Jamais encore n’avons-nous autant eu collectivement besoin de la science! Pour faire face à la pandémie actuelle, partout on se tourne vers les scientifiques. Épidémiologistes, économistes, juristes, pédagogues, politologues, psychologues, sociologues, spécialistes de la santé publique, des sciences biomédicales et des médias, etc. Toutes et tous sont interpellés afin de mieux comprendre ce qui se passe, ce qui risque d’arriver et ce qui devra être fait au sortir de la crise. Plus que jamais, la pandémie révèle le besoin pour la société québécoise de fonder les décisions à incidences sociales et économiques sur des savoirs solides. Pour affronter et vaincre cette crise, pour tirer les indispensables leçons, la pandémie fait ressortir la nécessité pour la société québécoise et le gouvernement québécois de s’appuyer sur des citoyens et citoyennes dotés d’une solide formation et sur des recherches et études de pointes menées dans des établissements universitaires bien administrés.
La pandémie révèle aussi les travers du réseau universitaire québécois : concurrence accrue de l’offre de formations, quête d’une performance aux mesures douteuses, affaiblissement de la recherche fondamentale, précarités et détresse psychologique des personnels, des étudiants et étudiantes. Des travers qu’on attribue à la « marchandisation » certes, mais qui sont d’abord et avant tout attribuables à une gestion à courte vue, elle-même alimentée par un mode de financement insuffisant, inadéquat et exacerbé par la crise.
Il y aura au Québec, comme dans le reste du monde, un avant et un après COVID-19. Des leçons devront être tirées pour le secteur de la santé et des services sociaux, pour le milieu scolaire, pour les entreprises privées, etc. Le réseau universitaire ne doit pas échapper à l’examen. La crise est en effet une occasion de renforcer le réseau universitaire, c’est-à-dire de réviser son financement, de pallier l’absence de coordination entre les diverses composantes et de réaffirmer les fondements de la gestion des établissements.
Un financement public adéquat, prévisible et équitable
La crise constitue le bon moment pour le gouvernement d’assurer un financement à long terme de l’enseignement et de la recherche.
Le paramètre actuel du financement de l’enseignement, soit l’étudiant en équivalence au temps plein (EETP), a depuis longtemps perdu de sa pertinence devant les réalités contemporaines des étudiants et étudiantes (Conseil supérieur de l’éducation, 2013). Surtout, les conséquences de la combinaison d’un paramètre désuet et de la déréglementation récente des frais de scolarité des étudiants et étudiantes internationaux doivent être enrayées : le réseau universitaire québécois ne peut plus faire les frais de la course effrénée à la « clientèle » que se livrent les directions des établissements pour obtenir une plus large part des crédits parlementaires qui sont annoncés d’année en année.
Le financement de l’enseignement universitaire doit être prévisible, adéquat, équitable et public. Celui-ci ne doit pas être dépendant des entreprises et des philanthropes. Il ne doit pas non plus être révisé afin de freiner la concurrence et le gaspillage de fonds publics auquel elle a donné lieu (« branding » des établissements, mise en marché, recrutement d’étudiantes et d’étudiants, déploiement de campus satellites dans des régions déjà desservies, etc.).
Le financement doit de plus tenir compte des besoins de la population étudiante et de ses caractéristiques (première génération, parents-étudiants, population autochtone, situation de handicap, communauté étudiante internationale, temps partiel, etc.) et de la nécessité de maintenir des infrastructures et de l’expertise dans toutes les régions du Québec. Considérant le stress, l’isolement et l’incertitude financière vécus par les étudiant-es, le financement de l’enseignement doit de plus comporter des solutions qui assurent l’accessibilité aux études et qui procurent aux étudiant-es de la quiétude pendant toute la durée de leurs études. Il faut s’assurer d’un financement adéquat et stable ainsi que d’une augmentation du financement pour les services en place afin de les bonifier, particulièrement en santé psychologique et en support pour la communité universitaire. C’est pourquoi la gratuité scolaire et le soutien aux études sont essentiels.
De plus, la précarité sous toutes ses formes et dans les divers corps d’emplois doit faire l’objet d’une sérieuse remise en question. Les conditions de travail du personnel se sont terriblement dégradées au fil des années et le taux de précarité du personnel est effarant. Il faut mettre fin aux attaques à la sécurité d’emploi. Le recours à la sous-traitance dans tous les secteurs est une tendance qu’il faut pourfendre.
