À un an des prochaines élections provinciales, le gouvernement a profité de la rentrée scolaire pour se montrer «généreux» et «pro-actif» en éducation. «Généreux» par le réinvestissement, dans d’«innovantes» politiques éducatives, d’une infime partie de tous les milliards qu’il a coupés. «Pro-actif» aussi en enseignement supérieur: la ministre David s’est faite bien présente dans les médias pour annoncer des projets consensuels bien ciblés. Malheureusement, les actions gouvernementales de l’été et l’agenda politique de l’automne ne font que confirmer le projet de marchandisation du savoir entrepris par les libéraux il y a 15 ans. Les États généraux de l’enseignement supérieur (ÉGES) doivent devenir la plateforme de lutte commune permettant aux acteurs.trices de l’éducation de peser de tout leur poids pour restaurer un projet éducationnel progressiste et émancipateur.
L’éternelle menace d’un ordre professionnel
Les jeunes libéraux ont ouvert le bal de la rentrée à la mi-août en ressortant une vieille rengaine, celle de la création d’un «ordre professionnel des enseignants». En lien avec l’idéologie de l’assurance qualité, cette proposition antisyndicale prétend vouloir «encadrer» (contrôler) les enseignant.e.s afin de «valoriser le rôle de l’enseignement» et de «protéger le public». Or, comme l’a reconnu l’Office des professions du Québec – dès 2003, au moment où Jean Charest cherchait à implanter sa réingénierie de l’État –, un tel ordre est inutile pour les enseignant.e.s puisque la profession est déjà bien encadrée par la Loi sur l’instruction publique et que l’intérêt du public est loin d’être menacé. Les jeunes libéraux prétendent que les syndicats ne seraient pas en mesure de défendre le «bien-être de l’élève ou de l’étudiant», puisque leur « mission fondamentale […] est au niveau de leurs membres». Pourtant, avec les parents (mouvement Je protège mon école publique), les syndicats ont été les principaux défenseurs de l’intérêt des élèves et de l’éducation en général, contre les coupures massives de l’austérité (néo)libérale.
Stratégie contre les violences sexuelles et contrôle de la rémunération des recteurs – L’arbre de la vertu cachant la forêt du dévoiement de l’enseignement supérieur
En enseignement supérieur, la ministre David prenait le relais des jeunes libéraux en annonçant en août, coup sur coup, la mise en application d’une Stratégie d’intervention pour prévenir et contrer les violences à caractère sexuel en enseignement supérieur et son intention d’encadrer la rémunération des recteurs. Elle eut beau recevoir des félicitations de toute part, cela ne change rien au mal-financement chronique du secteur, enjeu pourtant réel et criant.
D’ailleurs, côté financement, la ministre a choisi, notamment, d’octroyer une enveloppe de 100 millions $ à un projet de campus numérique national (le «eCampus») qui s’inscrit dans une logique de «compétition à l’internationale» et de «mondialisation de l’enseignement supérieur». Ce projet, adopté sans consultation préalable, a de quoi inquiéter. Par exemple, à l’Université Laval, chef de file des cours à distance au Québec (1 cours sur 4 est offert en formation à distance), l’approche pédagogique a dû s’adapter aux grands groupes virtuels, les étudiant.e.s se retrouvent de moins en moins en situation d’échanges concrets avec leurs enseignant.e.s ou leurs collègues de classe, et la vie sur les campus s’est vue gravement affectée.
Notons, par ailleurs, que la Fédération des cégeps veut aussi proposer son modèle de plateforme en ligne à la ministre sous peu.
La Politique pour la réussite éducative – Contrôler les enseignant.e.s pour imposer une vision de l’éducation
Dévoilée le 21 juin dernier, à l’orée des vacances estivales des enseignant.e.s du primaire et du secondaire, et à un moment peu propice à la mobilisation de la communauté, la Politique pour la réussite éducative du ministre Proulx a soulevé peu d’enthousiasme et plusieurs préoccupations. Ce qui frappe d’abord c’est l’aspect ultra-quantitatif de cette politique, typique de la standardisation liée à l’assurance qualité. Avec des mots doucereux comme «excellence», «qualité», «réussite éducative» ou «meilleures pratiques», c’est toute une conception affairiste et entrepreneuriale de l’éducation que le ministre Proulx cherche à naturaliser et à faire intégrer par l’ensemble de la population.
Les «compétences du 21e siècle» mises de l’avant par la politique ont beau renvoyer à des «citoyennes et des citoyens compétents, créatifs, responsables et pleinement engagés dans leur vie personnelle, familiale, professionnelle et sociale», c’est toujours la partie professionnelle qui ponctue l’acquisition de «compétences» (plutôt que de connaissances). Ainsi, ces « [compétences du 21e siècle] peuvent susciter chez l’élève un sens accru de l’entrepreneuriat et de l’innovation». Elles servent aussi à fournir une «main-d’œuvre compétente et polyvalente» aux «entreprises» et au «milieu des affaires».
