Octobre 2010 – Depuis le printemps 2009, le Canada et l’Union européenne négocient un ambitieux accord de commerce. Cet accord risque d’avoir d’énormes conséquences. Malgré le silence qui entoure les négociations, il semble clair qu’il touchera les secteurs les plus vitaux de l’économie: les services publics, les marchés publics, l’agriculture, la culture, l’environnement. Qu’en sera-t-il de l’éducation?

L’éducation est-elle dans la mire?

Il est très difficile de savoir ce qui se passe derrière les portes closes lorsque les négociateurs du Canada et de l’Europe entreprennent les séances de négociations d’un accord qui porte le nom obscur d’Accord économique et commercial global (AÉCG). Déjà quatre rondes ont été conclues et une cinquième est prévue à Ottawa en ce mois d’octobre, sans que cela ne soit connu du public. Il s’agit là, soit dit en passant, d’un déficit inacceptable de démocratie. Comment justifier qu’un gouvernement puisse négocier avec si peu de transparence un accord potentiellement aussi lourd de conséquences?

Pourtant, malgré un refus constant de rendre des comptes et une absence totale de consultations auprès de la société civile — à l’exception, bien sûr, du milieu des affaires, pour lequel cet accord est conçu —, des citoyens vigilants ont pu prendre la mesure de ce qui se négocie. Le Réseau pour un commerce juste, formé de syndicats et d’organisations citoyennes, a été créé pour suivre l’évolution de cet accord et en dénoncer les failles.

De prime abord, l’éducation semble peu concernée par l’AÉCG. Lors d’une conférence sur le sujet à l’UQAM en octobre 2009, Pierre-Marc Johnson, le négociateur en chef du Québec, a souligné que la santé et l’éducation n’étaient pas des secteurs visés a priori, bien que «tout est sur la table», a-t-il souligné à plusieurs reprises. Ce que nous pouvons observer de ces négociations semble confirmer ses dires. Rien sur l’éducation ne se retrouve dans une ébauche de l’accord qui a fait l’objet d’une fuite et qui a été révélée par le Réseau pour un commerce juste.

C’est que les Européens s’intéressent principalement à des services publics qui ont été privatisés sur leur continent : l’électricité, l’eau, les transports publics, les services financiers (dont les assurances), les autoroutes, la poste. Il faut le rappeler : le modèle européen ne se caractérise plus par la valorisation de services publics étendus et abordables.

On privilégie désormais, dans les secteurs de services qui se monnaient, des sociétés avec actionnaires, dont l’objectif est de réaliser des profits et qui recherchent de nouveaux marchés. Pour de telles entreprises, un accord avec le Canada multipliera les occasions d’affaires dans un pays encombré par de puissants monopoles d’État, que l’entente contribuera à démanteler.

Une cible indirecte
L’éducation échappe pour le moment à tout cela. Tant l’Europe que le Canada se targuent de donner une éducation publique de qualité – qu’il faut préserver d’une commercialisation à outrance — même si, dans la pratique, cette bonne volonté est très souvent contredite. Le travail des syndicats, tant à l’échelle nationale qu’internationale, a été essentiel pour déterminer ces prises de position, entre autres par la résistance à d’autres accords commerciaux, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) notamment.

Mais, nous savons tous que ce parti pris demeure fragile. L’école privée bénéficie d’un préjugé favorable sur l’un et l’autre continents et se développe, alors que l’école publique souffre d’un financement insuffisant.

Plusieurs aspects de l’accord risquent de toucher indirectement l’éducation. Les droits de propriété intellectuelle sont présentement en négociation, comme ils ont été un enjeu important à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces droits de propriété sont en général établis en faveur des grandes entreprises qui peuvent ainsi s’approprier le savoir et le vendre. Selon David Robinson, conseiller de l’Internationale de l’éducation pour le commerce international, les Européens font pression pour que le copyright protège les œuvres, non plus cinquante ans après la mort d’un auteur, mais soixante-dix ans. Ces mesures rendraient plus difficile d’accès du matériel nécessaire aux cours, alors qu’elles n’apportent rien aux auteurs.

Dans un tout autre secteur, l’AÉCG ouvrira les marchés publics au niveau fédéral, mais aussi provincial et municipal, ce qui est une première dans les accords commerciaux négociés par le Canada. Au-delà d’un certain montant, les appels d’offres devront être ouverts à la concurrence européenne.

Ceci affectera grandement la possibilité pour une commission scolaire, un cégep ou une université, de concevoir le développement à une échelle régionale. Dans quelle mesure, par exemple, sera-t-il alors possible de favoriser une entreprise locale, qui se distingue par la qualité des aliments qu’elle offre, pour la gestion des cafétérias dans les écoles? La construction de nouveaux pavillons devra-t-elle se faire en PPP, par des compagnies européennes qui emporteront avec elles leurs profits, sans investir davantage dans l’économie québécoise?

Les négociateurs s’intéressent beaucoup à la question de la mobilité de la main d’œuvre. Ce qui inquiète David Robinson: «Dans plusieurs cas, les qualifications et les permis sont déterminés par les institutions d’éducation et les organisations professionnelles. Un regard attentif sur les négociations sera nécessaire pour s’assurer que la mobilité de la main d’œuvre négociée dans l’AÉCG ne compromette pas le pouvoir des institutions dans le secteur de l’éducation d’établir des standards, et qu’elle n’affaiblisse pas ces standards.»

De graves préoccupations
Au-delà des conséquences immédiates sur l’éducation, les enseignantes et les enseignants devraient aussi se préoccuper du modèle de société proposé par cet accord. L’AÉCG est une tentative de plus pour déréglementer, privatiser les services publics, créer un environnement propice au développement des compagnies multinationales. Rien de nouveau sous le soleil, donc.

Mais, l’AÉCG donne un souffle nouveau à ces tentatives et s’inscrit dans un cadre particulièrement large, qui donnera des assises juridiques permanentes au démantèlement de l’État. Et nos gouvernements pourront maintenir l’illusion d’un accord convenable pour tous en jouant sur le capital de sympathie envers une Europe sociale qui a proposé de beaux modèles de développement. Mais, ce n’est pas cette Europe qui négocie avec le Canada.

L’AÉGC devrait être conclu d’ici la fin de l’année 2011, selon le souhait des négociateurs. Ce qui nous donne peu de temps pour réagir et combattre un accord hermétique qui pourrait transformer considérablement notre modèle social. Il faudrait donc souhaiter une vaste mobilisation de la population et du monde syndical pour rappeler à nos gouvernements que les liens internationaux doivent être basés sur le respect des droits, de la démocratie, sur la coopération et le développement de bons services publics.

Pour en savoir plus:

http://www.tradejustice.ca/fr/section/1
www.quebec.attac.org

Le comité école et société
Pour contacter le comité école et société: cesfneeq@csn.qc.ca