Ce printemps, dans un contexte de crise qui a frappĂ© durement toute la population, les enseignantâes ont dĂ» adapter leur enseignement aux mesures de distanciation physique exigĂ©es par la lutte Ă la pandĂ©mie de la COVID-19. Dans lâurgence, nous avons assumĂ© Ă©normĂ©ment dâheures de travail non rĂ©munĂ©rĂ©es pour lâadaptation et lâencadrement de cours en mode non prĂ©sentiel pour assurer la rĂ©ussite des Ă©lĂšves. Dans un contexte oĂč la crise risque dâaffecter nos vies et nos conditions de travail pour la prochaine annĂ©e, il devient impĂ©ratif de dĂ©fendre nos droits et de faire comprendre au ministĂšre de lâĂducation et de lâEnseignement supĂ©rieur (MEES) autant quâaux directions dâĂ©tablissement que lâenseignement en temps de pandĂ©mie prend Ă©normĂ©ment de temps, autant pour sa conception que pour son encadrement.
Depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie, les communications contradictoires du MEES ont engendrĂ© beaucoup de confusion et de stress. Au primaire, le retour en classe s’est effectuĂ© Ă gĂ©omĂ©trie variable, les Ă©lĂšves de la rĂ©gion du Grand MontrĂ©al demeurant confinĂ©s Ă la maison. Au secondaire, le retour Ă l’Ă©cole cet automne suscite toujours des questionnements. La situation sanitaire nâĂ©tant pas sous contrĂŽle, le retour dâune partie des Ă©lĂšves en classe, avec de nombreuses mesures sanitaires et de distanciation physique difficiles Ă mettre en Ćuvre, constitue un dĂ©fi majeur auquel sâajoute le soutien Ă distance des Ă©lĂšves Ă la maison. En enseignement supĂ©rieur, malgrĂ© une ouverture rĂ©cente du gouvernement Ă la prĂ©sence physique sur les campus Ă l’automne, le principal dĂ©fi demeure l’adaptation des cours Ă l’enseignement en mode non prĂ©sentiel.
En effet, si le ministre Roberge semble maintenant enclin Ă reconnaĂźtre les vertus de lâenseignement en prĂ©sence tant pour les apprentissages et lâacquisition des savoirs que pour lâencadrement, la motivation et le bien-ĂȘtre mental et physique des Ă©tudiantâes, sa comprĂ©hension des difficultĂ©s liĂ©es Ă lâenseignement en mode non prĂ©sentiel semble limitĂ©e. DĂ©jĂ , persister Ă nommer «enseignement Ă distance» (EAD) ce que nous avons vĂ©cu ce printemps et ce que nous vivrons, en partie, cet automne tĂ©moigne dâune mĂ©connaissance des conditions nĂ©cessaires Ă la mise en place dâun EAD de qualitĂ©. Croire quâil est « facile » de transformer des cours en EAD ou de passer dâun mode Ă lâautre rapidement relĂšve de la pensĂ©e magique.
La prĂ©sente chronique reprend le « cĆur » du rĂ©cent document Lâenseignement au temps du coronavirus â Balises pour lâautomne 2020 du comitĂ© Ă©cole et sociĂ©tĂ© (FNEEQ) qui sâappuyait sur son rapport Lâenseignement Ă distance : Enjeux pĂ©dagogiques, syndicaux et sociĂ©taux prĂ©sentĂ© au conseil fĂ©dĂ©ral de mai 2019 et sur les recommandations sur lâEAD adoptĂ©s lors de cette mĂȘme instance. Elle sâappuie Ă©galement sur la recommandation suivante, adoptĂ©e par le Bureau fĂ©dĂ©ral de la FNEEQ le 8 mai dernier :
Que le Bureau fĂ©dĂ©ral adopte les 6 Ă©noncĂ©s de principe suivants Ă titre dâorientations gĂ©nĂ©rales de la FNEEQ en vue de la rentrĂ©e de lâautomne 2020 :
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En quoi lâenseignement en temps de pandĂ©mie est diffĂ©rent de lâEAD?
Lâenseignement Ă distance nĂ©cessite un processus long et coĂ»teux ainsi que toute une Ă©quipe faisant appel Ă plusieurs corps dâemploi qui travaillent en Ă©troite collaboration. Ainsi, lorsquâils sont faits «dans les rĂšgles de lâart», les cours en EAD sont de qualitĂ©. Cependant, les conditions actuelles ne permettent absolument pas dâenvisager lâadaptation massive de cours en EAD, et ce, mĂȘme si le corps enseignant y met tous ses efforts et toute sa volontĂ©, tel quâil lâa fait avec beaucoup de professionnalisme ce printemps. Ainsi, il faut Ă©viter de tomber dans le piĂšge dâessayer de faire du «rĂ©el» EAD et de croire quâil est possible dâadapter nos cours par nos propres moyens, sans les ressources financiĂšres, matĂ©rielles et de soutien normalement offertes en mode «à distance». Penser rĂ©ussir Ă faire la transition vers le mode «à distance» simplement par le biais de multiples formations relĂšve de lâutopie et ajoute une pression indue sur les enseignantâes, dâautant plus que ces formations sont rarement rĂ©munĂ©rĂ©es. De mĂȘme, il est difficile, en contexte de pandĂ©mie, de donner un enseignement Ă©quivalant Ă ce qui se fait habituellement en prĂ©sentiel sans hypothĂ©quer notre santĂ© physique et psychologique ainsi que de celle des Ă©tudiantâes.
