Alors que le système scolaire crie à l’aide, que les enseignantes et les enseignants désertent la profession, que les problèmes de santé mentale sont de plus en plus présents dans le milieu scolaire (tant chez les adultes que chez les enfants), le ministre Drainville vient, comme l’a dit un chroniqueur du Journal de Montréal, de « siffler la fin de la récréation » avec un nouveau projet de réforme en éducation. Car c’est bien connu, enseigner au Québec dans les conditions actuelles, c’est une partie de plaisir…!

Création d’un Institut national d’excellence en éducation

L’idée d’un Institut national d’excellence en éducation, reprise par le ministre Drainville dans son projet de loi 23, avait été lancée en 2017 dans la Politique de la réussite éducative du gouvernement libéral. Cet Institut aurait le mandat de former les enseignantes et les enseignants qui sont déjà sur le terrain pour leur permettre de mieux réaliser leur tâche. Choisis par un conseil d’administration constitué de neuf personnes nommées par le gouvernement (dont une ou un seul enseignant du préscolaire, primaire ou secondaire), les membres du comité d’« expertes et d’experts » (au sein duquel on trouvera sans doute des personnes conseillères techno-pédagogiques) vont donc suggérer aux enseignantes et aux enseignants de modifier leur pratique pour augmenter la réussite en éducation. Mais, tel que l’avait analysé le comité école et société en 2011, de quelle réussite parle-t-on ici? De réussite éducative (globale, émancipatrice) ou de réussite scolaire (axée sur la performance et les résultats chiffrés)? S’il est question de réussite éducative, il y a fort à parier que cet Institut recommandera de diminuer la tâche enseignante, de diminuer le nombre d’élèves par classe, de mettre fin aux épreuves obligatoires pour les remplacer par de l’évaluation centrée sur le potentiel de l’élève. Mais il y a de fortes chances que toute recommandation qui bouscule la structure de l’école actuelle (une école concurrentielle, à trois vitesses, qui exclut des jeunes, de plus en plus soumise aux lois du marché et au capitalisme numérique) soit tout simplement ignorée des politiques. Il n’y a qu’à constater le nombre important de recommandations du Conseil supérieur de l’éducation qui ont été jetées à la poubelle par les partis politiques pour comprendre que le vrai problème est justement que l’éducation est soumise aux visées idéologiques des politiciennes et politiciens.

Toutefois, il y a encore plus de chances que cet Institut ne formule jamais ce type de recommandations, puisqu’il n’aurait pas le mandat d’analyser de manière critique, ni même sociologique, le système d’éducation, mais bien d’imposer d’en haut une formation continue basée sur les « meilleures pratiques ». Or, le ministre Drainville, qui se préoccupe d’abord et avant tout de réussite scolaire, ne s’intéresse aux « données probantes » que lorsque celles-ci lui donnent raison (ainsi, il réfute le phénomène de l’école à trois vitesses pourtant maintes fois démontré; Sioui, 16 mai 2023) ou, encore plus, lorsqu’elles lui donnent le pouvoir d’imposer des « solutions » technocratiques, insinuant que le système fonctionne, mais que ce sont les enseignantes et les enseignants qui ne sont pas assez bien formés ou compétents pour en assurer « l’efficacité ». Après tout, c’est son gouvernement qui prétend que « l’effet enseignant » (l’impact des pratiques et de la relation pédagogiques) devrait assurer la réussite des élèves, et ce, « peu importe les conditions socioéconomiques des élèves et les effets de la rationalisation des ressources » (Gouvernement du Québec, 2023, p. C6) !  Au collégial, on veut d’ailleurs imposer des pratiques pédagogiques « à impact élevé » (Comité école et société, 2021, pp. 33-36). Pas étonnant qu’il soit prévu que l’Institut national d’excellence en éducation soit « calqué sur l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) où, malheureusement, la performance et la rentabilité sont les leitmotivs » (FNEEQ-CSN, 4 mai 2023), ce que déplore Caroline Quesnel, présidente de la FNEEQ.

La CSN, dans son mémoire sur la création de cet Institut, avait souligné non seulement l’inutilité d’un tel projet (de nombreuses ressources existent déjà), mais également le fait qu’il « constitue[rait] un assaut [contre] la reconnaissance de l’expertise et du territoire professionnel des enseignantes et des enseignants » (CSN, 2017, p. 9). Car c’est bien plus de conditions de travail décentes, permettant de dégager le temps nécessaire au plein déploiement de cette expertise disciplinaire et pédagogique ancrée dans la réalité de la classe, dont le personnel enseignant a besoin.