De même, la formation professionnelle doit répondre aux «priorités de développement du Québec et [aux] besoins du marché du travail» et inclure des «activités de sensibilisation à l’entrepreneuriat et un soutien à la réalisation de projets entrepreneuriaux» ou «correspond[re] aux compétences recherchées par les employeurs». Bref, les «réinvestissements» promis, en plus d’être insuffisants, sont orientés vers l’acquisition de «compétences» immédiatement consommables par le marché du travail plutôt que vers un «rattrapage» de ce qui a été coupé dans les années antérieures.
Enfin, la nouvelle politique prétend «valoriser» la profession enseignante en encadrant davantage les enseignant.e.s par la création d’un «nouveau référentiel des compétences professionnelles de la profession d’enseignant». Symptomatiquement, et comme ballon d’essai, on revient à la charge en proposant de consulter «l’Office des professions du Québec en vue de la création d’un ordre professionnel des orthopédagogues».
Modifications au Règlement sur le régime des études collégiales (RREC)
Le 28 juin dernier, en catimini, pendant les vacances des professeur.e.s de cégeps, la ministre David a procédé à la modification du RREC. Plusieurs modifications concernent les Attestations d’études collégiales (AEC; offertes à la formation continue). Notamment, les conditions d’admission aux AEC pour un élève détenteur d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) ont été assouplies.
Même si cette modification est intéressante pour les étudiants adultes, la FNEEQ s’inquiète que les AEC puissent ainsi devenir, pour les jeunes en formation initiale, des «voies de contournement des programmes de DEC [et] une manière d’éviter la formation générale». D’ailleurs, les modifications au RREC incluent, pour les AEC, l’introduction d’éléments de formation visant le développement de la langue d’enseignement et de la langue seconde en lien avec le domaine de formation spécifique. La FNEEQ a donc pris soin d’insister sur le fait que «[…] ces éléments [de formation] ne peuvent se substituer ou être reconnus équivalents à une composante de la formation générale menant à un DEC».
Dans ce contexte, la bonne nouvelle concernant la gratuité scolaire pour les étudiant.e.s à temps partiel inscrits à une AEC en cache une mauvaise. Le problème n’est pas seulement que les personnes inscrites à temps partiel au cégep dans un programme autre qu’une AEC doivent toujours payer des droits de scolarité, mais aussi que cette nouvelle mesure induit une attractivité énorme pour les AEC au détriment des programmes de DEC. Si on combine ces trois mesures, on est en droit de s’inquiéter, d’autant plus que la Fédération des cégeps continue d’exiger plus de flexibilité et d’autonomie quant à la diversité des diplômes techniques qu’un collège pourrait offrir (dont le diplôme par cumul d’AEC, tel que proposé dans le rapport Demers, recommandation 12).
Bref, bien qu’on puisse se réjouir que les modifications au RREC n’incluent pas les éléments de «flexibilisation» et d’«autonomie» des administrations collégiales[1] suggérés dans les documents des consultations de l’automne 2016 – éléments dénoncés par la FNEEQ dans le cadre de sa campagne Un DEC c’est un DEC partout au Québec –, on perçoit une claire intention du gouvernement de favoriser les formations courtes dans une optique d’adéquation formation-emploi toujours de plus en plus marquée.
Les États généraux de l’enseignement supérieur (ÉGES) versus l’économie du savoir
Ce tour d’horizon des sujets chauds de la rentrée permet de mettre en lumière la convergence des attaques contre le système d’éducation québécois, attaques camouflées sous de supposés cadeaux pré-électoraux (réinvestissements sélectifs).
Cette vision de l’éducation provient d’un projet idéologique plus large, celui de «l’économie du savoir», assumé depuis plus de vingt ans par tous les gouvernements de la province. Réunis à Québec en mai dernier dans le cadre des ÉGES, plus de 500 acteurs.trices de l’éducation ont analysé en long et en large les enjeux relatifs à ce monstre tentaculaire dont les effets se font sentir quotidiennement: sous-financement de l’enseignement et de la recherche, détournement des missions de l’éducation afin de répondre principalement aux besoins des entreprises, gouvernance autoritaire contrôlée par des gestionnaires et des intervenants des milieux d’affaires, augmentation du nombre d’étudiant.e.s par classe et diminution des services, précarisation (psychologique, matérielle, financière), dégradation généralisée des conditions d’enseignement, etc.
Au-delà de l’analyse des attaques néolibérales, ce coup d’envoi des ÉGES a servi à identifier des solutions pour restaurer la valeur et les fondements de l’enseignement supérieur et a permis de dégager une solide volonté d’actions et de luttes communes. Le Collectif organisateur des ÉGES veut d’ailleurs utiliser cette coalition historique comme levier politique. Le Conseil fédéral de la FNEEQ adoptait récemment un calendrier et un plan d’action pour l’année à venir. C’est donc à une année préélectorale mobilisée que nous sommes conviés afin de proposer, dans le cadre de la poursuite des ÉGES, un modèle éducatif à la hauteur de nos aspirations les meilleures pour l’ensemble des Québécois.es.
Le comité école et société
On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca
[1] Par exemple, «la possibilité d’obtenir un DEC par un cumul d’AEC» ou la capacité pour «chaque collège d’ajouter ou de modifier les compétences à maîtriser pour obtenir un DEC ».