La formation universitaire hors des campus principaux

Une question d’accessibilité mais aussi de qualité

Introduction

À la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec, la défense de l’accessibilité aux études supérieures a toujours été et demeure une préoccupation. Nos prises de positions dans plusieurs dossiers prennent comme assise ce principe. Signalons seulement en guise d’exemples le Mémoire sur la qualité, l’accessibilité et le financement des universités, déposé à la Commission de l’éducation en février 2004 ou les nombreuses interventions publiques pour le maintien du gel des droits de scolarité dans une perspective de gratuité scolaire pour tous. Pour nous, aborder le thème de la formation universitaire hors des campus principaux sous l’angle de l’accessibilité coulait donc de source. Les chargées et chargés de cours des universités sont particulièrement sensibles à cette question. Issus de toutes les régions du Québec, ils ont participé activement à la démocratisation de l’enseignement lors de la création de l’Université du Québec et poursuivent leur travail en enseignant dans toutes les régions du Québec où s’offrent des programmes universitaires. Les chargées et chargés de cours du Regroupement université de la FNEEQ ont d’ailleurs retenu ce thème pour leur campagne de visibilité de 2006: Chargées et chargés de cours : des milliers d’enseignantes et d’enseignants universitaires qui rayonnent partout au Québec. Par cette action, ils souhaitaient mettre en relief l’importance de leur contribution à l’accessibilité aux études supérieures dans les régions éloignées des centres urbains et revendiquer la reconnaissance de leur contribution diversifiée aux missions des universités. Traiter ce sujet entraîne nécessairement aborder celui de la qualité de la formation. C’est sous cet éclairage que nous examinerons les questions soulevées dans le cadre de ce colloque, même si nous ne pouvons passer totalement sous silence celles que suscite l’effervescence du développement de centres d’études dans la couronne montréalaise.

La prolifération des centres dans la couronne de Montréal: concurrence ou accessibilité?

Plusieurs questions se posent quant à la prolifération des centres dans la couronne montréalaise, mais celle qui transcende toutes les autres est simple : l’implantation de ces centres répond-elle à un besoin d’accessibilité de la formation ou s’agit-il simplement d’une course aux effectifs, pour ne pas dire à la clientèle, qui se traduit par une concurrence qui n’a cure des limites géographiques? Bien que la question soit simple, la réponse est plutôt complexe.

Pour certains, il est clair que ce qu’on appelle de plus en plus des antennes, répond effectivement à un besoin d’élargissement du bassin d’étudiants, besoin exacerbé par le mode de financement par EETC des universités et bien sûr par le sous-financement chronique que subissent ces dernières, mais également par la conjoncture démographique. Courtiser les étudiants en leur offrant des cours le plus près possible de leur domicile est une avenue qui s’ajoute à d’autres, notamment le recrutement des étudiants étrangers et la délocalisation des programmes à l’extérieur du Québec.

D’autres diront que le mode de vie actuel où jeunes et moins jeunes sont confrontés à la conciliation travail-famille-études et à la performance à tout prix exige que les établissements d’enseignement s’adaptent en leur offrant notamment la possibilité de poursuivre leurs études sans perdre de temps en déplacements, comme le fait par exemple la formation à distance. On dira aussi que les programmes offerts répondent aux besoins du milieu et sont complémentaires à ceux des universités déjà implantées.

Mais a-t-on évalué les conséquences actuelles et à venir de ces antennes sur les effectifs étudiants des universités montréalaises? Quel pourcentage des étudiants de ces centres d’études sont réellement de nouveaux étudiants, qui poursuivraient pas leurs études autrement? S’agit-il simplement d’un déplacement des effectifs? Il s’agit évidemment de décisions individuelles, mais ces décisions sont influencées par l’idéologie ambiante. On peut aussi se demander quels sont les coûts sociaux, notamment sur l’étalement urbain et sur l’environnement, engendrés par ces décisions. Ce qui est clair pour nous, c’est que, dans le contexte de rareté des ressources financières que subissent actuellement les universités, une réflexion en profondeur s’impose, et ce, notamment, afin d’éviter la duplication des services financés par les fonds publics.

La formation hors des campus principaux en région

Attardons-nous maintenant à la formation hors des campus principaux en région. Sur son site Internet, l’Université du Québec décrit sa mission en trois mots : accessibilité, développement scientifique et développement des régions. Par ailleurs, on peut également y lire que l’Université est chargée d’un mandat de présence active sur l’ensemble du territoire national et de développement des régions. Les universités régionales font écho à ce mandat en spécifiant les régions qu’elles desservent, donc leur territoire, notion de base à l’origine du réseau. Les chargées et chargés de cours s’impliquent concrètement dans la réalisation de ce mandat en répondant à l’appel des universités. En effet, les données dont nous disposons nous indiquent que les chargées et chargés de cours assument de 60 à 85 % – selon les établissements – des cours offerts dans les centres hors campus du Québec. Ils sont donc aux premières loges pour analyser la situation et proposer des voies d’amélioration. Je vous ferai ici état des défis et des perspectives que la réflexion du Regroupement université de la FNEEQ a permis d’identifier, fruits d’observations empiriques.

