Comment réconcilier la protection de l’environnement et nos revendications pour de meilleures conditions de travail ?
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Rédigé par Nova Doyon pour le comité environnement de la FNEEQ
L’urgence climatique ne fait plus aucun doute. La science est claire. Malgré les avertissements répétés des scientifiques et les récents constats alarmants du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC)[1], les gouvernements du monde entier tardent à agir, comme en témoigne la très faible déclaration finale de la 26e conférence des Nations Unies (la COP26) de l’automne 2021. Celle-ci passe carrément à côté de l’essentiel en ne préconisant pas clairement une sortie complète des énergies fossiles à plus ou moins brève échéance[2]. Par ailleurs, les sanctions économiques imposées par plusieurs pays membres de l’OTAN à la Russie pour son agression en Ukraine ont également révélé les enjeux géopolitiques associés à la dépendance de l’Occident aux énergies fossiles et principalement au pétrole russe[3].
Au Québec, notre classe politique manque clairement d’ambition dans sa lutte aux changements climatiques et fait des choix contradictoires, comme celui de ne pas investir dans le développement des hydrocarbures en rejetant le projet de l’usine de liquéfaction GNL Québec tout en projetant le développement d’un lien routier qui favorise l’augmentation de l’auto-solo et l’étalement urbain, ce qui montre bien que l’économie passe encore avant l’environnement. Pourtant, n’en déplaise au parti actuellement au pouvoir, le Québec n’est pas un modèle en matière de lutte contre les changements climatiques. Dans un récent document portant sur la transition écologique juste que doit opérer le Québec, l’IRIS rappelle en effet que « les Québécois·es émettent plus du double de gaz à effet de serre (GES) que la moyenne mondiale, près de 50 % plus que la moyenne européenne et près de 20 % plus que la Norvège, une région aussi habituée aux hivers rigoureux. »[4] Il n’y a certainement pas de quoi se vanter lorsqu’il est question de l’atteinte de nos cibles de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) selon l’analyse que fait la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal du Plan d’action sur les changements climatiques 2013-2020 du gouvernement du Québec[5].
Dans ce contexte, quel rôle les syndicats peuvent-ils jouer dans la lutte contre les changements climatiques pour être proactifs et non seulement réactifs face aux (mauvaises) décisions du gouvernement ? Quelle vision syndicale voulons-nous développer sur la nécessaire transition énergétique qui doit s’opérer au Québec ? Comme le signalent les auteurs de la Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité derrière le projet Québec ZéN – zéro émission net –, c’est d’abord à « un défi de transformation sociale » que nous sommes convié.es[6].
L’enjeu environnemental relève certainement du mandat des syndicats puisque, d’une part, il est directement lié à la santé et à la sécurité au travail et, d’autre part, il s’agit d’une question d’équité ainsi que de justice sociale. En effet, l’impact des changements climatiques sur la santé et la sécurité des travailleurs est sans doute le lien le plus évident que l’on puisse faire, comme le notait en 2019 le Syndicat canadien de la fonction publique[7]. La Commission des normes de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) reconnaît pour sa part que, « [p]our leur santé physique ou psychologique, les travailleuses et les travailleurs ont le droit de travailler dans un milieu de travail sain et sécuritaire. »[8] Les changements climatiques ne semblent toutefois pas encore être vus comme une menace à ce droit. Par ailleurs, la crise climatique aura des impacts sur nos conditions de travail, peu importe le secteur dans lequel on œuvre. Comme le souligne à juste titre Québec ZéN, les services publics ne seront pas épargnés. En fait,
« une part importante des travailleuses et travailleurs des services publics est appelée à voir sa charge de travail augmenter, tant en raison des impacts du réchauffement climatique que des initiatives de transition qui risquent d’exercer une forte pression sur les besoins. Cette transformation ne doit pas servir de prétexte à la marchandisation des services publics, car ils constituent l’un des principaux leviers de transition dont dispose l’État et auront un rôle de plus en plus crucial à jouer au sein des collectivités[9]. »
Il importe donc de déterminer dès à présent comment adapter nos milieux de travail aux bouleversements climatiques et, idéalement, comment contribuer à réduire significativement les émissions globales de gaz à effet de serre qui causent ces bouleversements.
Cependant, au-delà de la préservation de nos emplois et du maintien de nos conditions de travail, n’est-il pas du devoir des syndicats de s’engager activement dans la lutte contre les changements climatiques ? Comme travailleuses et travailleurs syndiqué.es, nous avons en effet la possibilité d’induire des changements sociaux majeurs tant par la force du nombre que par la capacité du monde du travail à agir sur différents secteurs grâce à des choix écoresponsables : transport, consommation (biens, nourriture), énergie, etc. D’ailleurs, les travailleuses et travailleurs ont la volonté d’être partie prenante des discussions : chaque milieu de travail connaît ses défis et a des solutions à proposer. Il faut lancer une véritable conversation démocratique sur la question pour assurer une transition juste et équitable. Selon Québec ZéN,
« [l]a notion de transition énergétique et écologique juste — ou transition juste — a été développée par le mouvement syndical mondial pour protéger les travailleuses et les travailleurs touché·e·s par la transition vers une économie sobre en carbone. Elle est née de la nécessité de protéger les moyens de subsistance de ces personnes et de s’assurer que les gouvernements accordent une attention aux conséquences des transformations profondes liées à la transition. Elle a permis de renforcer les capacités d’agir ainsi que le partage d’expériences et de compétences tout en établissant les bases d’un dialogue social inclusif[10]. »
Nous devons œuvrer à déployer une vision syndicale élargie de la transition climatique. Des alliances syndicales seront sans doute essentielles pour pousser cet enjeu sur le devant de la scène politique provinciale et mener cette lutte qui relève assurément du « deuxième front »[11].
Nous pouvons développer, dans les prochaines années, un écosyndicalisme en mesure de transformer notre société[12]. Cependant, pourquoi ne pas profiter des prochaines négociations du secteur public pour inscrire la lutte contre les changements climatiques à même les conditions de travail des syndiqué.es ? On le sait, les syndicats du secteur public sortent tout juste d’une négociation – la toute première en mode COVID – et vont entamer dès l’automne 2022 une nouvelle ronde de pourparlers en vue du renouvellement de leurs conventions collectives. Celle-ci nous offre une occasion en or pour aller plus loin dans nos revendications et enfin donner une place à la protection de l’environnement dans nos conventions collectives.
Quelle place pour la crise environnementale dans les nĂ©gociations du secteur public ?Â
Dans le sondage lancé en janvier 2022 par la CSN pour connaître les enjeux prioritaires de ses membres en vue des prochaines négociations, la seule question qui mentionnait l’environnement était celle relative à la retraite (question 9) et elle offrait, parmi les choix de réponse : « Une politique de placement responsable et écologique ». Autrement, les questions ouvertes, comme la question 16 sur les revendications qui pourraient unir l’ensemble des membres du secteur public, permettaient, si on le souhaitait, d’évoquer l’enjeu de la crise climatique. Pourtant, la présentation des résultats du sondage à l’occasion de l’instance conjointe des syndicats du secteur public CSN du 24 février dernier, jour du lancement de la campagne de négociation 2023 de la Confédération[13], révélait que le salaire était la principale préoccupation des travailleuses et travailleurs. Faut-il s’en étonner dans le contexte inflationniste que nous connaissons ? D’ailleurs, comment s’attendre à ce que l’enjeu climatique apparaisse dans les préoccupations des syndiqué.es si on ne leur suggère pas qu’il peut en être ainsi ? En effet, la structure actuelle de nos conventions collectives, inféodées au système économique qui modèle nos sociétés modernes, ne nous empêche-t-elle pas de penser autrement notre rapport à l’environnement[14] ? La crise climatique doit nous inviter à repenser notre contrat de travail pour qu’il tienne compte de l’impact de nos milieux de travail sur la crise environnementale et envisage globalement nos conditions de vie.
Depuis l’Accord de Kyoto, en 2005, la question environnementale apparaît de manière plus précise sur le radar de notre centrale, alors qu’une série de propositions ont été votées pour aller dans le sens du développement durable[15]. En 2015, année de l’Accord de Paris, la campagne Vert la solidarité a voulu recommander aux syndicats affiliés à la CSN certaines actions à réaliser dans les milieux de travail, dont, au premier chef, la création d’un comité environnement. Lors du congrès de 2017, une résolution est venue déterminer un positionnement plus marqué de la Confédération en faveur de la transition énergétique juste et non plus seulement du développement durable[16] :
« 6,1 Que la CSN élabore une charte de l’environnement énonçant les principes et les engagements de la CSN en matière d’environnement et de transition juste et écologique des emplois. Que la CSN entame une réflexion sur les placements réalisés en lien avec les énergies fossiles dans les fonds de retraite et dans les fonds d’investissement[17]. »
Par la suite, la CSN s’est dotée d’une Charte de l’environnement (adoptée par son conseil confédéral en 2018) affirmant les grands principes environnementaux qui sous-tendent ses positions. Cette charte, qui répertorie aussi les propositions de congrès de la Confédération en environnement et développement durable de 1961 à 2017, a donné lieu à un Plan d’action censé « guide[r] la CSN dans ses prises de position en matière d’environnement, de développement durable, de transition juste et, plus largement, lorsqu’elle se prononcera sur des enjeux de développement social, d’emploi et de négociation »[18].
Toutefois, c’est en 2019 que la CSN semble s’être positionnée plus clairement dans l’espace public en faveur de la protection de l’environnement. Tout comme les autres grandes centrales syndicales, ainsi que plusieurs autres organismes et organisations du Québec œuvrant en environnement, la CSN fait partie des membres du Front commun pour la transition énergétique qui a produit, en 2019, la première version de la Feuille de route pour un Québec ZéN. Notre confédération endosse, conséquemment, le Projet Québec ZéN et les propositions qui y figurent[19]. Cependant, elle aurait avantage à mieux faire connaître ce document qui réfléchit au Québec de demain et qui propose des actions concrètes pour y arriver en s’attardant à tous les chantiers où ces actions devraient s’incarner.
D’ailleurs, au moment de la remise des cahiers de revendications, en octobre 2019, la CSN avait annoncé qu’elle allait exiger de la part de la Caisse de dépôt et placement que celle-ci se départisse de ses investissements dans le secteur des énergies fossiles[20]. Cependant, la seule demande liée à la question environnementale a rapidement été balayée du revers de la main par la partie patronale. Le Conseil du trésor a rejeté cette demande, arguant que la négociation n’était pas le lieu pour avoir cette discussion.
Néanmoins, dans le cadre des manifestations du printemps et de l’automne 2019, la CSN a participé à la création du collectif La Planète s’invite au travail[21], sur le modèle de La Planète s’invite au parlement, qui avait lancé l’appel à la mobilisation. Dans son rapport de mars 2020 (déposé seulement en janvier 2021), le comité confédéral en environnement et développement durable faisait état des projets soutenus par notre centrale et des actions entreprises par celle-ci pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques. Cependant, nonobstant le retard dans le dépôt du rapport occasionné par la pandémie, on aurait tout intérêt à mieux diffuser ces différentes démarches afin de marquer clairement le positionnement de la CSN sur la question climatique.
On le sait, la COVID a stoppé le bel élan que l’incroyable mobilisation de 2019 avait donné à toutes les organisations et à tous les groupes communautaires qui s’étaient unis pour envoyer un message clair au gouvernement. Les deux années de pandémie ont certainement déstructuré quelque peu les réseaux de solidarité, mais elles ont surtout mobilisé l’attention – et les fonds – des pays industrialisés sur la crise sanitaire. Pourtant, il semble de plus en plus évident que les deux crises sont étroitement liées[22].
Au printemps 2021 a été discrètement lancé le RIC – Réseau intersyndical pour le climat. La coalition syndicale formée des onze principales organisations représentant les travailleuses et travailleurs du Québec continue de revendiquer du gouvernement qu’il s’engage dans un processus de transition juste. Cependant, ce regroupement n’a pas de site Web ni de « manifeste » et semble manquer de coordination dans la diffusion de ses actions de mobilisation, comme en témoigne la manifestation organisée dans le cadre de la Journée mondiale pour la justice climatique du 6 novembre 2021, en marge de la COP26, annoncée aux syndicats membres seulement une semaine à l’avance.
Peut-on parler d’une absence de véritable mobilisation en faveur de la transition énergétique ou simplement d’un manque de communication et de coordination entre les différents acteurs environnementaux de la CSN ? N’aurait-on pas avantage à avoir une personne responsable de la coordination des différents comités environnement de la Confédération (comité confédéral en environnement et développement durable, comités environnement et développement durable des conseils centraux, comité environnement de la FNEEQ, comités environnement dans les milieux de travail, etc.) afin d’orchestrer les activités de ces comités, de diffuser leurs actions, de former les travailleuses et travailleurs à l’écosyndicalisme et de les informer sur la transition juste ? Ultimement, cela permettrait certainement d’accroître la participation des membres à l’action climatique et, à terme, faire pression sur le gouvernement pour qu’il s’engage résolument dans la transition énergétique.