Dans le contexte de crise sanitaire que nous vivons et qui nous attend Ă lâautomne, lâadaptation qui peut ĂȘtre faite des cours conçus en prĂ©sentiel nâest pas de lâEAD mais plutĂŽt de lâenseignement en mode non prĂ©sentiel (EMNP). Cette distinction est essentielle et mĂ©rite dâĂȘtre constamment rappelĂ©e Ă la fois au MEES et aux directions dâĂ©tablissements dâenseignement. LâEMNP est un enseignement palliatif, une mesure dâappoint, temporaire et qui ne doit pas crĂ©er de prĂ©cĂ©dent. Il doit se concentrer sur les solutions qui permettront de garantir un apprentissage des contenus et des compĂ©tences essentiels. Les enseignantâes, forts de leur autonomie professionnelle, savent mieux que quiconque comment organiser leur enseignement afin dâatteindre cet objectif. Ne reste maintenant quâĂ leur offrir les ressources nĂ©cessaires pour mener cette mission Ă bien.
Scénarios divers et décrochage scolaire
Bien que les mesures sanitaires demeurent essentielles, les bienfaits des cours en prĂ©sence ne sont plus Ă dĂ©montrer, particuliĂšrement pour le primaire et le secondaire, mais Ă©galement en enseignement supĂ©rieur. En effet, le non prĂ©sentiel nâest pas appropriĂ© pour la majoritĂ© de la population Ă©tudiante, en plus des enjeux dâiniquitĂ©s quâil soulĂšve.
Tel que le rappelle avec beaucoup de justesse une Ă©tudiante du collĂ©gial dans sa lettre du 26 mai dernier «Les oubliĂ©s de la crise: nous mĂ©ritons une petite attention» (Coderre, 2020), lâĂ©cole, câest plus quâune transmission de connaissances. Les relations concrĂštes avec les enseignantâes et avec les collĂšgues de classe, la chimie qui sâinstalle dans un groupe, câest essentiel Ă la motivation, et ces Ă©changes spontanĂ©s sont bien difficiles Ă recrĂ©er en vidĂ©oconfĂ©rence.
La plupart des directions dâĂ©tablissements dâenseignement supĂ©rieur avaient dĂ©jĂ annoncĂ© que lâessentiel des cours se ferait Ă distance lâautomne prochain. Or le MEES vient de rendre publics des scĂ©narios avec des balises plancher de frĂ©quentation en personne pour tous les Ă©tablissements, allant de 30% Ă 100% si les directives de la SantĂ© publique le permettent (Morasse, 2020). Le MEES sâest dit particuliĂšrement prĂ©occupĂ© par le dĂ©crochage scolaire et privilĂ©gie maintenant un enseignement au moins partiellement en prĂ©sence dans le but de briser lâisolement ainsi que de favoriser la persĂ©vĂ©rance des Ă©tudiantâes. Il sâest Ă©galement montrĂ© ouvert Ă lâidĂ©e de la FNEEQ et de la FĂ©dĂ©ration des cĂ©geps dâune campagne de promotion sur la persĂ©vĂ©rance scolaire auprĂšs des jeunes, mais encore faut-il que des ressources financiĂšres supplĂ©mentaires permettent dâassurer des conditions dâapprentissage propices Ă cette persĂ©vĂ©ranceâŠ!
Pour lâinstant, Ă la veille des «vacances» du personnel enseignant (selon ce quâil en restera, vu la charge de travail liĂ©e Ă la prĂ©paration de lâautomne), le MEES nâest toujours pas en mesure de confirmer lâinjection de ressources pour, notamment, rĂ©duire le ratio enseignant/Ă©lĂšves, soit pour faciliter le respect des rĂšgles de distanciation ou encore pour permettre un meilleur encadrement des Ă©tudiantâes en mode non prĂ©sentiel.
Devant le danger des dĂ©ficits apprĂ©hendĂ©s quâentraĂźneraient le dĂ©crochage scolaire ou la dĂ©saffection de nos Ă©tablissements dâenseignement supĂ©rieur, il serait irresponsable de la part du MEES de ne pas consentir un investissement dâurgence afin dâoffrir la possibilitĂ© de planifier le meilleur scĂ©nario permettant la rĂ©tention des Ă©tudiantâes. Cet investissement dâurgence permettrait Ă©galement de prĂ©server les emplois du personnel enseignant prĂ©caire, dont lâapport sera dâautant plus prĂ©cieux en pareil contexte.
Conditions pour un enseignement acceptable Ă lâautomne 2020
Le document Lâenseignement au temps du coronavirus â Balises pour lâautomne 2020 fait un relevĂ© exhaustif des mesures essentielles Ă un enseignement de qualitĂ© cet automne. Sans entrer ici dans le dĂ©tail, soulignons-en quelques-unes.
