La présidente de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), Diane De Courcy, était passablement embêtée de répondre aux questions de la journaliste Michèle Ouimet, de La Presse, qui l’interrogeait en février dernier sur l’ouverture d’une école internationale à la CSDM. Le MÉMO, Mouvement pour une école moderne et ouverte, parti de Diane De Courcy, s’est toujours opposé avec acharnement à la sélection scolaire… et voilà que, parvenu au pouvoir, il ouvre une école où n’entrera pas qui veut! Bien en peine de se justifier, madame De Courcy a invoqué la nécessité de combattre l’école privée sur son propre terrain.
La situation est connue: à Montréal en particulier, l’école publique a si mauvaise presse qu’on parle d’un véritable «exode» vers le privé. Les taux de décrochage récemment publiés sont effarants, particulièrement dans une société où savoir et formation sont en passe de devenir le passeport incontournable d’une réalisation individuelle et sociale.
Plusieurs parents ne font plus confiance à l’école publique: c’est le sauve-qui-peut. Le résultat, c’est une véritable reconfiguration de notre système scolaire. Une évolution qui, considérée sous l’angle social, pose un problème d’importance.
Un système d’éducation qui tolère, ou qui encourage par laisser-faire la ségrégation des élèves, failit dans les faits à sa responsabilité de démocratisation. Or, la migration actuelle vers un système à deux vitesses est d’autant plus inquiétante qu’elle s’opère en bonne partie sans réel débat public. Les écoles à projets, une formule populaire qui s’accompagne le plus souvent d’une sélection académique à l’entrée, y participe de manière importante, introduisant dans le système des écoles hybrides, une forme de système privé dans le public. Cette évolution ne semble pas préoccuper le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, qui n’avait en 2006 aucune donnée là-dessus!
Les écoles privées, les écoles à projets, les écoles internationales et l’école publique constituent déjà un véritable «marché» scolaire. Le drame, c’est que le renforcement de ce marché soit perçu comme une solution aux problèmes de l’école!
Les défis nouveaux
Face aux défis nouveaux qui se posent aux systèmes scolaires, l’école moderne est bien mal équipée. À l’heure où on la presse de favoriser la réussite du plus grand nombre, sa mission s’inscrit dans une société qui ne la valorise pas, et dans laquelle tout concourt à détourner les jeunes de l’école. Sans compter que ces derniers, ceux-là mêmes qui nous préoccupent lorsqu’il s’agit de taux de réussite sont aussi ceux dont le rapport à l’école est davantage problématique et qui auraient besoin d’un soutien beaucoup plus important, hélas, que celui que l’institution est en mesure de leur apporter.
Dans ce contexte sur lequel on pourrait écrire longtemps, la sélection scolaire se présente comme une porte de sortie individuelle. Les enfants qui peuvent en bénéficier, parce que présentant un potentiel académique suffisant et parce que nés dans une famille qui accepte de payer la note, peuvent être «sauvés»… au prix d’une dégradation supplémentaire du système public.
Que beaucoup de parents qui en ont les moyens choisissent l’école à projet ou l’école privée n’est pas surprenant. Et comme la demande est forte, on sélectionne. Une sélection à deux niveaux, d’ailleurs: selon le potentiel académique, mais aussi, indirectement, selon l’environnement familial. Il y a fort à parier que les familles de ces élèves qui sont prêtes à payer quelques milliers de dollars par année scolaire, se préoccupent d’éducation et vont suivre et soutenir à la maison la progression académique de leurs enfants. Le résultat est que la sélection des effectifs ne permet plus un accès généralisé à une école offrant un soutien et un encadrement serrés, pourtant nécessaires à la réussite de la majorité.
Le choix des parents d’envoyer leurs enfants à une école qui pratique la sélection est donc profondément individuel et s’intègre mal à une vision plus globale de l’éducation. Ce choix rassure les parents et leur donne l’impression que leurs enfants auront accès à un enseignement de meilleure qualité. Par contre, envoyer ses enfants à l’école publique non sélective peut sembler à la rigueur une décision courageuse, qui relève pour certains d’un choix social et d’un refus de participer à la dégradation des services de l’État, un choix pas toujours évident dans le contexte actuel. Devant ces deux avenues, on peut comprendre que de nombreux parents pensent à leurs intérêts immédiats, à ce qu’ils croient meilleur pour l’avenir de leurs enfants, contribuant ainsi à accentuer les défaillances de notre système d’éducation public. Cette logique du «chacun-pour-soi» fait en sorte que le système part à la dérive, qu’il échappe à tout contrôle politique et social.
Appeler au débat public
Les changements qu’engendre cet état de fait sont beaucoup plus profonds qu’on pourrait le croire et entravent de deux manières importantes la mission de démocratisation que nous avons, comme société, confiée à l’école.
D’abord parce que la ségrégation scolaire accentue le fossé entre les jeunes. Cela ne surprendra personne et les résultats de plusieurs recherches vont dans ce sens. Est-ce bien là ce qu’on cherche comme résultat pour un système scolaire? On peut d’ailleurs raisonnablement avancer que cette ségrégation fait au passage beaucoup plus de tort aux élèves les plus faibles qu’elle n’apporte d’avantages supplémentaires aux plus forts.
Mais il y a pire. Le clivage des effectifs scolaires trouve sa juste correspondance chez les parents des élèves qui sans nécessairement le vouloir, y participent par leur choix. Ainsi, les vives pressions sociales et politiques qui normalement devraient se faire sentir en faveur d’un système scolaire public moderne et efficace n’ont pas le poids nécessaire. Pourquoi se plaindre, pourquoi s’impliquer de manière citoyenne pour une meilleure école publique si on a trouvé, pour nos enfants, un îlot confortable?
La sélection des élèves se présente comme un cercle vicieux, la «solution» renforçant les problèmes qui l’ont rendue populaire. Pas facile de trouver les moyens de provoquer à ce sujet un débat public qui serait pourtant plus que jamais nécessaire.