toutes les disciplines va beaucoup plus loin qu’une simple revendication sectorielle, dans la mesure où elle questionne le travail invisible dans son ensemble. Dénonçant la hiérarchisation sexiste des stages selon les domaines d’étude, la grève des stages s’inscrit dans le vaste mouvement de la Grève internationale des femmes et met en évidence le fait que les stages non rémunérés se situent dans des domaines typiquement féminins, liés à la «reproduction» du social ou aux «soins» (care), comme l’enseignement, l’éducation à la petite enfance, les soins infirmiers, les sages-femmes, le travail social, etc.3 À l’inverse, les stages qui sont actuellement rémunérés se situent dans des domaines typiquement masculins et considérés comme «productifs», comme la médecine, le droit, l’informatique, l’ingénierie, etc.

 «L’exploitation n’est pas une vocation»

S’inspirant du concept féministe du travail invisible, les CUTE cherchent à l’appliquer aux études afin que celles-ci soient reconnues également en tant que travail. Selon ce point de vue, tout comme le travail domestique ou des soins (prodigués typiquement par des femmes), les études sont considérées comme du travail nécessaire à la reproduction du social. Pourtant, ce travail reproductif n’est pas reconnu socialement comme du travail et il n’est donc pas rémunéré4. Le cumul de travail invisible devient particulièrement frappant au moment des stages, puisqu’en plus de cumuler le travail que requièrent les études, un travail rémunéré pour subsister et le travail ménager, les étudiant‑es sont obligé‑es d’ajouter à leur agenda un nouveau travail non‑rémunéré qui parfois les occupe à temps plein.

S’attaquant au problème du surmenage étudiant, les CUTE intègrent dans leur lutte la question du travail sous toutes ses formes et dénoncent l’immense injustice qu’on tend à naturaliser lorsqu’on accepte qu’une personne doive s’endetter, travailler à temps double et vivre dans la précarité, pour espérer un jour travailler.

 «Pas d’salaire, pas d’stagiaires»

C’est dans cette perspective qu’on doit comprendre le principe de la rémunération de tous les stages, indépendamment du fait qu’ils soient «d’observation» ou de «travail». Si les études sont conçues comme du travail, les stages sont un surtravail qui implique des heures supplémentaires, des déplacements et des coûts, en plus des risques qui ne sont pas couverts par la Loi sur les normes du travail, notamment en ce qui concerne la maladie, les accidents de travail ou le harcèlement sexuel ou professionnel.

La FNEEQ, solidaire du mouvement pour la rémunération des stages

Ce mouvement pour la rémunération des stages mérite notre appui solidaire le plus résolu, dans la mesure où il engage le bien-être et les conditions d’existence de nos étudiantes et étudiants, et qu’il nous invite à repenser l’enseignement supérieur à la lumière de nos valeurs de justice et d’émancipation. De plus, la renaissance d’un mouvement étudiant combatif, après la débâcle de 2015 et l’implosion de l’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante), ne peut qu’être saluée, surtout en fonction du fait que des enjeux et des secteurs souvent marginalisés des luttes historiques du mouvement étudiant sont mis de l’avant, dans une perspective résolument féministe. Cette lutte interpelle aussi des secteurs plus «professionnels» qui n’étaient pas le fer de lance du militantisme étudiant.

Plus de 30 000 étudiantes et étudiants faisaient la grève dans la semaine du 17 mars. Bien que le nombre de grévistes ait diminué, il est utile de rappeler que la FNEEQ défend le droit des étudiantes et des étudiants, dans le cadre de leurs instances démocratiques, de décider de faire la grève. Nous invitons conséquemment les syndicats membres, de même que les enseignantes et les enseignants, à respecter le droit de grève des associations étudiantes et à ne pas pénaliser les militantes et les militants qui prennent part au mouvement.

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca

  1. Il est à noter que le nombre de bourses s’est avéré insuffisant. En 2017, il y a eu 265 demandes pour les 250 bourses disponibles et l’écart ne fait que se creuser. Zacharie Routhier, «Nombre insuffisant de bourses pour les doctorants en psychologie», Quartier Libre, mercredi 6 février 2019, http://quartierlibre.ca/nombre-insuffisant-de-bourses-pour-les-doctorants-en-psychologie/ De fait, plusieurs associations étudiantes des cycles supérieurs en psychologie (dont celles de Laval, de Sherbrooke et de l’UQTR) ont voté en faveur de journées de grève cet hiver, pour exiger des bourses pour toutes les doctorantes et doctorants, alors qu’actuellement, l’octroi des bourses se fait par tirage au sort, notamment à l’Université de Sherbrooke. La Fédération des doctorantes et doctorants en psychologie du Québec (FIDEP) a organisé, d’ailleurs, une manifestation le 20 mars devant l’Assemblée nationale.
  2. Xavier Dandavino, «La CRAIES: “Tu pensais qu’c’tait ça que c’tait, mais c’tait pas ça que c’tait”», CUTE Magazine, 28 janvier 2018, https://dissident.es/la-craies-tu-pensais-quctait-ca-que-ctait-mais-ctait-pas-ca-que-ctait/
  3. Il est à noter que la campagne Stagiaires en solde dénonce également le fait que les stages non rémunérés se situent dans des domaines typiquement féminins. La différence entre ces deux dénonciations se situe au niveau du degré de radicalité de la posture féministe assumée par les CUTE qui, comme nous le verrons plus bas reprennent à leur compte le concept de «travail invisible» issu des luttes féministes des années 1960‑70.
  4. Au contraire, l’idéologie marchande cherche à définir les études comme un «investissement personnel dans son capital humain».

Images

La grève des stages approche (Source: http://www.grevedesstages.info/materiel /)

La craies (Source: https://www.facebook.com/CRAIES/)

La grève à l’UQAM (Source: http://afesh-uqam.ca/2018/09/12/greve-a-luqam/)

Ras-le-bol d’être bénévole (Source: http://www.syndicatchamplain.com/wp-content/uploads/2018/11/Ras-le-bol-d%C3%AAtre-b%C3%A9n%C3%A9vole-facebook.png)

Grève des stages / Grève des femmes  (Source: https://dissident.es/pour-la-fin-du-travail-gratuit-greve-des-femmes-de-la-maison-a-lecole/)

Pas d’salaire, pas d’stagiaires (Source: http://impactcampus.ca/actualites/remuneration-stages-etudiant-es-se-mobilisent-pavillon-charles-de-koninck/)

Ne soyons pas invisibles. Femmes devant! (Source: https://www.delitfrancais.com/2018/11/26/pas-de-salaire-pas-de-stagiaire/)