Déjà restreint au cadre de la négociation de la convention collective par le Code du travail et conditionné par les lois 37 et 160, le droit de grève dans le secteur public québécois a souvent été bafoué par des lois spéciales. Dans le secteur privé, des lois spéciales ont aussi été imposées: par exemple, en mars 2012, le gouvernement fédéral précédent a interdit tout arrêt de travail chez Air Canada, afin de «protéger l’économie canadienne». Au Québec cependant, la fréquence et la brutalité des lois spéciales imposées au secteur public sont telles que l’évocation de leur seule possibilité teinte toujours à l’avance l’analyse des rapports de force. Cette fois-ci, pour mieux avancer, il faut prendre la mesure de l’évolution de la question à la lumière de l’histoire récente des mouvements sociaux et du droit, et évaluer le rapport de force syndical au regard des enjeux socio-politiques de l’actuelle ronde de négociation.
Le droit de grève à l’aune des lois spéciales
Le droit de grève enchâssé dans les lois
Pour les syndicats de professeurs de cégep, le cadre de négociation (matières locales et nationales, détermination des salaires, médiation et exercice du droit de grève, etc.) est régi par la loi 37, Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic, sanctionnée en juin 1985. Cette loi modifiait en profondeur le régime de négociation, à la suite du conflit de 1982-1983 entre le gouvernement et les employé-es de l’État, qui s’était soldé par des lois spéciales décrétant les conditions de travail et les salaires du secteur public et retirant le droit de grève jusqu’aux prochaines négociations. Les syndicats de professeurs de cégep qui avaient voté de défier ces lois se sont vus imposer la loi 111, adoptée en février 1983, qui suspendait l’application des droits prévus aux chartes et forçait le retour au travail, sous peine de sanctions sévères.
Le droit de grève relève aussi de la loi 160, Loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux, adoptée en 1986. Cette loi prévoit des sanctions imposantes à tout contrevenant (poursuites pénales, retenues à la source, réduction de traitement, perte d’ancienneté et responsabilité civile). Le gouvernement s’est servi de cette loi pour réprimer les grèves de 1989 des syndicats de la santé.
Dans la loi 160, l’ampleur des «services essentiels» est telle que la portée des grèves dans la santé est réduite comme peau de chagrin. Peu de gens savent, par exemple, que lorsque les services essentiels sont en vigueur pendant une grève, il y a plus d’employé-es au travail que dans certaines périodes estivales. De plus, les syndiqué-es de la santé ne peuvent faire que 42 minutes de grève par jour!
Cette loi ne s’applique pas au milieu de l’enseignement, même si, au printemps dernier, le Comité patronal de négociation des collèges (CPNC) obtenait une ordonnance de la Commission des relations du travail (CRT) pour empêcher 30 syndicats de professeurs de cégep de faire une grève d’un jour contre l’austérité, le 1er mai!Le secteur public est toujours sous ce régime de négociation des lois 37 et 160.
Des lois spéciales devenues habituelles
Ce qui fausse encore plus les choses est la possibilité pour l’État-patron de légiférer à son avantage.
Une loi spéciale peut ainsi consacrer abruptement la volonté gouvernementale de retirer aux syndicats toute possibilité de moyens de pression et de leur imposer leurs conditions de travail, sans négociation, ni règlement. Avec l’appareil répressif qui lui est assorti, elle se révèle être une atteinte sérieuse aux droits fondamentaux. Peut-on ainsi parler d’un véritable droit de grève?
Le résultat net de tout cela place les travailleuses et les travailleurs du secteur public dans une position insoutenable, alors que les pertes consécutives et de longues années de reculs se sont cumulées.
Le dernier décret subi par le secteur public date de 2005. Il prévoyait des amendes sévères pour quiconque ralentit ou altère «ses activités normales» ou amène une autre personne à le faire. Il s’agissait là d’une attaque grave à la liberté d’expression et aux droits démocratiques.
Et, comme si c’était possible, l’ignoble loi 78, votée pour mettre fin à la grève étudiante du Printemps érable, est allée encore plus loin. Dans ce dernier cas, les dispositions limitant le droit de manifester ne s’appliquaient pas seulement aux organisations syndicales, mais à tous les groupes de la société, et les associations étudiantes étaient tenues responsables des actions de leurs membres. Cette loi soulèvera l’indignation populaire.
Le vent est-il en train de tourner?
C’est peut-être trop espérer mais quelques voix officielles, provenant des tribunaux et de diverses organisations nationales et internationales, condamnent maintenant l’atteinte aux droits fondamentaux de ces lois spéciales. Tout récemment, en février dernier, la Cour suprême a rendu un jugement historique déclarant inconstitutionnelle la loi de la Saskatchewan qui limitait l’exercice du droit de grève des salarié-es du secteur public qui assurent des services essentiels. Elle concluait que le droit de grève jouit d’une protection constitutionnelle.
Mais au-delà d’un cadre juridique en évolution, il y a l’action politique des syndicats qui, toujours portés par le courage et la générosité du Printemps érable, voient l’horizon des choix d’actions plus vaste qu’auparavant.
On ne peut alors s’étonner que plusieurs organisations syndicales se posent maintenant la question de savoir ce qu’il serait légitime de faire, advenant que le gouvernement veuille jouer la carte de la menace ou de l’imposition brutale de conditions de travail. Le Syndicat du personnel enseignant du Cégep de Sherbrooke, par exemple, appelle les syndicats du secteur public à adopter une résolution de principe similaire à celle dont il s’est lui-même doté le 13 novembre, affirmant que la poursuite de la grève sous une loi spéciale pourrait constituer un geste de désobéissance civile légitime.
Cette volonté syndicale de réagir est de très bon augure, même si les questions sont épineuses dans une société de droit. Un mouvement social d’appui aux syndiqué-es du secteur public se dessine, issu en bonne partie de la mouvance anti-austérité et enraciné dans les organisations étudiantes. On peut espérer que la résistance sera suffisante pour mettre à jour les incohérences actuelles des relations de travail dans le secteur public et déboucher sur de réelles améliorations contractuelles.
Enfin, cela a été dit et répété, la négociation du secteur public s’inscrit dans la lutte plus large contre les politiques d’austérité du gouvernement actuel. Les conditions de travail des employé es du secteur public sont garantes de la qualité des services publics. Il est à souhaiter que les travailleuses et les travailleurs présentement en négociation sauront rester uni-es et sauront aussi poursuivre leur lutte en l’inscrivant dans la mobilisation citoyenne, communautaire et étudiante qui s’oppose au modèle néolibéral actuellement imposé.
Le comité école et société
On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca