Une année scolaire s’achève dans les cégeps et, avec elle, espérons-le, la fin d’une pénible période pandémique. Même si le retour aux cours « en présence » en 2021-2022 a permis d’améliorer la situation, la crise sanitaire a laissé la population étudiante avec des séquelles importantes : baisse de la motivation, de la persévérance et de l’engagement dans sa réussite, problèmes de concentration, difficultés d’apprentissage exacerbées, diminution de la maîtrise du « métier » de collégienne ou de collégien, etc.

Parmi les facteurs expliquant cette fatigue COVID : l’isolement, fruit de l’interdiction des activités sociales ou sportives, une perte d’emploi occasionnant des soucis financiers et, sans aucun doute, le passage à l’enseignement en mode non présentiel. En témoigne l’encadrement beaucoup plus poussé qu’ont dû offrir les professeurs à leurs étudiantes et étudiants, alourdissant de manière importante leur tâche gonflée par l’adaptation des stratégies pédagogiques et méthodes d’évaluation à la réalité post-13 mars 2020. Les directions ont bien vu que les cours en mode virtuel nuisaient aux cégépiennes et cégépiens, repoussant parfois le début de la session d’hiver 2022 de façon à s’assurer que le contexte sanitaire ne renverrait pas tout le monde devant son écran d’ordinateur.

Les risques de dérive

Pourtant, on remarque en ce moment que plusieurs collèges développent à une cadence élevée l’enseignement à distance (EAD), particulièrement à la formation continue, arguant, pour se justifier, que beaucoup de gens y ont pris goût et que, s’ils ne l’offrent pas, ils vont perdre leur « clientèle » (sic) au profit d’autres établissements. On constate en outre que, même si les collèges juraient sur l’honneur que les pratiques instaurées en temps de COVID ne constitueraient pas des précédents, force est de constater que la pandémie a servi d’incubateur à toutes sortes de projets dans ce domaine.

Que l’on ne se méprenne pas : nous ne sommes pas contre l’EAD. Celui-ci a tout à fait sa place dans le réseau collégial si on le considère dans une perspective d’accessibilité aux études et de démocratisation de l’éducation. Ajoutons que, dans certaines régions du Québec, il assure la viabilité de programmes de formation que l’on devrait autrement fermer faute d’effectifs suffisants. Cependant, si l’on veut qu’il soit de qualité, il importe de ne pas ménager les efforts pour bien le planifier. En effet, les conditions d’apprentissage et d’enseignement allant de pair, on doit donner au personnel enseignant les moyens de bien effectuer son travail. Par exemple, bien qu’en général les adultes suivant des cours à la formation continue s’avèrent plus autonomes que des jeunes venant de terminer leur secondaire, ils ont pour la plupart été longtemps loin des bancs d’école, si bien qu’ils nécessitent beaucoup d’encadrement. Leurs profs, quant à eux, doivent disposer d’un équipement ainsi que d’un soutien technique et technopédagogique adéquats. Enfin, la possibilité qu’on utilise le mode asynchrone (en différé) pour dispenser une partie de l’EAD soulève d’autres enjeux, dont celui de la propriété intellectuelle.

Bref, avant de penser à recourir davantage à l’enseignement à distance, on doit le baliser, notamment en enchâssant dans la convention collective des enseignantes et enseignants de cégep les conditions de travail qui y sont liées. Ironiquement, dans le cadre de la négociation qui avait commencé avant la pandémie et qui s’est conclue il y a quelques mois à peine, la partie patronale a affirmé qu’il valait mieux attendre la fin de la crise sanitaire pour convenir de quoi que ce soit à cet égard.

Nous croyons qu’il faut prendre le temps de bien faire les choses et, conséquemment, nous demandons que le développement de l’EAD soit repoussé jusqu’à la fin de la prochaine ronde de pourparlers, laquelle commencera l’automne prochain.

 

– Yves de Repentigny, vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN), responsable du regroupement cégep

– Lucie Piché, présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (CSQ)