En ce qui a trait au financement de la recherche et à la création, des mesures s’imposent pour contrer l’influence des entreprises et l’intervention des pouvoirs politiques. Si une saine reddition des investissements publics est essentielle, l’Université doit conserver son indépendance intellectuelle et scientifique pour répondre adéquatement aux besoins de la société.
Un rehaussement substantiel du financement public (canadien et québécois) de la recherche universitaire est incontournable. Les compressions dans les budgets de recherche, jumelées à une volonté de soutenir des projets répondant à des priorités gouvernementales, ont porté atteinte à la recherche libre et indépendante, en plus d’être contreproductives : « Les gouvernements ne peuvent réduire les fonds alloués à la science fondamentale et s’attendre à ce que l’innovation soit florissante » (Rapport Naylor, 2017).
Il faut soutenir davantage la recherche fondamentale. Il importe de plus d’assurer un meilleur équilibre entre les disciplines et les champs de recherche et un accès équitable à tous les acteurs qui font de la recherche, soit les professeur-es, les professionnel-les de recherche, les personnes chargées de cours, de même que les étudiant-es. Certaines solutions sont à envisager notamment créer une subvention universelle annuelle pour les chercheurs et les chercheuses, créer un fonds dédié au financement de la recherche des personnes chargées de cours et à augmenter les bourses aux étudiants et étudiantes pour la recherche. Enfin, il faut aussi assurer aux chercheurs et chercheuses ainsi qu’aux équipes de recherche un meilleur soutien professionnel et technique ainsi qu’un financement adéquat des frais indirects de recherche. Une bonification de ces derniers assurerait, entre autres, une stabilité d’emploi pour le personnel de recherche.
Bref, l’État québécois doit assurer un financement adéquat, stable, prévisible et équitable de la mission des universités.
La coordination et la collaboration des universités
Depuis plusieurs années, de nombreux acteurs du réseau universitaire réclament l’élaboration d’une loi-cadre et la création d’un conseil des universités afin d’améliorer la cohésion au sein du réseau et la collaboration entre les établissements. La crise que nous vivons aujourd’hui exprime plus que jamais ce besoin. Non seulement, ces deux dispositifs auraient pu freiner la concurrence que se livrent les directions des établissements depuis plusieurs années – et le gaspillage de fonds publics qui l’accompagne, mais ils auraient aussi pu empêcher des prises de décision locales, modifiant la mission universitaire de façon irréfléchie, auxquelles nous assistons actuellement.
La crise constitue l’occasion de redemander l’élaboration d’une loi-cadre et la création d’un conseil des universités. L’objectif d’une loi-cadre est de définir les assises du contrat social entre les universités et la société québécoise et le cadre de référence entre les universités et l’État. Quant à un conseil des universités, il devrait avoir une mission de conseil et de coordination du développement du réseau universitaire afin d’en assurer ainsi la cohésion et freiner la compétition entre les universités. Toutefois, pour y adhérer, certaines conditions s’imposent, notamment : — qu’il soit composé d’une majorité de membres issus des différents groupes appartenant à la communauté universitaire ; — qu’il respecte les principes d’accessibilité aux études postsecondaires, d’autonomie institutionnelle, de liberté académique, de gestion collégiale, de collaboration entre les établissements et de conception de l’université comme service public ; — qu’il ne conduise pas à l’implantation de mécanismes d’assurance qualité ni à une standardisation des contenus pédagogiques.
Enfin, nous croyons que la création d’un ministère entièrement dédié à l’enseignement supérieur, à la recherche et à l’innovation contribuerait à accroître la collaboration des universités entre elles.
La gestion des universités
Les crises sont propices à la transformation des rapports de pouvoir au sein des organisations. La crise actuelle ne fait pas exception à la règle.
Ces dernières semaines, des directions universitaires ont redéfini les modalités de la poursuite des activités d’enseignement et de recherche. Des modalités qui portent atteinte aux conditions d’apprentissage des étudiant-es et de travail des employé-es des divers groupes. Nous pensons notamment aux accommodements réalisés pour sauver le trimestre d’hiver 2020 et à l’offre de cours en « non-présentiel » déployée pour le trimestre d’été 2020. Si les professeur-es et les personnes chargées de cours ont compris l’urgence d’utiliser les technologies de l’information et des communications pour respecter les directives de distanciation sociale et permettre aux étudiant-es de terminer leur trimestre d’hiver 2020, la tâche fut particulièrement ardue et laborieuse. Or, le projet des directions d’établissement d’offrir des activités d’enseignement dès le trimestre d’été se fait sans une véritable reconnaissance de ce que représente la mise en oeuvre de la formation en non-présentiel : le temps de préparation des activités d’enseignement, l’infrastructure humaine requise pour soutenir les ressources professorales, le matériel technique pour assurer la diffusion, etc. Et c’est sans compter que le virage numérique comporte trop d’inconnus pour donner lieu à un consensus au sein du réseau de l’enseignement supérieur. Si de nouvelles technologies peuvent s’avérer positives, elles peuvent tout aussi bien contribuer à des dérives (marchandisation accrue, privatisation, sous-traitance) et à l’affaiblissement des universités en région. Par ailleurs, ces nouvelles technologies entraîneront d’importantes transformations du travail pour plusieurs catégories de personnel.
