Un devoir de solidarité sociale
Février 2007 – Le débat sur les droits de scolarité fait couler beaucoup d’encre. Devant les arguments parfois fallacieux invoqués par les tenants du dégel, on oublie parfois qu’il devrait surtout être question ici de principes. Au-delà de toute comptabilité, étatique autant que personnelle, le maintien du gel des frais de scolarité et l’abaissement des frais afférents relèvent de la justice distributive et d’une philosophie sociale de partage entre les générations.
L’éducation est un bien collectif public
Au Québec, depuis les années 1960, l’éducation a été comprise comme un droit social, comme un bien public, commun et partagé collectivement. C’est pourquoi l’accès démocratique aux études est, en très grande partie, assumé par l’État à travers la fiscalité générale. Les citoyennes et les citoyens, jeunes et adultes, ont ainsi eu accès à une formation, pour leur émancipation personnelle et leur perfectionnement. C’est devenu le pilier de notre enrichissement collectif et la porte ouverte à l’égalité des chances. Par conséquent, il faut refuser de traiter en marchandise comme les autres, un service payant soumis à diverses contraintes qui en limitent l’accessibilité et en font un privilège réservé aux seules personnes mieux nanties.
C’est en vertu de cette philosophie sociale de l’éducation que les droits de scolarité ont été gelés à plusieurs reprises, et maintenant depuis 13 ans, afin d’effectuer un rattrapage nécessaire. Certains veulent renoncer à cette vision en déréglementant le gel des droits de scolarité et en libéralisant les frais afférents comme on l’a permis ces dernières années. Ce serait là une dérive dangereuse et un déni du pacte social en éducation, qui épouserait le courant néolibéral instauré dans ce secteur en Amérique du Nord et du Sud, les gouvernements ayant livré au marché privé et aux individus de larges pans de leur système public d’éducation secondaire et supérieure. C’est pour résister à la menace d’un tel recul qu’il faut aujourd’hui lutter contre le dégel des frais de scolarité et dénoncer l’invasion de l’entreprise dans nos systèmes de formation, que ce soit par philanthropie ou intérêt. Rappelons que c’est au Québec que les inscriptions à l’université demeurent les plus basses dans l’ensemble canadien. Il en est de même de l’obtention de diplômes universitaires. Changer de cap à l’égard des frais de scolarité ne pourrait qu’empirer la situation et nous mettre sur une voie de non retour. Bien des citoyennes et citoyens avertis le reconnaissent et l’appréhendent.
Il y a aussi dans cette menace une grave entorse au devoir de solidarité entre les générations. En effet, les générations précédentes ont bénéficié de frais de formation plutôt bas et stables, d’un régime de prêts et bourses relativement avantageux, donnant lieu à un endettement à peu près raisonnable comparativement à ce qu’on peut trouver ailleurs. Et ce serait maintenant les gens de cette génération qui retireraient l’échelle et soumettraient les jeunes et ceux à venir, à des coûts de formation difficiles à assumer par la plupart d’entre eux. Il est par conséquent normal que ceux qui feront les frais d’un tel revirement y voient une injustice flagrante et fassent appel à la solidarité d’une bonne partie de la population, de même que de groupes telles les centrales syndicales qui leur apportent leur soutien.
Les subterfuges de l’approche comptable
Le problème est connu : les établissements d’enseignement supérieur souffrent d’une carence en financement. Au Québec, il faudrait 1,2 milliard $ pour rétablir la situation. Ce financement doit relever de l’État. Le désengagement du gouvernement canadien a créé une grave pénurie, obligeant celui du Québec à chercher d’autres sources de financement et des ressources compensatoires. La situation est encore loin d’être rétablie.
« Seulement deux dollars de plus par semaine », voilà ce qu’on dit de la proposition du Parti libéral du Québec en campagne électorale. D’une part, il s’agit là d’une promesse électorale et on peut penser qu’une fois le principe d’un dégel admis, les coûts s’envoleront. D’autre part, on parle, d’un minimum de 10 $ par semaine d’augmentation au bout de quelques années, ce qui n’est pas rien. Cela fera en sorte qu’encore plus de jeunes hésiteront à entreprendre des études supérieures, d’autres penseront à les abandonner. Les choix de carrière et de discipline se refermeront sur eux, car on privilégiera des formations courtes et des études par intermittence. L’accessibilité aux études consistera de plus en plus en une option réservée aux mieux nantis. La formation des adultes en souffrira et les universités perdront de nombreuses cohortes d’étudiants.
Les frais de scolarité sont gelés depuis 1994 – 1995. Cela a assez duré selon certains. Ils pensent que les étudiantes et étudiants doivent contribuer à leur formation parce qu’ils en sont les seuls bénéficiaires. Ce serait plus juste de dire que c’est la société dans son ensemble qui a besoin d’une relève importante et bien formée. Par ailleurs, les jeunes ont aussi le droit de vivre correctement, d’avoir un travail rémunéré, de profiter de la richesse collective. Ils veulent participer à la création de cette richesse et à la production de nouvelles connaissances et cela est d’autant plus important pour l’avenir que la pyramide démographique s’inverse et que les personnes dépendantes augmenteront en nombre et en durée de vie. Qui supportera les charges fiscales futures ? Sont-ce les jeunes qui n’ont accès qu’à des emplois précaires et mal rémunérés ? Le gel des frais de scolarité est un enjeu majeur d’abord et avant tout pour nous toutes et tous, quelle que soit la génération à laquelle nous appartenons.
Relevons quelques arguments fallacieux. L’actuel gel des frais favoriserait les jeunes de familles aisées, au détriment de ceux qui viennent de familles pauvres. La vérité est que les familles dites riches poussent davantage leurs enfants aux études avancées pour des raisons d’ascension sociale. Un dégel pénalisera certainement les jeunes moins bien nantis qui sont seuls à assumer personnellement les coûts de leur formation. Certains croient que les prêts et bourses rétabliront l’équilibre et l’équité. Mais les prêts favorisent l’endettement des étudiants qui ont moins de revenus, tandis que les jeunes de familles plus aisées ont plus de chance d’hériter d’un patrimoine familial exempt de dettes. C’est donc un frein à la mobilité générationnelle. Comme nous le disions plus haut, c’est par l’équité fiscale qu’on doit s’assurer de la juste part de chacun.
On affirme aussi que les revenus supplémentaires issus du dégel des frais permettront aux établissements d’enseignement de retrouver leur viabilité. Peu probable, car ces frais représenteront une infime partie de leurs recettes : 19 millions $ par année sur un budget global de près de 3 $ milliards. Maigre pitance, qui pourtant incitera sans doute le gouvernement à réduire d’autant sa contribution, comme cela s’est déjà produit. Est-il besoin de relever d’autres argumentaires trompeurs qui circulent dans les débats publics ?
Le dégel des droits de scolarité et la déréglementation des autres frais constituent une ruse politique qui risque de mener à un appauvrissement social général. Le projet est lancé à l’occasion d’une campagne électorale qui comporte toujours son lot de promesses fumeuses et douteuses. Le débat est d’importance, car il remet en cause le pacte social jadis conclu au Québec et fondé sur la solidarité, le partage et la confiance mutuelle. Il faut être collectivement aussi attachés au gel des frais de scolarité que nous le sommes du système d’assurance-maladie. On devrait comprendre la résistance des étudiants québécois et le bien-fondé de leur revendication.