On pourrait même engager des conseillers ou des conseillères en environnement pour qu’ils et elles siègent aux principales tables de négociation et s’assurent que les revendications portées sont cohérentes avec les orientations adoptées par les centrales (dont la Feuille de route Québec ZéN). Pour ce faire, il faudrait sans doute dédier un budget récurrent et significatif tant pour la recherche sur ce qu’implique la carboneutralité dans les principaux milieux de travail que pour la diffusion de ces connaissances auprès des membres.
En attendant que les centrales se saisissent pleinement de l’enjeu climatique, d’autres initiatives permettent aux travailleuses et travailleurs de s’organiser et de militer en faveur d’actions environnementales porteuses de justice sociale. En octobre 2021, l’organisation démocratique intersyndicale Travailleuses et travailleurs pour une justice climatique (TJC) a vu le jour[23]. Ce regroupement d’employé.es tant du secteur public que du secteur privé s’est développé en marge des groupes syndicaux existants dans le but de permettre à ce qu’on appelle communément « la base », soit les syndiqué.es, de se saisir de la question de la transition environnementale. Les membres sont appelé.es à s’organiser en comités de justice climatique (ou en comités de mobilisation environnementale) et à mobiliser leurs instances pour que la justice climatique s’impose dans le discours et, surtout, au plan de travail des grandes organisations syndicales. Pour être prêtes à confronter le gouvernement sur ses choix politiques nuisibles à la préservation de la biodiversité et sur ses échecs répétés à atteindre les cibles de réduction de GES, les centrales syndicales doivent sentir la ferme conviction de leurs membres à s’engager pour la cause. Cependant, elles ont aussi la responsabilité d’aider les syndiqué.es à concevoir la crise climatique comme un enjeu de premier front.
La place de l’environnement dans nos conventions collectives : l’exemple de la négociation des cégeps de la FNEEQ-CSN dans la négociation du secteur public en 2020
Tout comme sa centrale, la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ) soutient la lutte contre les changements climatiques, notamment par le biais des travaux de son comité environnement. En mai 2019, celui-ci concluait d’ailleurs sa chronique par une série de questions invitant la FNEEQ à se positionner plus clairement : « Peut-on faire de l’environnement une priorité dans les revendications syndicales ? Le deuxième front de la CSN doit-il inclure la cause environnementale ? Et pourquoi pas des clauses à portée environnementale lors de la prochaine ronde de négociation collective du secteur public ou au renouvellement des conventions collectives des secteurs privé et universitaire ? »[24]
En 2019, la FNEEQ a d’ailleurs pris une part active au mouvement de mobilisation pour le climat[25]. Les recommandations adoptées au conseil fédéral de mai 2019 indiquaient clairement l’orientation de la Fédération en faveur des revendications portées par La Planète s’invite au parlement tant sur le plan de l’éducation à l’écocitoyenneté que sur celui de la militance environnementale. Elle allait même jusqu’à « demander à la CSN un appui politique, financier, juridique pour les syndicats locaux qui voteraient la grève, en leur permettant notamment d’avoir accès au FDP »[26]. Malgré ce positionnement clair en faveur de l’écoresponsabilité et de la décarbonation du secteur énergétique, lors des négociations de 2020, on ne trouvera aucune demande concrète en environnement, hormis celle à la table centrale sur les fonds de retraite. Il est vrai que le modèle de consultation retenu par le comité de négociation et de mobilisation de la FNEEQ, qui fonctionnait par vagues devant aborder successivement les principales problématiques et les demandes qui y seraient associées, a quelque peu été saboté par la pandémie. Alors que nous en étions au délicat exercice de priorisation de nos demandes dans un contexte où le gouvernement faisait pression sur les syndicats pour négocier de manière accélérée, les propositions environnementales qui ont été amenées sur le plancher du regroupement cégep tenaient à peu près en ces termes :
- Tenir compte de la crise environnementale en créant un comité national paritaire visant à s’assurer que le réseau offre un milieu de travail sain orienté vers des pratiques écoresponsables ;
- Tenir compte de la crise environnementale en mettant sur pied des comités paritaires locaux dotés de ressources dédiées afin de favoriser les comportements écoresponsables ;
- Créer une enveloppe dédiée à la recherche sur les enjeux environnementaux gérée par un comité paritaire local.
Ces propositions ont néanmoins été rejetées à la majorité par les délégué.es. Ici comme ailleurs, la crise de la COVID-19 a remplacé le sentiment d’urgence climatique par un sentiment d’urgence sanitaire.
En juin dernier, à l’occasion du 33e congrès de la FNEEQ, nous avons néanmoins adopté une recommandation claire pour que notre engagement en faveur de la lutte contre les changements climatiques s’intensifie et que celle-ci passe notamment par la négociation de clauses liées l’environnement :
Que le comité environnement produise une trousse d’information et d’action pour animer les discussions dans les syndicats ;
Que la FNEEQ, ses regroupements et ses syndicats intensifient leur engagement dans la lutte contre les changements climatiques en organisant des activités syndicales sur le thème de l’environnement et en développant des revendications, notamment dans le cadre des négociations[27].
Comme enseignant.es, n’avons-nous pas le devoir de former des citoyennes et des citoyens engagé.es dans la transition climatique ? Le milieu de l’éducation a certainement une responsabilité sociale en la matière, tant dans sa manière d’aborder les enjeux environnementaux que dans ses actions concrètes pour limiter les effets des changements climatiques[28]. Ne devons-nous pas, comme syndiqué.es, nous mobiliser en soutenant l’écocitoyenneté et en promouvant une véritable vision écoresponsable de nos établissements d’enseignement[29] ? Le milieu dans lequel sont formé.es les étudiant.es doit refléter les valeurs de justice sociale, d’équité et d’inclusion ainsi que les objectifs environnementaux qui permettront, à terme, de préserver la qualité de vie sur Terre. Il s’agit peut-être là d’une question de justice intergénérationnelle.
Il est temps maintenant de passer de la parole aux actes.
Des exemples de demandes environnementales
Pour quelle raison cette question, pourtant brûlante d’actualité en 2019, n’a-t-elle pas véritablement réussi à s’inscrire dans les revendications des employé.es de l’État, dans la santé, l’éducation et la fonction publique, dans la dernière ronde de pourparlers ? Il est vrai que notre régime de négociation n’accorde que très peu d’espace pour négocier des demandes à portée plus politique.
On pourrait également imputer à l’urgence sanitaire dans laquelle l’épidémie de COVID-19 nous a collectivement plongé.es le peu de visibilité accordée à la crise climatique dans nos revendications, mais il appert que certains enjeux, pour s’imposer dans la négociation, doivent être portés plusieurs mois, voire plusieurs années à l’avance, comme en témoigne l’exemple de la situation inique des professeur.es précaires et de celle, déplorable, des chargé.es de cours à la formation continue[30].
S’il faut clairement accroître la visibilité syndicale accordée à la transition climatique au cours des prochains mois, le défi demeure cependant de trouver comment formuler les enjeux environnementaux pour qu’ils deviennent des objets de négociation qui pourront, à terme, apparaitre dans nos conventions collectives. Pour inspirer les travailleuses et travailleurs qui siègent à des comités environnementaux ainsi que les membres élus des différents comités de négociations, voici quelques exemples de clauses qui figurent dans d’autres conventions collectives.
L’ACW (Adapting Canadian Work and Workplaces to Respond to Climate Change project) recense dans une base de données les articles de conventions collectives canadiennes à teneur environnementale. On y trouve de nombreux exemples d’incitatifs à l’utilisation du transport actif ou collectif et à l’abandon de l’auto-solo avec parfois comme objectif la réduction des espaces de stationnement et, donc, des îlots de chaleur. Certains articles portent aussi sur l’obligation d’offrir un service de recyclage des matières résiduelles ou de se doter d’une politique d’achats responsables.
