La pandémie a bouleversé les milieux de travail. Nous pouvons croire que le télétravail, partiel ou total, qui s’est implanté dans l’urgence, s’enracinera. Cette nouvelle donne aura des conséquences multiples sur les transports, l’aménagement du territoire et les relations de travail.
L’enseignement n’est pas exemptde ce mouvement. Si la majorité du corps enseignant et du corps étudiant était réfractaire avant la pandémie, plusieurs défendent actuellement l’idée d’une plus grande place pour la formation à distance (FAD). L’enseignement primaire et secondaire n’est pas en reste. La question de l’enseignement en ligne en temps de tempête de neige est actuellement débattue. De plus, des projets de journées « carboneutres » sont mis en place avec l’enseignement distanciel.
Dans le registre argumentaire des promoteurs de la FAD, nous pouvons y retrouver plusieurs arguments, parfois légitimes, parfois moins légitimes. Certaines personnes invoquent l’urgence climatique afin de généraliser la formation à distance. Qu’en est-il réellement ?
Le numérique, plus polluant qu’on le pense
Actuellement, on évalue à 4 % la part du numérique dans l’émission de gaz à effet (GES). Selon l’Agence de la transition écologique de la France, le numérique pourrait représenter jusqu’à 30 % de la consommation d’énergie mondiale en 2030. Les centres de données sont ainsi extrêmement énergivores. Or, à l’échelle mondiale, 64 % de la production d’électricité mondiale est issue des énergies fossiles selon la U.S. Energy and Information Administration. Considérant l’interconnexion d’Internet, on ne peut évidemment pas choisir quel type d’énergie on utilise lorsqu’on fait de la vidéoconférence.
À cela, il faut ajouter la production et l’utilisation de matériel informatique. Selon Freitag et al. (2021), cette production et cette utilisation génèrent encore plus de GES que les réseaux numériques ou les centresde données. N’oublions pas que le télétravail, y compris le téléenseignement, demande un équipement plus moderne qui tombe plus rapidement en désuétude. Nous pouvons observer que, pendant l’épidémie, plusieurs ont renouvelé leur équipement informatique et que certains ont fait l’acquisition d’un second écran ou d’un casque d’écoute pour faciliter la vidéoconférence.
Au-delà de l’émission de GES, la production d’équipement informatique est préoccupante. L’exploitation minière, notamment du lithium et des terres rares, peut avoir des conséquences graves sur les populations concernées : contamination de la nappe phréatique, déplacement de populations, guerres, etc. La gestion des déchets informatiques est tout aussi préoccupante.
Selon les calculs de Laure Patouillard, chercheuse à l’École polytechnique de Montréal, une heure de vidéoconférence (avec image) génère environ 960 g de CO2. En tenant compte de l’amortissement écologique de l’acquisition du matériel informatique, nous pourrions évaluer à 1,5 kg de CO2 cette émission. Ainsi, plusieurs heures de cours dans une journée sont susceptibles d’émettre davantage de GES qu’un enseignement en salle de classe en tenant compte qu’une partie de la communauté universitaire se déplace en transport en commun ou font de courts déplacements en voiture.
Que doit-on en conclure ?
Évidemment, ces calculs ne tiennent pas compte de toutes les émissions. Le logement étudiant et l’alimentation sur les campus sont aussi source de pollution. Toutefois, nous pouvons conclure que la FAD n’est pas la solution miracle à la pollution atmosphérique.
Rappelons aussi que les campus collégiaux et universitaires sont des lieux de socialisation politique, y compris de la cause environnementale. Avec des projets pédagogiques et parascolaires, les écoles primaires et secondaires sont également des lieux de conscientisation. S’attaquer aux lieux d’enseignement, c’est aussi s’attaquer à des initiatives innovatrices en matière environnementale. En somme, la généralisation de la FAD est susceptible d’avoir des conséquences au-delà de nos intuitions.
En terminant, soulignons qu’il y a aussi de bonnes raisons de développer une FAD de qualité : rejoindre une population éloignée, participer à la formation continue et à la reconversion professionnelle, faciliter l’accès pour les cheffes et les chefs de famille monoparentale, etc. Toutefois, l’environnement ne semble pas être l’une de ces bonnes raisons.