C’est également de concertation dont le réseau de l’éducation a besoin. Ce n’est donc pas en retirant les niveaux préscolaire, primaire et secondaire du giron du Conseil supérieur de l’éducation (qui deviendrait, par le projet de loi 23, Conseil de l’enseignement supérieur) que se dégageront des solutions cohérentes en éducation. Cela n’est pas sans rappeler le tout récent rapport sur La maîtrise du français au collégial qui, refusant d’inclure une réflexion sur l’enseignement du français au primaire et au secondaire, propose des solutions inadéquates à un problème pourtant urgent, et ce, sans consultation des professionnelles et professionnels de l’enseignement de la langue qui travaillent jour après jour dans des écoles en manque chronique de ressources humaines et financières.

Un super ministre à la mode CAQ

Deuxième solution du projet de réforme du ministre Drainville : rendre les directions générales des centres de services scolaires redevables (ne l’étaient-elles pas avant…?). Les DG, qui seront maintenant tenues de savoir tout ce qui se passe dans l’ensemble de leurs établissements, vont (re)devenir hyper contrôlantes et conservatrices. Par conséquent, elles vont inonder les directions d’école et les enseignant‑es d’une tonne de paperasse, tout en s’assurant que les initiatives les plus hardies soient repoussées de la main. Merci de soulager le réseau, M. Drainville!

De plus, cette solution est associée à une hausse de l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) en éducation. En effet, la CAQ semble avoir développé une dépendance au numérique dans son obsession pour la collecte de données basée sur une vision comptable de la réussite. Dans cet élan d’une dépendance qui se propage chez bon nombre de directions d’établissement, celles-ci voudront prévenir les risques de décrochage grâce à des algorithmes (généralement nourris de biais) ou à des « assistants IA » assignés à chaque élève de la province (tout en affirmant que cela ne coûte pas cher, ce qui est faux).

Et que dire du projet saugrenu du ministre Drainville de suivre lui-même chaque école en ayant sous la main les notes de chaque élève avant Noël? Que fera-t-il s’il se rend compte qu’une classe d’histoire a un taux de réussite 5 % plus bas que l’année précédente (alors que ce ne sont même pas les mêmes élèves qui sont évalués)? Congédier l’enseignante ou l’enseignant? Demander des comptes à la direction? Débarquer lui-même dans la classe pour voir ce qui s’y passe, en se fiant au même flair que pour le troisième lien ou les écoles vétustes? On voit bien que M. Drainville n’a jamais enseigné. Peut-être insistera-t-il pour que les enseignantes et les enseignants utilisent l’IA pour construire leurs évaluations (?) et, ensuite, pour les corriger (??), tout cela en affirmant que l’on sauve du temps par-dessus le marché (???).  C’est plutôt en diminuant la lourdeur de la tâche enseignante et en diminuant le nombre d’élèves par classe qu’on va en sauver, du vrai temps de qualité ! Mais Drainville et consorts refusent de financer les conditions d’enseignement, préférant orienter idéologiquement leurs réinvestissements austéritaires.

Finalement, M. Drainville veut lui-même nommer les DG des centres de services scolaires et pouvoir les congédier à son gré (surtout si les directions n’arrivent pas à atteindre les « cibles » prescrites par le ministère ou si elles ne suivent pas le programme électoral du parti au pouvoir; Morasse, 17 janvier 2023). Après le super-ministre Barrette en santé (transfuge caquiste sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard) et le super-ministre Fitzgibbon, Drainville aspire à la même omnipotence. Il veut politiser davantage le système scolaire, alors que de plus en plus d’experts en éducation souhaitent que celui-ci soit géré indépendamment de la politique, tel que revendiqué dans l’article Parlons… d’une nouvelle révolution scolaire, démocratique et écologique (Cordeau, 2 mai 2023).

En somme, tout comme avec le projet de loi 15 du super-ministre Dubé en santé (Lévesque, 9 mai 2023), il semble que M. Drainville ait peur que ses fonctionnaires ne lui obéissent plus et que les enseignantes et les enseignants préfèrent user de leur liberté professionnelle pour donner un bon service à la population plutôt que de devenir de simples exécutants des directives déconnectées émises par les partis politiques. En effet, pour augmenter autant le degré de contrôle, c’est que, quelque part, nos ministres ont peur de ne plus se faire obéir au doigt et à l’œil. Et compte tenu du ras-le-bol des employé‑es de l’État, il y a fort à parier qu’ils aient raison d’avoir peur.

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca