Antisyndicalisme et gouvernance néolibérale dans les universités

Menacé par des injonctions, des mises en demeure et plusieurs autres formes d’intimidation antisyndicales, le droit de grève dans les universités, comme ailleurs, est de plus en plus bafoué. Contraintes par des compressions budgétaires qu’elles exécutent avec zèle – et encouragées par des gouvernements abusant d’injonctions, de lois spéciales ou de décrets des conditions de travail – les administrations universitaires n’hésitent plus à faire intervenir les policiers ou les juges pour régler des conflits de travail, au mépris du droit d’association, comprenant la liberté de négocier collectivement et de faire la grève.

Judiciarisation des conflits de travail et criminalisation de la dissidence

En février dernier, après une demi-journée de grève très réussie, l’Université Laval a obtenu une injonction limitant à 190 le nombre de manifestantes et manifestants, et ce, en les confinant à une partie d’un stationnement, pour empêcher les 1900 membres du Syndicat des employées et des employés de l’Université Laval (SEUL) de tenir des lignes de piquetage.

Pendant ce temps, l’Université de Sherbrooke menaçait de poursuites judiciaires son Syndicat des professeures et professeurs (SPPUS) en grève, l’accusant d’avoir violé le Code du travail lorsque deux de ses membres se sont présentés à une assemblée étudiante pour les informer du conflit. Poursuivant dans cette même interprétation étroite et abusive du Code du travail, l’administration de l’Université de Sherbrooke a également brimé le droit de parole de la professeure Geneviève Paquette, en lui interdisant de participer aux Journées de réflexion de la ministre Hélène David sur les violences à caractère sexuel¹.

En décembre dernier, l’Université de Montréal mettait en lock-out les professeures-cliniciennes et professeurs-cliniciens de sa Faculté de médecine vétérinaire. Après seulement 9 jours de grève intermittente (et le vote de 18 jours supplémentaires après le rejet à 97% de l’offre globale et finale de l’Université), l’administration jugeait intolérable cette «escalade des moyens de pression [et] l’imprévisibilité de ses actions». Cette intransigeance devant l’exercice de la libre négociation des conditions de travail fait écho aux tentatives répétées du recteur Guy Breton pour réformer la gouvernance de son université afin de concentrer le pouvoir décisionnel entre les mains de la direction².

Cette judiciarisation des conflits de travail se vit également à l’UQAM où l’on peut même parler d’une criminalisation de la dissidence et d’un climat «sécuritariste» marqué par la prolifération de caméras de surveillance et le recours à des gardiens de sécurité contre sa population étudiante (au coût de 50M$ sur 7 ans). L’apogée de cet autoritarisme a été atteinte au printemps 2015, lorsque l’administration du recteur Robert Proulx a appliqué à la lettre les recommandations de l’ancien ministre de l’Éducation, François Blais, «d’expulser deux ou trois étudiants par jour», en congédiant neuf étudiantes et étudiants militants sous prétexte de «vandalisme et [d’]actes illégaux». À ces expulsions politiques, s’ajoute l’odieux d’avoir enfreint le principe de l’université sanctuaire, en faisant intervenir l’escouade anti-émeute pour empêcher la tenue d’un simple sit-in de 200 personnes…

Cet exemple ne semble toucher que des étudiantes et des étudiants ; pourtant, c’est la communauté universitaire au complet qui est visée. En effet, le mouvement Printemps 2015, dans le cadre duquel les étudiantes et étudiants menaient leur grève, dénonçait l’austérité libérale dans son ensemble. La criminalisation de la dissidence exercée par l’UQAM visait donc à éviter une généralisation du conflit semblable à celle du printemps 2012³. Dans ce contexte, le recours aux injonctions contre la grève et à la répression des personnes dissidentes venait altérer les rapports de force entre l’administration et les syndicats des professeures et professeurs, des étudiantes et étudiants-employé-es ainsi que des chargées et chargés de cours avec lesquels elle devait négocier des conventions collectives.

Contrer l’autoritarisme

L’autoritarisme et l’antisyndicalisme affichés par l’ensemble des universités du Québec relèvent de l’adoption d’un modèle de gestion calqué sur les entreprises privées. Si cette gouvernance néolibérale a pu être implantée de manière verticale dans d’autres services publics, comme la santé où les relations hiérarchiques sont plus marquées, elle entre en contradiction flagrante avec l’idéal de collégialité devant guider la gouvernance des universités. Pourtant, en imposant depuis les années 1990 des contraintes poussant les administrations universitaires à chercher des moyens pour «maximiser et diversifier leurs revenus» plutôt que de se soucier de l’enseignement, la recherche et la création, les gouvernements, à la fois libéraux et péquistes, sont parvenus à altérer radicalement cet idéal démocratique.

Face à ce dévoiement des universités, les syndicats de personnel enseignant autant que des étudiantes et étudiants, et du personnel de soutien ont été aux premières lignes de la défense d’une éducation publique, accessible et de qualité. La meilleure illustration de cette résistance intersyndicale est la contestation du renouvellement du mandat de Martin Gauthier, recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Une coalition historique de tout le milieu universitaire a eu raison du recteur, dont on dénonçait les compressions budgétaires et une restructuration visant une meilleure «rentabilité».

Puisque l’ensemble des universités québécoises fait porter sur ses salariées et salariés le poids des réformes austéritaires, ne serait-il donc pas opportun de s’organiser de manière intersyndicale au niveau local et provincial pour faire front contre la dérive des universités et de l’enseignement supérieur au Québec? On peut citer ici les diverses actions de la Table des partenaires universitaires (TPU)4 qui vont exactement dans ce sens.

Les États généraux de l’enseignement supérieur (ÉGES), qui se tiendront en mai prochain, seront certainement l’occasion de renforcer un tel front commun. Soyons-y!

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca

  1. Alors que la professeure Paquette, spécialiste de ces questions et co-chercheure de l’enquête ESSIMU sur les Violences sexuelles en milieu universitaire, était invitée par le ministère de l’Éducation, lui-même.
  2. Comme le rappelait la FNEEQ en réagissant à ce lock-out intimidateur, «Les conventions collectives des divers corps enseignants universitaires n’encadrent pas seulement les conditions de travail, elles permettent aussi d’encadrer la liberté académique, la reconnaissance institutionnelle et une intégration réelle et entière au sein des diverses instances de la vie universitaire». En s’attaquant à la libre négociation des conditions de travail, c’est l’ensemble de la gouvernance collégiale des universités qui est visée.
  3. Moment historique à partir duquel le recours aux injonctions est devenu un mécanisme «normal» de gestion des grèves avec près de 50 injonctions ou ordonnances de sauvegarde émises par les tribunaux visant à empêcher l’exercice d’un droit de grève étudiante pourtant reconnu par tous les gouvernements québécois depuis les premières grèves nationales à la fin des années 1950.
  4. Notamment Le manifeste de l’université québécoise: http://fneeq.qc.ca/wp-content/uploads/fr/2010-11-25-Manifeste-long-FINAL-1.pdf et les diverses actions «Université en santé» sur les campus : http://pauseuniversiteensante.com/