Du côté québécois, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a dressé en 2019 un « Répertoire des pratiques syndicales en transition juste » dans le but d’aider ses membres à envisager les meilleures pratiques environnementales pour accompagner la transformation des emplois dans le contexte des changements climatiques. Le document conclut en affirmant que
« Les clauses de conventions collectives sont probablement la façon la plus durable et formelle d’impliquer les syndicats dans une transition pour un environnement plus sain. Les procédées [sic] de production, comme les habitudes des travailleurs, peuvent être changées aisément par une négociation de convention collective. Les milieux de travail les plus engagés dans des initiatives écoresponsables doivent leur motivation à quelques travailleurs et travailleuses syndiqués prêts à mettre des efforts pour s’assurer que leur emploi soit en accord avec leurs valeurs. Pour qu’il y ait une continuité pour ces individus conscientisés, il doit y avoir un endroit où les initiatives sont écrites sur papier pour qu’elles deviennent des engagements à long terme[31]. »
L’idée que le milieu de travail reflète les valeurs de ses membres semble capitale si l’on veut que les emplois continuent à avoir un sens pour celles et ceux qui les occupent.
Lors de la dernière négociation du secteur public, la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ) avait, pour sa part, réussi à intégrer quelques revendications environnementales dans son cahier de demandes sectorielles, mais celles-ci relevaient davantage de grands principes que de la négociation de clauses proprement dites :
« Améliorer l’organisation du travail, par exemple […] en tenant compte des préoccupations environnementales ayant une incidence sur l’organisation du travail et portées par les enseignantes et les enseignants lors des rencontres Collège-Syndicat (RCS).
Enrichir le concept de conciliation famille-travail, par exemple […] en tenant compte des perturbations du travail induites par les événements climatiques.
Permettre le maintien, la mise à jour et le renforcement de l’expertise enseignante, par exemple […] en considérant, au nombre des besoins émergents en matière de perfectionnement individuel et collectif, les enjeux environnementaux. »
(Indiquer la source du document/oĂą le consulter)
Cependant, comme on s’en doute, ces revendications ont vite été abandonnées lors de la négociation. Néanmoins, il s’agit d’une tentative d’inscrire le contexte de crise climatique dans une convention collective du secteur public. Le défi demeure de formuler les demandes de manière à ce qu’elles touchent directement nos conditions de travail. Sinon, la partie patronale aura beau jeu de décréter que l’urgence climatique n’est pas du ressort d’un contrat de travail. L’angle de la santé et de la sécurité au travail est peut-être une bonne avenue pour penser à des clauses environnementales. Pour nous aider à les formuler, il faut garder en tête les objectifs que l’on souhaite atteindre avec de telles clauses.
Les objectifs visés par les demandes environnementales
En définitive, on souhaite que chaque établissement d’enseignement s’engage à participer activement à la lutte contre les changements climatiques ainsi qu’à leur atténuation et que, pour ce faire, il se dote d’une politique sur l’écocitoyenneté et la transition écoresponsable. On pourrait exiger que chacun :
- ait l’obligation d’adopter des mesures qui favorisent le transport actif et l’utilisation du transport en commun afin de diminuer la part modale de l’auto-solo ;
- se dote d’un fonds vert pour financer des initiatives locales ayant pour but de diminuer l’empreinte écologique ;
- vise l’atteinte du zéro déchet ;
- vise la carboneutralité d’ici 2030 ;
- soutienne et développe l’éducation relative à l’environnement et à l’écocitoyenneté.
Étant donné que ces objectifs touchent à la gestion même des établissements, il apparaît clair que des discussions devront avoir lieu entre les parties prenantes pour coordonner une telle vision. On demande ainsi :
- Que soit créé un comité national paritaire sur l’environnement qui aurait comme mandat, entre autres, de rédiger une politique nationale en environnement pour les établissements d’enseignement axée notamment sur :
- La gestion Ă©coresponsable
- L’atteinte de la carboneutralité
- L’atteinte du zéro déchet
- Que les enseignantes et enseignants aient accès à des libérations syndicales pour participer activement et efficacement à des comités environnementaux dont le mandat serait d’offrir à ses membres à la fois de la formation en écocitoyenneté, du soutien aux actions écoresponsables et des solutions pour favoriser une transition climatique juste. En effet, dans ce contexte d’urgence climatique, l’engagement citoyen devrait être valorisé puisqu’il est un puissant moteur de changement. Le temps imparti à cet engagement devrait donc être soutenu par une libération à la hauteur des défis à relever au sein de l’établissement et du réseau.
