Le Canada se lance tête baissée dans les accords de libre-échange. Il vient de signer deux méga-traités, l’un avec l’Union européenne et l’autre avec onze pays de la zone du Pacifique – le Partenariat transpacifique. Il négocie aussi en secret avec cinquante pays un nouvel accord qui porte uniquement sur le commerce des services, et qui touche donc, sans détour, l’éducation. Mais qu’en est-il justement, de l’éducation, dans ces accords volumineux dont on parle peu?
Libre-échange et éducation
Les nouvelles voies de la marchandisation
Ces accords appartiennent à une nouvelle génération: ils touchent davantage de secteurs, sont négociés dans un secret toujours plus grand et visent une libéralisation toujours plus large de l’économie, soumise aux intérêts des très grandes entreprises. Ils se conçoivent selon un processus très peu démocratique, alors que seuls les grands lobbys sont consultés pendant les négociations et que leur ratification, dans un contexte de gouvernement majoritaire, peut se faire par un processus qui évacue tout véritable débat social.
Les gouvernements canadiens qui se sont succédé ont toujours prétendu qu’ils protégeaient l’éducation publique (mais pas l’éducation privée). L’école publique profiterait d’une exclusion reconduite dans les différents accords. Mais cette exclusion semble un bien fragile rempart contre la marchandisation. En effet, ce qui relève du pouvoir gouvernemental se définit comme «tout service qui n’est fourni ni sur une base commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs prestataires de services». Cependant, puisqu’il existe un important secteur privé en éducation en concurrence avec le secteur public, et que la nature de ce qui est public et privé n’est pas toujours facile à déterminer, on constate alors que l’exclusion souhaitée par le Canada est en réalité très faible. Les cours universitaires sont, par exemple, fournis sur une base commerciale, à cause des droits de scolarité.
Alors, si le Québec souhaitait empêcher, par exemple, une chaîne d’universités privées de s’établir sur son territoire, il pourrait en subir les conséquences. Les accords de libre-échange négociés par le Canada comprennent un organe de règlement des différends qui permet à une entreprise de poursuivre un gouvernement si elle estime que ce dernier la prive de profits. Cette chaîne d’universités privées pourrait donc recourir à un lobbyiste afin de menacer le gouvernement d’une poursuite, puis se plaindre au tribunal d’arbitrage privé prévu dans les accords, si elle n’obtient pas satisfaction.
Des conséquences multiples sur l’éducation
Les accords dont il est question ici ont été négociés selon le principe de la liste négative. Dans les faits, cela veut dire que tout ce qui n’a pas été retiré nommément de l’accord est inclus, de même que les nouveaux secteurs qui apparaîtront après la conclusion de l’accord. Les oublis peuvent donc avoir d’importantes conséquences. Et comme l’éducation est en constante évolution et que se développent inévitablement de nouveaux services, on peut se demander comment ces derniers pourront rester sous le contrôle gouvernemental.
Si les accords de libre-échange visent davantage de libéralisation, ils peuvent aussi imposer de nouvelles contraintes, si cela avantage les grandes entreprises. Ainsi, le droit de propriété intellectuelle est systématiquement renforcé, ce qui rend les contenus culturels et scientifiques moins disponibles. Par exemple, dans le Partenariat transpacifique (PTP), une œuvre doit attendre 70 ans après la mort d’un auteur, plutôt que 50 ans actuellement, avant d’entrer dans le domaine public, ce qui crée à la fois des coûts élevés et des problèmes d’accessibilité.
L’accord entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG) a quant à lui largement ouvert les marchés publics des provinces et des municipalités aux entreprises européennes. Si une commission scolaire ou une université lance un appel d’offres, elle devra alors l’ouvrir à la concurrence internationale et choisir l’entreprise qui offre le meilleur prix (c’est-à-dire le «plus bas soumissionnaire»). Pour contrer toute forme de «discrimination», les gouvernements ne peuvent pas accorder une préférence aux fournisseurs locaux. Sans doute faudra-t-il s’attendre à avoir plus d’entreprises européennes dans nos établissements d’enseignement, sachant à quel point elles sont efficaces pour bien répondre aux exigences des appels d’offres.
Les accords commerciaux négociés par le Canada sont conçus, en outre, pour aller dans une seule direction, celle de la libéralisation de l’économie. Ainsi, ce qu’on nomme l’«effet cliquet» rend presque impossible — ou exagérément coûteuse par l’imposition d’amendes — toute reprise publique d’un service privatisé. Il devient aussi très difficile de créer de nouveaux services publics.
Par conséquent, l’éducation sera grandement affectée par les accords commerciaux signés par le Canada. L’éducation a été négociée par des fonctionnaires du gouvernement fédéral, même si elle relève de la juridiction des provinces. Le Québec a pu participer aux négociations de l’AÉCG, mais sans véritable droit de parole. Pour ce qui est du PTP et de l’Accord sur le commerce des services (ACS), il semble que la participation du Québec ait été encore plus limitée. Quant au milieu de l’éducation dans son ensemble, il a été exclu d’emblée des négociations. Sous le prétexte de décisions commerciales qui seraient hypothétiquement bonnes pour l’ensemble du pays, une poignée de négociateurs technocrates, agissant derrière des portes closes, décident du sort de secteurs qu’ils connaissent somme toute très mal, tels que l’éducation.
Une résistance nécessaire
Il serait donc nécessaire que le milieu de l’éducation, et le mouvement syndical de façon plus générale, se mobilisent davantage contre les accords de libre-échange. Si deux importants accords sont signés (l’AÉCG et le PTP), ils n’ont pas encore été ratifiés. Quant à l’ACS, il est en cours de négociations. Il est encore possible de bloquer ces ententes!
Jusqu’à maintenant, l’attention médiatique a surtout porté sur l’agriculture et plus spécifiquement, sur la gestion de l’offre. Mais les conséquences du libre-échange sont beaucoup plus globales et demandent une résistance mieux organisée et généralisée. En Europe, les réactions contre un accord entre les États-Unis et l’Union européenne ont été tellement vives qu’elles ont réussi à paralyser pour le moment les négociations. Une pétition contre cet accord a rassemblé plus de 3 millions de signatures. À Berlin, en octobre dernier, 250 000 personnes ont manifesté contre le libre-échange, selon les organisateurs de l’évènement.
Il faut donc souhaiter qu’au Québec, on abandonne notre fatalisme et notre indifférence devant les accords de libre-échange. Les enjeux qu’ils soulèvent, non seulement en éducation mais également sur le plan de la démocratie et des conditions de vie de l’ensemble de la population, sont trop importants pour qu’on les laisse aux grandes entreprises et à leurs lobbyistes.
Le comité école et société
On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca