Une inquiétante stagnation
Le décrochage scolaire est devenu un enjeu majeur au Québec. L’incapacité de nombreux élèves à obtenir leur diplôme force à réfléchir sur la finalité même de l’école: un système d’éducation idéal ne devrait-il pas permettre à tous les élèves d’aller au bout de leurs capacités et d’obtenir le diplôme pour lequel on les a longuement préparés? Pourquoi de nombreux élèves abandonnent-ils en cours de route? Qui faut-il blâmer: l’école elle-même, ou des circonstances plus larges, qui échapperaient au contrôle des enseignantes, des enseignants et des professionnels de l’éducation?
Le problème du décrochage scolaire devient plus vif que jamais à l’ère de la mondialisation. Le partage inéquitable de la richesse entre les pays du Sud et du Nord correspond à une économie qui s’oriente principalement vers les services, au Nord, alors que les secteurs manufacturier et industriel sont abandonnés aux pays émergents, offrant une main-d’œuvre à bon marché et peu instruite. La mondialisation met en forte concurrence tant les pays que les travailleurs de toutes les régions du monde, et entraîne les pays dans une impitoyable course à la performance. Dans la nouvelle économie du savoir qui s’installe, nous dit-on, beaucoup seront appelés, et peu seront élus. Ainsi, un taux de décrochage scolaire important aura des impacts sur la santé économique des pays ou des régions qui n’auront pas pris des mesures fermes pour le réduire.
Mais du point de vue de l’enseignante et de l’enseignant, le décrochage scolaire est un phénomène difficile à appréhender. La tâche du professeur consiste notamment à mettre en place des activités d’apprentissage pour donner à chacun de ses élèves une chance égale d’atteindre les objectifs de formation et d’obtenir un diplôme. Or il s’avère souvent que les élèves se sentent dépassés. En fait, l’intérêt des jeunes pour l’école et leur engagement dans leur formation scolaire concernent l’ensemble des citoyennes et des citoyens. C’est pourquoi ce sujet semble de plus en plus préoccuper les Québécoises et les Québécois, au point d’être devenu un enjeu électoral et d’avoir été abordé lors du débat des chefs.
Quelques constats utiles
Depuis 10 ans, le taux de décrochage n’a presque pas varié au Québec. Et ce, malgré certaines mesures mises en place, comme les «plans de réussite» imposés par le ministre de l’Éducation François Legault en 2001. Faut-il alors établir un dur constat d’échec? Ou au contraire, ces plans ont-ils créé une concertation entre les intervenants qui portera ses fruits à l’avenir? L’école peut-elle, seule, s’attaquer à ce problème ou a-t-elle besoin de l’appui du milieu familial, social, économique et politique pour y arriver? Et est-ce si important que le plus grand nombre obtienne un diplôme?
On comprend bien l’importance de la scolarisation quand on regarde les données concernant le marché de l’emploi. Alors que le nombre de personnes qui occupent un emploi sans diplôme secondaire a diminué de 41,8% entre 1990 et 2007, le nombre de celles et ceux qui sont au travail et qui ont obtenu un diplôme collégial a augmenté de 71,2% et celui des personnes qui ont obtenu un diplôme universitaire a augmenté de 109,6%. Le marché de l’emploi s’ouvre donc aux détenteurs de diplômes postsecondaires et se referme pour celles et ceux qui n’ont pas de diplôme ou qui ont seulement un DES.
Cela amène un changement important au collégial et au premier cycle universitaire. Alors que l’enseignement à ces ordres s’adressait à une élite il y a quarante ans, il touche maintenant l’ensemble de la population. L’échec scolaire, qui n’avait pas de si graves conséquences, en a maintenant beaucoup plus, car il peut exclure du marché de l’emploi ou confiner à des emplois mal rémunérés. Les ordres d’enseignement, du secondaire à l’université, sont confrontés à un défi de taille, celui de permettre à un grand pourcentage de la population de diplômer tout en maintenant la qualité de la formation.
Ce défi a d’abord été relevé avec succès. De 1979 à 2006, le taux de décrochage à l’âge de 19 ans est passé de 40,5% à 19,0% (en 2006, il y avait cependant une forte disparité entre les sexes alors que ce taux était de 24,1% chez les hommes contre 13,7% chez les femmes). Mais ce résultat encourageant est atténué par le fait que, depuis 1999, le taux de décrochage est demeuré constant à 19% environ. Une période de stagnation fait donc suite à des années de progrès important. Il faut donc s’interroger sur les raisons de cette stagnation.
Le Québec obtient toutefois de bons résultats lorsqu’on le compare aux pays de l’OCDE. Globalement, il réussit moins bien que le Japon, l’Allemagne, la Finlande et la France, mais mieux que le Canada et les États-Unis. Cependant, la diplomation y est différente. En effet, notre taux de diplomation est de 78% en formation générale du secondaire, soit 33% de plus que la moyenne des pays de l’OCDE, alors qu’il n’est que de 34% en formation professionnelle comparativement à une moyenne de 48% pour les pays de l’OCDE.
De nombreuses initiatives
Afin d’atteindre les cibles fixées par le MELS (taux de diplomation de 85% au secondaire avant l’âge de 20 ans, de 60% au collégial et de 30% au baccalauréat), les informations et les initiatives concernant la lutte au décrochage scolaire se multiplient au Québec depuis plusieurs années. Les cégeps et les commissions scolaires ont chacun leur propre plan de réussite, les conférences régionales des élus (CRÉ) préparent leur plan d’action pour contrer le décrochage scolaire, plusieurs groupes de recherche universitaire ont été constitués sur ce sujet. Plus récemment, on apprenait que Jacques Ménard, le président de BMO groupe financier, avait mis sur pied un «taskforce» de 15 personnes, dirigé par la firme de consultants McKinsey & Company, pour réfléchir sur la question et proposer des solutions. Un sommet sur le décrochage scolaire, organisé par ce groupe, a eu lieu les 30 et 31 octobre dernier au Mont Sainte-Anne regroupant quelque 400 personnes choisies parmi les «forces vives» du Québec.
L’Assemblée nationale avait mis sur pied une commission parlementaire sur le décrochage scolaire, mais les élections du 8 décembre ont pour effet de l’abolir. La Fédération des commissions scolaires du Québec tient des assises régionales du 15 novembre au 15 mars sur le décrochage. Tous les chefs des partis politiques québécois en campagne électorale ont promis de s’attaquer au décrochage scolaire, certains annonçant même une injection de ressources enseignantes!
Ces initiatives permettront-elles de mieux comprendre ce sujet particulièrement complexe? On ne peut parler de décrochage scolaire sans tenir compte de facteurs multiples, à la fois internes et externes à l’école. Il faut intégrer des données aussi variées que la composition des classes, l’ambiance dans les classes, la taille des groupes, les activités parascolaires, les services d’aide aux élèves, le financement des écoles, mais aussi, le milieu social des élèves, l’implication des parents, les effets de la pauvreté. Cette question mérite donc d’être traitée avec soin et il faut espérer que les groupes qui s’y pencheront ne négligeront aucun aspect du problème. Un second article sur le sujet, en janvier, nous permettra d’aborder des solutions au décrochage scolaire.