- Que nos investissements collectifs ne servent pas à « financer la crise climatique »[32]. La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) a d’ailleurs annoncé qu’elle allait se désengager du secteur pétrolier d’ici la fin de 2022[33]. Souhaitons que nous n’ayons pas encore une fois à réclamer le désinvestissement de notre régime de retraite des énergies fossiles dans nos demandes à la table centrale. Cela dit, s’il le faut, nous saurons nous mobiliser sur cet enjeu, tout comme le font les étudiant.es et les syndiqué.es d’autres institutions d’enseignement[34].
Il nous reste encore beaucoup de demandes à imaginer en ce qui a trait aux conditions mêmes d’exercice de notre travail comme enseignant.es, comme employé.es des services publics, comme citoyen.nes. N’oublions pas que les décisions prises tant par nos directions que par le gouvernement ont un impact sur nos conditions de travail et il serait essentiel que nous ayons voix au chapitre, notamment lorsque ces décisions ont un effet sur le climat. Il n’en demeure pas moins que l’urgence environnementale doit être un enjeu de premier front et apparaître enfin dans nos conventions collectives.
Conclusion
Notre classe politique manque clairement de volonté d’agir dans sa lutte contre le réchauffement climatique. Elle se berce d’illusions lorsqu’elle affirme que le Québec a un bon bilan environnemental, notamment grâce à l’hydroélectricité, et qu’il suffit de continuer dans la même voie pour que la situation s’améliore. Le mouvement syndical a la capacité de transformer le monde du travail pour le rendre plus juste et plus écoresponsable. Il a le pouvoir de faire pression sur le gouvernement et de participer au changement social exigé par la situation inédite dans laquelle nous nous trouvons. Nous avons la force du nombre et une capacité d’organisation favorisée par une structure démocratique.
En effet, nos milieux de travail, surtout dans le secteur public et encore plus en enseignement supérieur, sont des espaces déjà organisés, déjà démocratiques. La création d’un réseau de comités de mobilisation en environnement au sein de la FNEEQ permettrait le partage non seulement d’information, mais également de stratégies d’action au sein de nos établissements. Une véritable coordination intersyndicale (entre syndicats d’un même établissement, d’une même fédération, d’une même centrale, mais également entre les centrales) permettrait d’établir un important rapport de force avec le gouvernement. Nous pouvons utiliser nos instances déjà existantes pour transformer nos milieux de travail. Toutefois, nous devons également utiliser le levier que représentent les négociations du secteur public pour forcer l’État québécois à agir et, pourquoi pas, à voter une Loi climat contraignante susceptible de transformer radicalement nos modes de gestion et de consommation de même que notre vivre-ensemble[35]. Ainsi, si l’on veut que l’environnement devienne un enjeu prioritaire lors des prochaines négociations, il faut absolument imposer ce sujet de discussion en mobilisant nos instances syndicales.
En février 2022, TJC a d’ailleurs lancé un appel à la grève climatique pour l’automne 2022 et des assemblées générales vont se prononcer dès ce printemps sur la question. L’appui des centrales syndicales à une éventuelle grève climatique sera fort probablement un enjeu, comme ce fut le cas en 2019. En effet, le gouvernement ne reconnait le droit de grève aux travailleuses et travailleurs que dans le contexte d’une négociation des conditions de travail. Par ailleurs, le risque financier est important pour les centrales lorsqu’il est question de grève illégale. C’est le cas pour toute grève non prévue au Code du travail, pour peu qu’elle soit déclarée comme telle par l’employeur. Cependant, dans le cas du secteur public, l’odieux de déclarer illégale une grève climatique reviendrait au gouvernement. Ce ne serait pas très bon pour l’image du parti politique au pouvoir, encore moins s’il est en pleine campagne électorale. La position des grandes organisations syndicales sur la grève climatique et, plus largement, sur la grève sociale pourrait être amenée à changer si elles sentaient un fort appétit de leurs membres pour un arrêt de travail lié à un tel enjeu. C’est pourquoi il faut se demander où, comme syndiqué.es, il est possible de militer par rapport à cet enjeu fondamental. On ne peut pas, d’un côté, dire que ce n’est pas un objet de négociation et, de l’autre, affirmer qu’on ne peut pas faire la grève sur cette question !
L’une des avenues pour mobiliser rapidement les syndiqué.es autour de la question climatique serait de profiter des négociations du secteur public pour positionner cet enjeu crucial comme un élément prioritaire, celui à partir duquel il faudrait, idéalement, considérer tous les autres.
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