Pour une troisième année consécutive, le Journal de Montréal et le Journal de Québec publient un palmarès des cégeps qualifié l’an dernier par les médias de Québecor de « hautement d’intérêt public » puisque, « après tout, les Québécois consacrent près de 2 G$ par année au réseau collégial ». La première mouture de ce classement ayant été largement décriée parce qu’elle ne tenait pas compte des différences entre les populations étudiantes des établissements en matière de résultats obtenus au secondaire, ce facteur a été ajouté dans l’équation en 2021. Cette année, nous avons droit à un nouveau critère avec la prise en considération du genre dans l’analyse.
Ces ajustements à la méthodologie rendent-ils ce palmarès plus pertinent ? Permettez-nous d’en douter. En effet, ce dernier réduit la réussite éducative à sa composante chiffrée. Or, lorsqu’elles choisissent un cégep, les personnes étudiantes ne prennent pas uniquement ce critère en considération. Pour plusieurs, l’offre d’activités sportives ou parascolaires répondant à leurs intérêts va primer. D’autres chercheront un établissement possédant une vie culturelle riche. Il y en a qui préféreront fréquenter un endroit leur permettant de se fondre anonymement dans la masse ou, au contraire, un milieu tissé serré où tout le monde se connaît. Souvent, la proximité par rapport au domicile familial s’avérera déterminante dans la décision qui sera prise.
Par ailleurs, le classement effectué occulte le fait qu’il existe différents types de populations étudiantes (issues de l’immigration, en retour aux études, en situation de handicap, avec des obligations parentales, etc.), chacun vivant des défis particuliers.
Bref, l’épanouissement des jeunes, leur succès scolaire et leur transition réussie vers le marché du travail ou les études universitaires ne dépendent pas que des notes qu’un collège aurait présumément la capacité de leur permettre d’obtenir.
Il faut donc se questionner sur l’utilité de cet exercice. Pour notre part, nous ne parvenons qu’à y trouver une tentative d’assimiler les études collégiales à des biens de consommation dont on peut facilement comparer la « qualité » dans une perspective de marchandisation de l’éducation.
Gare à la pandémie
En outre, si le palmarès 2022 s’appuie sur des données pré-COVID, nous servons cette mise en garde pour les prochaines années : en temps de pandémie, les bases sur lesquelles repose une telle recherche comparative ne peuvent être alimentées de données fiables. Dans le continuum de l’amélioration et du développement des cégeps, les deux dernières années sont tout à fait singulières, hors du temps, et n’offrent que des statistiques aberrantes ne pouvant être considérées.
Depuis maintenant deux ans, l’ensemble du personnel enseignant est au front, épuisé, et porte le fardeau d’adapter ses cours à la situation anxiogène et toujours changeante qu’imposent la pandémie et les mesures sanitaires. Depuis maintenant deux ans, des étudiantes et des étudiants fragiles et en détresse décrochent plus qu’avant. Ce matin, en ouvrant le journal, on leur laisse croire que « ce cégep est le premier ou le dernier ». Nous sommes d’avis que cette démarche démotivante n’apporte rien de bon ou de constructif.
À quand un cahier spécial pour révéler les nombreuses initiatives qui viennent pallier les difficultés actuelles affligeant le réseau ?