Un projet autogéré de développement durable en agriculture urbaine
Par Ronald Cameron, président de la FNEEQ-CSN
En après midi du 30 décembre dernier, deux jours avant de lever notre verre pour le 50e anniversaire de la révolution cubaine, notre petit groupe, composé d’une douzaine de personnes, principalement enseignantes de la FNEEQ, a fait un détour dans un coin peu visité de La Havane : un site de développement de la « permaculture », comme ses partisans l’appellent, que nous pouvons définir comme un projet de développement durable en agriculture urbaine.
Photo : Sonia Labrecque
Basé sur une tradition créole introduite à Cuba par le Dr Antonio Núňez Jiménez, le projet autogéré s’est implanté dans un quartier en périphérie de La Havane. Quarante cinq familles sont maintenant impliquées dans ce projet qui a débuté, il y a près de 10 ans. Chaque famille développe un jardin adjacent à sa résidence, qui peut varier de 50 à 200 mètres carrés, et y cultive ce qu’elle désire le plus pour nourrir les siens. Des échanges se produisent entre les familles et le surplus, lorsqu’il y en a, est rendu disponible sur les marchés locaux. Basé sur des principes d’autosuffisance et de sécurité alimentaire, chaque jardin comprend son propre site de compostage. Aucun engrais chimique y est utilisé et la bio-diversité est un principe clé dans le développement de la « permaculture ».
Plus que des jardins communautaires, une véritable prise en charge de quartier
Quand nous sommes descendus de l’autobus au début de la visite, un peu gênés et inquiets de l’impression de voyeurisme que nous pourrions laisser, nous avons été accueillis par Carmen Cabrera Lopez, de la Fondación Antonio Núňez Jiménez, et par un résident aussi responsable de la coordination des familles participantes au projet. Après les salutations d’usage et une brève présentation du projet, nous nous sommes engouffrés dans un premier jardin.
Photo : Charles Lemieux
De manière manifeste, notre hôte resplendissait de fierté à nous le présenter. Des herbes aromatiques à de la laitue, aux plantes tropicales gigantesques, aux racines farineuses et aux arbres fruitiers, la variété dépassait non seulement nos connaissances mais nos capacités de tout retenir. Le deuxième site, celui d’une résidente de 65 ans, est considéré comme le lieu de bouturage au bénéfice de toutes les familles participantes. Véritable petit jardin botanique, la variété des plantes et des fleurs tropicales en faisait un petit paradis. Le troisième site était le fait d’un cubain qui fut pendant des années représentant politique de son quartier. Il se consacre maintenant totalement au projet de permaculture. Au 4e site, nous étions attendus au jus de fruit exotique produit sur place pour conclure la visite !
Tous les jardins visités témoignent de cette légendaire ingéniosité cubaine à récupérer tous les objets jetés pour organiser le travail et les jardins. Mais, ce qui était tout aussi remarquable d’un site à l’autre, était l’importance accordée à l’environnement immédiat du quartier. Alors que souvent les plates bandes entretenues dans les rues de La Havane sont réservées aux sites touristiques, aux parcs ou aux fonds de cour des restaurants, la fierté de nos hôtes étaient aussi de nous amener dans ce quartier où la vie est nettement plus agréable qu’ailleurs à La Havane.
Le rôle de la Fondacion Antonio Nunez Jiménez
Le projet est né de la volonté de sécurité alimentaire des résidents du quartier, certes, mais aussi suite au travail d’éducation de la Fondación Antonio Núňez Jiménez. Le Dr Jiménez est le véritable maître à penser cubain d’une relation respectueuse de l’être humain avec la nature. Botaniste, agronome, médecin et écrivain, le docteur Jiménez fut un militant révolutionnaire de la première génération, aux côtés du Che et de Castro. Il les a accompagné comme guérillero pendant des années lors des événements politiques les plus importants.
On dirait bien que Flavie Achard, du cégep Montmorency, et Ronald Cameron,
président de la FNEEQ, ne comprennent pas grand chose de l’agriculture ! Photo : Sonia Labrecque.
Intellectuel, il a écrit, tout au long de sa carrière, pas moins de 50 volumes d’une encyclopédie basée sur des principes écologistes mais aussi sur une vision sociale de l’engagement en environnement. C’est sur l’héritage intellectuel et militant de ce pionnier de l’écologie cubaine que la fondation poursuit son travail centré principalement sur l’éducation. Le projet que nous avons visité est une traduction plus concrète des objectifs de la fondation.
La question qui tue : Et l’état dans tout ça ?
La question brûlait nos lèvres dès le premier jardin. Le résident cubain, après la traduction d’usage, a secoué spontanément la tête quand la question fut posée : Et le gouvernement cubain vous vient-il en aide ? Mais Carmen, la représentante de la fondation, a expliqué que le gouvernement cubain a consenti à accorder l’usage de terrains dont certains étaient rien de moins que des dépotoirs. Ils ont dû parfois excavé puis rempli les sols de terre arabe. Notre hôte a alors hoché de la tête en signe de consentement. Le gouvernement cubain ne s’objecte pas au développement de ce type de projet au sein de la population urbaine de La Havane. D’ailleurs, la fondation a entrepris le développement de deux autres sites à La Havane. Mais il est évident que ce projet autogéré doit ses succès en comptant sur ses propres moyens et sur ceux dont il peut obtenir à travers la fondation. Celle-ci, toujours soutenue par l’ONG allemande Brot für die Weit (Du pain pour le monde), bénéficie aussi d’un appui plus étendue et différens organismes internationaux, dont Alternatives du Québec, qui organise un séjour solidaire au même endroit l’été prochain. Les moyens de la fondation demeurent toujours en deçà des défis qu’ils relèvent.