Après de multiples tentatives de rĂ©formes, une nouvelle loi sur le droit d’auteur (C-11) sera bientĂ´t adoptĂ©e par le gouvernement fĂ©dĂ©ral. Au QuĂ©bec, on a entendu les nombreux cris du cĹ“ur des artistes, des Ă©crivains et des Ă©diteurs qui craignent un recul du droit d’auteur et une baisse des redevances versĂ©es aux crĂ©ateurs. Bien que ce projet de loi contienne plusieurs nouveautĂ©s visant l’Ă©ducation, le milieu de l’Ă©ducation s’est encore très peu exprimĂ© jusqu’Ă maintenant. Comme enseignantes et enseignants, Ă quelles transformations devons-nous nous attendre?
RĂ©forme de la loi sur le droit d’auteur
Le milieu scolaire s’apprĂŞte-t-il Ă exploiter les crĂ©ateurs?
Une loi désuète, une réforme nécessaire
MalgrĂ© la controverse entourant ce projet de loi, personne ne remet en question la pertinence de rĂ©viser la loi sur le droit d’auteur. La dernière version a Ă©tĂ© adoptĂ©e en 1997, bien avant l’utilisation gĂ©nĂ©ralisĂ©e d’Internet et l’arrivĂ©e sur le marchĂ© des lecteurs numĂ©riques, tablettes et tĂ©lĂ©phones intelligents. Au cours de la dernière dĂ©cennie, le paysage lĂ©gislatif s’est aussi grandement transformĂ©. Un jugement important, rendu en 2004 par la Cour suprĂŞme, a reconnu un nouveau «droit des utilisateurs» et ensuite, le Canada a signĂ© diffĂ©rents traitĂ©s internationaux – dont les traitĂ©s internet de l’Organisation mondiale de la propriĂ©tĂ© intellectuelle (OMPI) en 2002 et le controversĂ© Accord commercial relatif Ă la contrefaçon (ACRC) en 2011 – qui, tous deux, n’ont pas encore Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s dans la lĂ©gislation canadienneÂą. Avec son projet de loi, le gouvernement conservateur prĂ©tend rendre compatible le droit d’auteur avec les traitĂ©s internationaux, en plus de le faire entrer dans l’ère numĂ©rique. Du mĂŞme souffle, il propose d’autoriser plusieurs nouveaux usages, particulièrement en Ă©ducation.
Un traitement particulier pour l’Ă©ducation
Le premier changement majeur apportĂ© au droit d’auteur est l’ajout de l’Ă©ducation Ă la liste des exceptions. Actuellement, la loi permet Ă un utilisateur de faire usage d’une Ĺ“uvre sans obtenir d’autorisation, et ce pour cinq fins prĂ©vues, qu’on qualifie d’exceptions: la recherche, l’Ă©tude privĂ©e, la critique, le compte-rendu et la communication de nouvelles. Ainsi, la nouvelle loi rendrait possible l’utilisation d’Ĺ“uvres protĂ©gĂ©es Ă des fins Ă©ducatives, sans obtenir de permission et sans verser de redevances. Selon l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC), cette modification est devenue nĂ©cessaire au sein de l’universitĂ© moderne oĂą «le contenu utilisĂ© en recherche ou en Ă©tude privĂ©e se retrouve le lendemain projetĂ©, reprĂ©sentĂ©, ou autrement communiquĂ© aux fins de l’enseignement»². De nouvelles dispositions simplifieraient l’application de la loi pour tous ces usages.
Du cĂ´tĂ© du Consortium du droit d’auteur du Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMEC), l’ajout de l’Ă©ducation Ă la liste des exceptions ne signifie pas que les enseignants pourront «copier tout ce qu’ils veulent sans payer de redevances»³. Pour reproduire une Ĺ“uvre et la distribuer Ă ses Ă©lèves, l’utilisation doit ĂŞtre « Ă©quitable » selon les six facteurs reconnus par la Cour suprĂŞme. Ă€ titre d’exemple, la reproduction d’un manuel complet ne serait pas une utilisation Ă©quitable.
Les auteurs et les sociĂ©tĂ©s de gestion de redevances (nommĂ©es ci-dessous) estiment, pour leur part, que l’ajout de l’Ă©ducation Ă la liste des exceptions constitue une nĂ©gation du droit d’auteur et craignent que ce changement n’ouvre la porte Ă l’utilisation des Ĺ“uvres sans payer de redevances. Selon l’organisme Access Copyright, Ă©quivalent canadien de Copibec, le gouvernement aurait carrĂ©ment choisi de retirer certains usages nĂ©gociĂ©s dans les ententes de gestion collective pour les remplacer par des exceptions, sans compensation pour les auteurs et les Ă©diteurs4. Au QuĂ©bec, l’Association nationale des Ă©diteurs de livres (ANEL) estime que les 41 millions de dollars que les sociĂ©tĂ©s de gestion redistribuent chaque annĂ©e aux Ă©crivains, dont 11 millions au QuĂ©bec, sont menacĂ©s5. Si les craintes des Ă©diteurs s’avĂ©raient fondĂ©es, la baisse des redevances pourrait nuire aux auteurs et Ă l’industrie de l’Ă©dition, rĂ©duisant la variĂ©tĂ© des Ĺ“uvres disponibles.