Les défis

Le principal défi auquel sont confrontés les chargées et chargés de cours qui oeuvrent dans les centres hors campus est le maintien de la qualité de l’enseignement. En effet, ceux-ci subissent souvent des pressions de la part des administrateurs pour s’adapter ou accommoder la clientèle, qui, soit dit en passant, n’est pas uniquement constituée d’individus, mais aussi de compagnies et d’organismes. Les chargées et chargés de cours peuvent être invités par exemple à diminuer leurs exigences, à modifier leur plan de cours pour répondre à des exigences très pointues du client et même à changer des notes attribuées afin de préserver la cohorte. La marge de manœuvre des enseignants est parfois très mince. Il peut être difficile dans ce contexte de demeurer à l’écoute des étudiants, ce qui fait partie des responsabilités du formateur, tout en maintenant les exigences d’apprentissage liées au cours et au programme ainsi que la qualité de la formation.

Pour nous, à la FNEEQ, cette qualité repose sur plusieurs éléments. Elle repose d’abord sur la pertinence des programmes et le cheminement bien guidé des étudiants. Elle repose également sur le corps enseignant, sa complémentarité et sa diversité, ainsi que sur son souci constant pour le développement de la pédagogie et la mise à jour des connaissances. La qualité repose en outre sur des conditions de travail adéquates pour les enseignantes et les enseignants, car celles-ci influent inévitablement sur les conditions d’apprentissage des étudiantes et des étudiants et sur la poursuite de leurs études. L’acte d’enseigner est un acte professionnel et le rôle de l’enseignant est de former, de faire cheminer les étudiants dans un champ de connaissance et non de satisfaire un client. C’est cette vision que défendent les chargées et chargés de cours, vision mise à mal dans le contexte actuel de la clientélisation.

D’autres obstacles peuvent aussi avoir des conséquences sur la qualité de l’enseignement. La réduction du nombre de déplacements, donc du nombre d’heures de cours, pour des motifs d’économie en est un exemple. Un autre exemple est celui de la classe multi-niveaux dans un cours de langue. Notons également toutes les difficultés liées au soutien technique et matériel. Comme les cours hors campus sont souvent offerts le soir et la fin de semaine, les services ne sont pas toujours disponibles au moment où l’enseignant en a besoin.

Des défis personnels se posent également aux chargées et chargés de cours qui sillonnent le Québec, notamment en ce qui a trait à la conciliation travail-famille. Pensons au temps consacré aux déplacements, qui limite la disponibilité pour d’autres tâches, qu’elles soient personnelles ou professionnelles. Pour les chargées et chargés de cours, cela peut vouloir dire donner un cours au lieu de deux, ou deux cours au lieu de trois dans un trimestre, ce qui se répercute sur leur rémunération. Pensons aussi aux séjours d’une durée de deux ou trois semaines parfois nécessaires à cause de l’éloignement d’une communauté, absence qui empêche de prendre d’autres engagements. N’oublions pas que les chargées et chargés de cours obtiennent des contrats par cours, pour une durée déterminée, qu’ils sont des enseignants à statut précaire.

En conclusion: quelques perspectives

Malgré ces difficultés, les chargées et chargés de cours s’impliquent avec enthousiasme, voire avec fierté, dans la formation hors des campus principaux. Ils croient en l’accessibilité et ils y oeuvrent. Les chiffres énoncés au début de cet exposé le démontrent. Mais ils pourraient faire encore plus. En effet, ils souhaiteraient être partie prenante du développement de nouveaux projets. Ils pourraient ainsi mettre à contribution leur expertise, notamment en pédagogie, mais également leur expérience terrain, et ce, toujours dans le but d’offrir aux étudiants une formation de qualité.

Dans le même sens, les universités doivent poursuivre le développement de collaborations avec les communautés qu’elles desservent. Éviter l’effritement de la notion de territoire, qui, rappelons-le, prenait tout son sens lors de la formation du réseau de l’Université du Québec, est essentiel pour mieux répondre aux besoins de formation de l’ensemble des citoyens tout en évitant le gaspillage des ressources.

Finalement, on ne pourrait conclure sans dire un mot sur l’importance du développement des partenariats avec les communautés autochtones. Les citoyens de ces communautés ont des besoins criants en matière de formation, dont une partie relève de la responsabilité des universités. Encore là, les chargées et chargés de cours répondent présents. Ils sont nombreux à dispenser l’enseignement chez les Premières nations, de La Romaine jusqu’à Povungnituk. Pourtant, leur expertise en ce domaine est peu reconnue et n’est pas souvent mise à profit dans l’élaboration des nouveaux projets. Leur expérience atteste entre autres choses que les universités doivent établir un lien de confiance avec les communautés, et ce, afin de répondre aux aspirations du milieu tout en maintenant les exigences des programmes de formation et en offrant, lorsque nécessaire, des formations de mise à niveau. Ce n’est qu’ainsi que la valeur des diplômes émis peut être assurée.

Bref, peu importe le lieu et le profil des étudiantes et des étudiants, la formation hors des campus principaux prend tout son sens en deux mots : accessibilité pour tous et qualité de la formation.

 

Claire Tremblay
Déléguée à la coordination
Regroupement université
FNEEQ-CSN