Nous célébrons cette année les 50 ans des cégeps, cette curieuse invention québécoise. Créés dans la continuité du rapport Parent, ils avaient comme visée de rehausser le niveau de scolarité de la population, particulièrement bas chez celles et ceux que l’on nommait les Canadiens-français, et de rendre les études supérieures plus accessibles.

50 bougies pour les cégeps

Ces objectifs ont été atteints d’une manière éclatante. Pourtant, on ne cesse de remettre en question ces institutions trop originales dans un monde de l’éducation trop pragmatique qui voit trop souvent l’uniformisation comme un signe de rentabilité.

Les enseignantes et les enseignants au collégial sont constamment confrontés à l’originalité des cégeps lorsqu’ils doivent décrire leur travail à des étrangers: ni écoles secondaires ni universités, mais un peu des deux, mélangeant techniques de pointe à une bonne formation générale, touchant beaucoup d’adultes mais surtout des jeunes à la fois adultes et adolescents…

Les commissaires qui ont fondé les cégeps étaient très conscients du modèle particulier qu’ils mettaient en place, selon Guy Rocher, l’un d’entre eux: «il s’agissait là du projet de réforme le plus audacieux, le plus novateur et le plus exigeant à réaliser de tout le rapport. [Les commissaires] reconnaissaient “qu’aucun établissement actuel ne répond à cette image; en particulier, aucun n’offre et ne pourrait offrir un enseignement aussi diversifié que celui que nous proposons.”¹»

Mettre en place ce modèle unique a été un important défi. Mais l’unicité de ce système, typiquement de chez nous, est en soi une tare aux yeux de certains : ne serait-il pas plus commode d’adopter le modèle anglo-saxon, en prolongeant d’un an le secondaire et en donnant par la suite directement accès à l’université ou à des écoles techniques spécialisées, comme il l’a maintes fois été suggéré? Ou ne pourrait-on pas transformer le modèle que nous connaissons de façon à mieux l’adapter aux besoins du marché?

Un modèle qui a fait ses preuves

Et pourtant, ça marche! Notre modèle collégial continue encore à répondre avec succès aux intentions pour lesquelles il a été créé. Au chapitre de l’accessibilité aux études supérieures, les chiffres sont éloquents : pour une population totale s’étant multipliée par 1,3 au Québec entre 1967 et 2009², les effectifs étudiants des cégeps ont été multipliés, eux, par 3,25 passant de 55 383 étudiantes et étudiants à 180 436³.

Ce succès, c’est bel et bien celui du modèle des cégeps. Car rappelons que ceux-ci offrent depuis leur fondation une éducation supérieure gratuite, un choix impressionnant de programmes d’étude sur l’ensemble du territoire. Ils se sont toujours mobilisés pour protéger l’équité, l’intégration et l’égalité d’accès aux études supérieures des groupes les plus vulnérables. En témoignent les mesures d’accommodation des étudiantes et étudiants en situation de handicap, l’implication dans la francisation des personnes immigrantes, la mobilisation soutenue contre le harcèlement, la violence et aujourd’hui les rapports inégalitaires en matière sexuelle. Voilà ce qui a amélioré la vie de centaines de milliers de personnes.

Les cégeps sont des milieux d’exploration et de créativité sans équivalent. Pour plusieurs étudiantes et étudiants, y entrer est synonyme de liberté et leur permet de s’ouvrir à de nouveaux horizons. Les contributions sociales, scientifiques et économiques des cégeps dans les milieux où ils sont implantés sont tangibles.

En matière de diplomation de main-d’œuvre technicienne et technologue, les cégeps font un travail exemplaire. Si les taux de satisfaction des employeurs à l’égard des diplômées et diplômés sont si élevés (96% selon des chiffres de la Fédération des cégeps), c’est bien parce qu’en plus d’être bien qualifiés pour exécuter des tâches, les étudiantes et étudiants sont aussi formés pour penser, pour analyser et résoudre des problèmes, pour réfléchir de manière critique au sens même de leur travail, de leur citoyenneté, de leur vie.

Des nuages à l’horizon

Ce modèle humaniste et sans concession à la qualité de la formation allait heurter rapidement les idées néolibérales qui s’installaient depuis le début des années 1980. L’idée même des cégeps a été attaquée au fil des ans, soit indirectement (par exemple, lors de la réforme de 1993), soit directement par le ministre Pierre Reid pour lequel, en 2004, «tout était sur la table». À chaque fois, les organisations syndicales se sont portées avec vigueur – et succès! – à la défense des cégeps.

Aujourd’hui, la menace demeure. L’enseignement supérieur est dorénavant soumis à des visées d’instrumentalisation, sous le vocable «adéquation formation‑emploi»,  et de contrôle, comme lorsqu’on parle «d’assurance‑qualité». À l’automne 2014, le Rapport Demers4, a proposé un train de mesures visant à modifier les orientations du réseau et le cadre pédagogique des programmes pour mieux arrimer les formations au marché de l’emploi: multiplication des voies de sortie et des AEC, introduction de nouveaux types de diplômes, remise en question de la formation générale, pour «former» plus rapidement et répondre aux demandes de main d’œuvre du marché régional.

Si ces propositions n’ont pas été appliquées au pied de la lettre, elles ont été reprises ailleurs, autrement. Par exemple, le projet de loi 70, adopté en novembre 2016, attribue de nouveaux pouvoirs aux acteurs du monde du travail dans l’élaboration des programmes d’enseignement.

Depuis le budget provincial de mars 2015, des mesures sont en place pour instaurer un mode de financement par projets privilégiant l’accès à une formation «qui contribue davantage à la productivité des entreprises» ou le recours magique aux stages en entreprise… comme si nos programmes techniques n’étaient pas branchés sur le monde du travail! En manque important de ressources à la suite des compressions budgétaires, les directions de cégeps ont recours à ces subventions, au risque d’instrumentaliser l’enseignement supérieur pour offrir des formations sur commandes.

La ministre David, de son côté, a lancé à l’automne 2016 une consultation éclair sur la création d’un Conseil des collèges prévu pour évaluer la qualité des programmes des cégeps en recourant aux experts et aux «meilleures pratiques internationales». Le jupon dépasse quand on considère les modifications qui pourraient être apportées au Règlement sur le régime des études collégiales pour donner plus de flexibilité aux collèges dans les contenus des programmes et l’émission des diplômes. La valeur avérée et reconnue des diplômes collégiaux est une fois encore menacée devant les besoins immédiats des entreprises locales.

En réponse à cette nouvelle attaque, la FNEEQ a lancé la campagne «Un DEC, c’est un DEC, partout au Québec!». Et qu’on se le tienne pour dit: la relève sera là pour défendre le réseau des cégeps… auquel on souhaite au moins un autre 50 ans!

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca

  1. Sous la direction de Lucie Héon, Denis Savard, Thérèse Hamel, Les cégeps, une grande aventure collective, Les Presses de l’Université Laval, 2006, p. 14.
  2. «Population du Québec, 1971-2016», Institut de la statistique du Québec, 2016, [en ligne: http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/structure/qc_1971-20xx.htm] (consulté le 16.02.2017).
  3. Kamanzi, P., Doray, P., et Laplante, B., «Accessibilité et provenances socioéconomiques des étudiants postsecondaires», Vie économique, 4/1, sept. 2012, [en ligne: http://www.eve.coop/?a=155] (consulté le 16.02.2017).
  4. Rapport du chantier sur l’offre de formation collégiale, créé à la suite du Sommet sur l’enseignement supérieur de 2013, en ligne: https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/DepotNumerique_v2/AffichageNotice.aspx?idn=75276.