Chronique 101 – Congrès de la COCAL 2024

Cet été, les 8 et 9 août, à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), s’est tenu le XVe Congrès de la Coalition du personnel enseignant précaire de l’enseignement supérieur (COCAL, selon son acronyme anglais). Une centaine de personnes déléguées, venues d’une quarantaine de syndicats de l’Amérique du Nord, se sont entendues pour organiser au cours des prochains mois une Journée internationale de lutte pour la défense d’une éducation démocratique contre les assauts de la précarisation par la managérialisation et la marchandisation du savoir.

La COCAL existe depuis près de 30 ans. Elle regroupe plus de 40 syndicats d’enseignantes et d’enseignants de l’éducation supérieure à statut précaire, des États-Unis, du Canada, du Québec et du Mexique, autour notamment d’un congrès bisannuel, alternant d’un « pays » à l’autre à chaque édition. Cette année, c’était le tour du Québec de recevoir l’ensemble des délégations. L’accent était résolument mis sur l’organisation d’une journée internationale de lutte appuyée sur la rédaction d’un manifeste servant non seulement à s’entendre sur des objectifs communs, mais également, comme démarche d’éducation populaire, pour créer collectivement des savoirs et des volontés communes.

♪♪ Une pieuvre est partie en voyage…♪
Y a un p’tit peu de nous autres là-dedans

Inspirée de la démarche des États généraux de l’enseignement supérieur (ÉGES) et de sa synthèse produite par le Comité école et société de la FNEEQ, sous la forme de la Pieuvre de l’économie du savoir, la méthode proposée (et acceptée par les délégué-es de la COCAL 2024) consiste à tenir des événements locaux préparatoires à la Journée internationale de lutte pour une éducation démocratique, en discutant des principaux thèmes du manifeste, pour s’en approprier et les bonifier.

C’est déjà la même méthode que nous avons adoptée lors de la COCAL 2024, à Gatineau. Comme on peut le lire dans le programme de ce congrès, nous avons discuté des différentes formes de précarisation de l’enseignement supérieur au cours des quatre décennies d’implantation du néolibéralisme en éducation et de ses impacts sur les conditions de travail et d’enseignement. Ladite pieuvre a déjà été traduite en espagnol et en anglais et circule actuellement dans les eaux de l’Amérique du Nord, convoquant des centaines de milliers de professeur-es et d’étudiant-es à la lutte.

Consultez la pieuvre de l’économie du savoir

Consultez la pieuvre de l’économie du savoir (version anglaise)

 

La privatisation de l’éducation

La COCAL nous a permis de constater que les enjeux vécus ici étaient pratiquement les mêmes qu’ailleurs en Amérique du Nord. Le nerf de la guerre reste le financement ou le sous-financement chronique et politiquement orienté de l’éducation. C’est même en fonction de ce modèle néolibéral d’éducation (transformant le droit à l’éducation en une marchandise devant être financée de manière privée) que la lutte se doit d’être nationale et internationale. Il ne suffit pas de négocier de meilleures conditions de travail avec nos employeurs immédiats, il est primordial d’exiger de la part des décideurs nationaux et internationaux un meilleur financement public de l’éducation.

Ce désengagement public et cette marchandisation de l’enseignement supérieur poussent les administrations vers une « flexibilisation » de la main-d’œuvre, alors qu’entre 60 % et 70 % du corps professoral est aujourd’hui précarisé par des contrats à durée déterminée, embauché à la pièce, sans sécurité d’emploi et sans rémunération pour une série de tâches constitutives du métier, telles que la recherche, les services à la communauté ou même la représentation.

Cette aberrante limitation de la représentation de la majorité du corps professoral dans une série d’instances décisionnelles (comme les CA, les Commissions des études ou les Assemblées départementales) est également une atteinte à la liberté académique, empêchant la cogestion collégiale des établissements d’enseignement supérieur, ce qui à son tour nuit à la démocratie, à l’autonomie professionnelle et universitaire et, ultimement, à la science et à la société.

 

L’IA et l’enseignement palliatif à distance
Un virus informatique pour la connaissance

Évidemment, les nouvelles préoccupations concernant l’intelligence artificielle n’ont pas manqué d’occuper les discussions à la COCAL. Le comité école et société était d’ailleurs invité à participer à la table ronde portant sur « La marchandisation dans le contexte de l’intelligence artificielle et de l’enseignement à distance », qui contribue au clientélisme et qui fragilise la mission des universités. C’est dans cette perspective que le comité y a défendu l’importance de « Résister contre la déshumanisation de l’éducation » afin de protéger l’intégrité de la qualité de l’enseignement ainsi que le développement pédagogique des étudiantes et étudiants avec le soutien des personnes enseignantes.