Tel que mentionnĂ© ci-dessus, des ressources financiĂšres supplĂ©mentaires sont nĂ©cessaires pour assurer la qualitĂ© des conditions dâenseignement et dâapprentissage. Ce printemps, les enseignantâes auront complĂ©tĂ© lâannĂ©e scolaire en reconfigurant lâensemble de leurs cours au pied levĂ© afin dâenseigner en mode non prĂ©sentiel ou en prĂ©sentiel avec distanciation, dans un contexte de confinement, sans ressources supplĂ©mentaires, en sâassurant de la qualitĂ© des apprentissages. Tout cela en ayant Ă faire face, comme lâensemble de la population, Ă lâanxiĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rĂ©e par la crainte du COVID ainsi quâĂ lâexacerbation des dĂ©fis de la conciliation travail-famille pour plusieurs. Tout le monde est Ă bout de souffle. Il ne saurait ĂȘtre question de faire une demi-annĂ©e, encore moins une annĂ©e complĂšte, dans un contexte similaire. Or, pour lâinstant, les tĂąches sont rĂ©parties selon les critĂšres habituels, ce qui est inacceptable. Le MEES doit confirmer des sommes additionnelles pour lâenseignement dĂšs maintenant afin de permettre aux enseignantâes de bien planifier la prochaine annĂ©e scolaire.
Ces ressources doivent Ă©galement permettre aux enseignantâes de se dĂ©gager du temps pour revoir la planification de leurs cours et pour se concerter en Ă©quipes-Ă©cole, dĂ©partements ou comitĂ©s de programmes. Par exemple, le dĂ©but de lâannĂ©e scolaire pourrait ĂȘtre lĂ©gĂšrement retardĂ© afin de permettre aux enseignantâes de terminer les derniers ajustements Ă leurs cours et aux Ă©lĂšves, de recevoir, par le biais des directions, toute lâinformation et la formation requises pour entamer une annĂ©e scolaire dans de telles conditions. Ce temps pourrait aussi servir Ă du rattrapage afin que tous les Ă©tudiantâes commencent dans les meilleures dispositions possibles.
MalgrĂ© les difficultĂ©s Ă se consulter « Ă distance », la gestion collĂ©giale doit demeurer au cĆur des relations de travail. Les dĂ©cisions peuvent continuer de se prendre dans les instances habituelles. Si des comitĂ©s consultatifs sont crĂ©Ă©s, ceux-ci ne sauraient se substituer aux instances encadrĂ©es par nos conventions collectives, dâautant plus que ces comitĂ©s «ad hoc» sont gĂ©nĂ©ralement moins dĂ©mocratiques et davantage contrĂŽlĂ©s par les directions. Il y a des limites Ă ce que la crise actuelle serve Ă cautionner une exacerbation du «droit de gĂ©rance» des directions et dâune gestion de type «gouvernance» autoritaire.
Enfin, en ce qui a trait aux conditions dâenseignement et de travail, soulignons lâimportance de prolonger la suspension temporaire de certaines rĂšgles (par exemple, celles relatives au calendrier scolaire) ou certains Ă©lĂ©ments de diverses politiques. Ces mesures temporaires offrent la marge de manĆuvre nĂ©cessaire au plein dĂ©ploiement de lâautonomie professionnelle individuelle et collective du personnel enseignant afin quâil puisse organiser au mieux son enseignement. Enfin, toute la question de la sĂ©curitĂ© informatique, des droits dâautrices et dâauteurs, et du droit Ă lâimage doivent aussi ĂȘtre pris en compte dans ce dĂ©ploiement de lâEMNP.
En guise de conclusionâŠ
Nous sommes dĂ©jĂ assurĂ©s que cette Ă©prouvante pĂ©riode aura soulignĂ© avec force la volontĂ© des enseignantâes de continuer Ă soutenir et Ă instruire les jeunes de mĂȘme que les adultes dans un contexte de crise sans prĂ©cĂ©dent. Bien que lâEAD puisse ĂȘtre de qualitĂ© et offert pour de bonnes raisons, lâexpĂ©rience dâun enseignement massif en mode non prĂ©sentiel aura fait ressortir, tant pour le personnel enseignant que pour la population Ă©tudiante, la valeur inestimable de lâenseignement en prĂ©sentiel. Plus que jamais, le point de vue des enseignantâes devra ĂȘtre pris en compte dans ce qui guidera lâavenir de lâĂ©ducation au QuĂ©bec.
BIBLIOGRAPHIE
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Morasse, M.-E. (2020, 26 mai). «Cégeps et universités: Québec veut des étudiants sur les campus cet automne». La Presse. Repéré à https://www.lapresse.ca/covid-19/202005/26/01-5275116-cegeps-et-universites-quebec-veut-des-etudiants-sur-les-campus-cet-automne.php
Le comité école et société
On peut contacter le comitĂ© Ă©cole et sociĂ©tĂ© par courriel Ă lâadresse : cesfneeq@csn.qc.ca