Enseignement et nouvelles technologies
Le projet de loi C-11 contient de nouvelles dispositions visant Ă adapter le droit d’auteur aux rĂ©alitĂ©s de l’enseignement Ă l’ère numĂ©rique. Par exemple, il deviendrait parfaitement lĂ©gal de numĂ©riser ou de projeter en classe un document protĂ©gĂ© sous le droit d’auteur, comme une Ĺ“uvre cinĂ©matographique, ou encore de le rendre disponible aux Ă©tudiants sur l’intranet de l’Ă©tablissement. Concernant l’utilisation d’Internet Ă des fins Ă©ducatives, les enseignants pourraient dĂ©sormais diffuser, reproduire et utiliser des Ĺ“uvres disponibles sur la toile sans payer de redevances.
Cet assouplissement du droit d’auteur Ă des fins Ă©ducatives a cependant plusieurs limites. Si la loi autorisait les enseignants Ă numĂ©riser des documents protĂ©gĂ©s par le droit d’auteur, ce geste deviendrait illĂ©gal dès qu’un document serait rendu disponible sur le marchĂ© commercial. Cependant, connaissant les pratiques prĂ©valant sur Internet aujourd’hui, on peut se demander comment on pourra concrètement empĂŞcher ce passage. Par ailleurs, le droit de diffuser un contenu protĂ©gĂ© sur l’intranet sera Ă©galement assorti de l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour Ă©viter la communication subsĂ©quente de l’Ĺ“uvre au public. Certaines universitĂ©s prĂ©tendent que le matĂ©riel pĂ©dagogique Ă©laborĂ© par un enseignant et dĂ©posĂ© sur leur plateforme intranet leur appartient, sans reconnaissance du droit d’auteur de ces documents. Une rĂ©cente dĂ©cision arbitrale a dĂ©niĂ© cette prĂ©tention et reconnu la propriĂ©tĂ© intellectuelle de l’enseignant.
De plus, l’Ă©tudiant ayant eu accès Ă un contenu numĂ©rique, dans le cadre d’un cours, devra dĂ©truire les fichiers ou les notes de cours dans les 30 jours suivant la remise de ses notes finales. La FĂ©dĂ©ration universitaire du QuĂ©bec (FEUQ) s’oppose Ă cette obligation, car elle ne correspond pas Ă l’usage habituel qu’un Ă©tudiant fait de ses notes de cours durant ses Ă©tudes. Celui-ci les conserve souvent pour s’y rĂ©fĂ©rer ultĂ©rieurement.
Certes, par son projet de loi, le gouvernement fĂ©dĂ©ral Ă©largit les utilisations permises dans le secteur de l’Ă©ducation et adapte la lĂ©gislation aux nouvelles rĂ©alitĂ©s de l’ère numĂ©rique. Le milieu de l’Ă©ducation pourrait accueillir assez favorablement les changements annoncĂ©s, bien qu’il soit nĂ©cessaire de limiter l’accès Ă certains contenus autorisĂ©s par la loi. Il faudrait toutefois s’inquiĂ©ter du sort rĂ©servĂ© aux auteurs, dont plusieurs enseignantes et enseignants, qui tirent des revenus lĂ©gitimes de leurs publications, et qui perdraient ainsi une reconnaissance importante de leur contribution sociale.
Par ailleurs, le milieu de l’Ă©ducation est invitĂ© Ă partager les mĂŞmes craintes que les utilisateurs devant les dispositions qui rendraient illĂ©gal, mĂŞme Ă des fins Ă©ducatives, le contournement des verrous numĂ©riques. Restons vigilants!
Le comité école et société
On peut rejoindre le comitĂ© Ă©cole et sociĂ©tĂ© Ă l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca
- Bibliothèque du parlement, Projet de loi C-11 : Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, rĂ©sumĂ© lĂ©gislatif (octobre 2011); http://www.parl.gc.ca/About/Parliament/LegislativeSummaries/bills_ls.asp?ls=c11&Parl=41&Ses=1&source=library_prb&Language=F
- MĂ©moire sur la loi de modernisation du droit d’auteur, ABRC, 2012.
- Consortium du droit d’auteur du CMEC : Enjeux relatifs Ă l’Ă©ducation dans le projet de loi C-32.
- Trosow, Samuel. Bill C-32 and Educational Sector: Overcoming Impediments to Fair Dealing.
- Droit d’auteur – Il s’efface dans le confort et l’indiffĂ©rence, Le Devoir, 21 mars 2012.
- Fédération étudiante universitaire du Québec, Mémoire sur le projet de loi C-11, Janvier 2012.