Bref, la crise a été une nouvelle occasion d’éroder la gestion collégiale qui est pourtant au coeur du fonctionnement des universités depuis leur création. En effet, depuis quelques années, l’introduction de pratiques managériales issues de la nouvelle gestion publique a mis à mal les principes de la gestion collégiale, ces nouvelles pratiques se manifestant notamment par une emprise plus grande des personnels de direction et de gérance sur les décisions.
Il nous faut revenir à des modes de gestion qui favorisent la collégialité et la représentation de tous les groupes de la communauté au sein des instances : cadres, professeur-es, personnes chargées de cours, professionnel-les et personnels de soutien, ainsi que les étudiant-es. Il faut de plus assurer que les décisions relatives à l’enseignement et à la recherche soient entièrement dévolues au personnel universitaire par l’intermédiaire d’instances au sein desquelles les membres de la communauté universitaire sont nettement majoritaires. La connaissance fine qu’ont les membres de la communauté interne des questions et des solutions ne peut pas être remplacée par des principes d’une « gouvernance » aux assises incertaines.
Aussi, nous pensons que les processus d’élections des dirigeants et des dirigeantes des établissements universitaires doivent être démocratiques, transparents et représentatifs de la communauté universitaire, notamment, par l’implantation de collèges électoraux pour le choix des recteurs et des rectrices, des vice-recteurs et vice-rectrices ainsi que des doyens et des doyennes.
Enfin, la définition d’un mode de désignation et des mesures de surveillance des mandats des administrateurs et administratrices issus de la communauté externe s’imposent également.
Nous savons que la pandémie que nous vivons actuellement ne sera pas la dernière crise que le Québec devra affronter. D’autres crises s’annoncent déjà et menacent la santé publique, l’agriculture, l’aménagement du territoire, l’économie, la cohésion et la solidarité sociales. Ces crises exigeront elles aussi des décisions difficiles de la part des responsables politiques. Pour nous préparer à les affronter, la société québécoise aura à nouveau besoin des savoirs construits par une multitude de disciplines. Des savoirs libres et engagés : libres, parce qu’on ne peut prédire toutes les implications des crises à venir, tous les développements possibles des savoirs; engagés, parce que les universitaires souhaitent contribuer au bien commun, affronter et résoudre les problèmes auxquels sociétés, communautés et individus doivent faire face.
Le réseau universitaire québécois est un service public. Ses activités sont des moteurs essentiels du développement économique, social et culturel du Québec et de sa population. Afin de réaliser leur mission, les universités doivent être libres d’établir leurs priorités en matière de recherche et d’enseignement et bénéficier d’un financement public adéquat et prévisible. Pour que les universités soient à la hauteur des nouveaux défis qui se présenteront, et capables de satisfaire les attentes de la société québécoise à leur égard, il faut renforcer le réseau universitaire.
Signataires, membres de la Table des partenaires universitaires :
Caroline Quesnel, Présidente, Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec-CSN
Louise Briand, Vice-présidente, secteur universitaire, Fédération des professionnèles – CSN
Jean Portugais, Président, Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU)
Bernard Gaucher, Président, Fédération du personnel professionnel des universités et de la recherche
Carole Neill, Présidente, Conseil provincial du secteur universitaire du SCFP-Québec
Philippe Lebel, Président, Union étudiante du Québec
Andréanne St-Gelais, Présidente de la Fédération des associations étudiantes universitaires québécoises en éducation permanente
c. c.
Simon Bergeron, sous-ministre adjoint, enseignement supérieur
Sylvain Périgny, sous-ministre adjoint, gouvernance des technologies, des infrastructures et des ressources,
Martin Maltais, directeur adjoint, cabinet du ministre,
François Brochu, conseiller politique, cabinet du ministre
Richard Bousquet, vice-président du regroupement université, FNEEQ-CSN