Mentionnons d’ailleurs que la pandémie de la COVID 19 n’a fait qu’accélérer le processus de marchandisation par une standardisation techno-pédagogique, en massifiant le recours à un enseignement palliatif à distance non conventionné. Aujourd’hui, on voudrait normaliser cet état d’exception en contraignant les enseignant-es à exercer leur métier dans des conditions inacceptables : méga-amphithéâtres en ligne, fragmentation et taylorisation de la tâche, atteinte à la liberté pédagogique et aux droits d’auteurs et d’autrices, à l’image, à la vie privée, l’externalisation de la « production » de « savoirs ». etc. Avec l’arrivée déréglementée de l’Intelligence artificielle, ces menaces ne font que se décupler.

Toutefois, ce qui menace l’enseignement supérieur, c’est moins la technologie que les conceptions managériales de l’éducation supérieure, comme l’assurance-qualité, l’idéologie de l’économie du savoir ou la nouvelle gestion publique. Cette conception autoritaire de la gestion des universités s’abat surtout sur les professeur-es précarisé-es et les personnes chargées de cours, qui ont moins de représentation dans les instances décisionnelles des établissements et peuvent être renvoyés plus facilement.

Cette précarisation est, malheureusement, vécue par les personnes chargées de cours de l’Amérique du Nord comme une souffrance psychologique et morale et même une atteinte à leur sécurité. La précarité étant un facteur de risque augmentant considérablement la détresse psychologique, nous avons abordé la question sous l’angle de la santé et la sécurité au travail (SST) et de l’obligation patronale de garantir un milieu de travail sécuritaire. Aussi, nous avons également discuté de cette question sous l’angle de la reconnaissance de l’apport des personnes chargées de cours, pas seulement en tant que « spécialistes de l’enseignement », mais comme des intellectuel-les à part entière, devant être pleinement intégré-es aux institutions d’enseignement supérieur et rémunéré-es conséquemment pour leur travail « invisible » (ou invisibilisé).

 

Seule la lutte paie!

C’est dans le contexte de ces discussions autour des diverses formes de notre précarisation qu’a surgi l’idée de devenir les sujets politiques et historiques d’un nécessaire changement social, ou du moins académique. Cet « acteur pédagogico-politique » (Lechuga et Ramos, 2024, p. 62) devra interpeller l’ensemble de la communauté académique d’Amérique du Nord et d’ailleurs, pour lutter contre la précarisation de l’enseignement supérieur dans son ensemble, mais surtout en faveur d’une réelle démocratisation de l’éducation.

La volonté d’organiser une action internationale commune représente une importante innovation. Extrêmement stimulants en ce qui concerne l’analyse de la situation commune de précarisation de l’enseignement supérieur et le partage de stratégies de lutte, les congrès de la COCAL n’avaient pas encore entrepris d’organiser et de convoquer des actions internationales.

La COCAL a grandement contribué, aux États-Unis, à l’organisation nationale des précarisé-es de l’enseignement supérieur. Elle a également participé à l’organisation de la Journée nationale de grève des professeur-es précarisé-es de l’enseignement supérieur (National Adjunct Walkout Day), le 25 février 2015, contribuant à rendre internationale cette journée d’abord états-unienne, en impliquant des syndicats et fédérations québécoises et canadiennes, comme l’ACPPU (Association canadienne des professeures et professeurs d’université) ou la FNEEQ (Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec). Toutefois, il s’agissait encore d’une lutte nationale (états-unienne) qui s’est élargie au Canada et au Québec, comme on peut le voir dans l’ajout, en rouge, à l’affiche de la [Inter]National Adjunct Walkout Day, ci-dessous :

L’une des alliances que nous avons nouées lors du XVe Congrès de la COCAL est celle avec l’organisation nationale états-unienne HELU (pour Higher Education Labor United), dont la vocation est de construire un mouvement regroupant l’ensemble des acteurs et actrices de l’enseignement supérieur (wall-to-wall : travailleurs et travailleuses étudiant-es, employé-es et professeur-ess, permanent-es autant que précarisé-es) pour l’ensemble du pays (coast-to-coast).

Travailleuses et travailleurs de l’enseignement supérieur uni-es !

Building a higher ed labor movement wall-to-wall and coast-to-coast.

 

Fondée en 2021, HELU cherche à cumuler des forces syndicales autour d’une vision unifiée de l’enseignement supérieur. Regroupant des syndicats et organisations représentant plus de 225 000 travailleuses et travailleurs de l’enseignement supérieur et des services connexes à travers les États-Unis, HELU possède une structure organisationnelle solide et une vision (plateforme) de l’enseignement supérieur rejoignant la plupart des thèmes débattus pendant la COCAL 2024 qui serviront de base à notre Manifeste et Journée de lutte.

Vous pouvez lire à ce sujet Helena Worthen, présidente du Comité Média et Communication du HELU, présente à la COCAL 2024, et qui a intitulé son article : « HELU et COCAL : Pouvons-nous parler ? » (HELU & COCAL: Can we talk?)

En somme, les convergences internationales sont importantes pour faire front commun face à la logique néolibérale qui gangrène les universités et soutenir les luttes que mènent les travailleurs précarisés de l’enseignement supérieur pour une éducation libre, indépendante, gratuite et pluriverselle.

 

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca