Un enjeu majeur pour l’avenir de l’enseignement supĂ©rieur

Prenant prĂ©texte de la crise de l’UQAM, la ministre de l’Éducation, madame Michelle Courchesne, a dĂ©posĂ© le 30 octobre dernier Ă  l’AssemblĂ©e nationale deux projets de loi, un premier sur la gouvernance des Ă©tablissements universitaires et un second sur la gouvernance des cĂ©geps. Largement inspirĂ©s de la loi sur la gouvernance des sociĂ©tĂ©s d’État, ces deux projets calquĂ©s l’un sur l’autre s’attaquent principalement aux conseils d’administration et pourraient, s’ils Ă©taient adoptĂ©s tels quels, bouleverser la culture des communautĂ©s universitaire et collĂ©giale, en remettant en cause notamment leur autonomie de gestion. Parmi les changements majeurs envisagĂ©s : une augmentation importante des membres dits «externes» sur les conseils d’administration – avec diminution consĂ©quente des membres de l’interne, la crĂ©ation de nouveaux comitĂ©s (Ă©thique, vĂ©rification et ressources humaines) et un nouvel accent sur l’imputabilitĂ©.

Petite histoire et présentation des faits
La «gouvernance» est apparue comme un nouveau paradigme de la gestion publique et privĂ©e autour des annĂ©es 1990, dans le courant nĂ©olibĂ©ral du contrĂ´le des dĂ©penses publiques. Cette notion remet Ă  l’ordre du jour de vieilles idĂ©es sur le management des entreprises au siècle dernier: une vision directoriale, une concentration du pouvoir de dĂ©cision, la supervision Ă©troite des exĂ©cutants, la recherche de l’efficacitĂ© axĂ©e sur les rĂ©sultats financiers et autres mesures assurant la concurrence.

Au QuĂ©bec, ces conceptions de la gestion des sociĂ©tĂ©s privĂ©es ont Ă©tĂ© remodelĂ©es et promues par l’Institut sur la gouvernance d’organismes privĂ©s et publics (IGOPP), rattachĂ©s Ă  l’École des HEC MontrĂ©al et Ă  l’École de gestion John-Molson de l’UniversitĂ© Concordia. On peut comprendre que ce ne sont pas nĂ©cessairement lĂ  des Ă©coles progressistes et on y trouve facilement les partisans d’un discours prĂ´nant la diminution du rĂ´le de l’État et des rĂ©formes de droite en matière de gestion.

En septembre 2007, l’IGOPP rendait public un rapport sur l’examen de la gouvernance universitaire, dit rapport Toulouse, et une proposition rĂ©formiste conçue par un groupe de travail composĂ© des recteurs et des administrateurs de conseils d’administration des Ă©tablissements universitaires. Cette proposition Ă©nonce douze principes de bonne gouvernance pour les universitĂ©s, inspirĂ©s de la loi sur les sociĂ©tĂ©s d’État de 2006. Le groupe de travail, prĂ©sidĂ© par Jean-Marie Toulouse qui fut lui-mĂŞme directeur des HEC MontrĂ©al pendant presque quinze ans, invite les Ă©tablissements universitaires Ă  rĂ©viser leurs pratiques de gouvernance Ă  la lumière des principes qu’il prĂ©conise. En dĂ©cembre 2007, faisant suite Ă  la publication du rapport, la ministre de l’Éducation demandait aux administrations universitaires de lui donner avis sur le rapport de l’IGOPP, ce qui fut fait en fĂ©vrier 2008. Dans la tourmente de la crise de l’UQAM, qui servit sans doute de toile de fond aux intentions de la ministre, est venue l’annonce d’une loi rĂ©visant la gouvernance des conseils d’administration. VoilĂ  pour les faits.

Une mobilisation forte et déterminée
Devant tant de menaces et d’apprĂ©hensions et première dans la ligne de mire du ministère, la communautĂ© universitaire s’est mobilisĂ©e, prenant position face au rapport Toulouse et dĂ©nonçant le fait que la ministre de l’Éducation ait nĂ©gligĂ© de consulter les diverses composantes de cette communautĂ© quant Ă  ses intentions. La Table des partenaires universitaire qui regroupe les syndicats (dont la FNEEQ) et les associations Ă©tudiantes du monde universitaire, a produit une dĂ©claration commune s’insurgeant contre la vision rĂ©ductrice du rapport de l’IGOPP «qui ne respecte pas ni l’histoire, la culture, les traditions et les valeurs universitaires, ni la diversitĂ© des Ă©tablissements du rĂ©seau quĂ©bĂ©cois.» La FNEEQ a pour sa part formulĂ© une critique dĂ©taillĂ©e du rapport de l’IGOPP, intitulĂ©e Pour une gouvernance transparente axĂ©e sur la collĂ©gialitĂ©, qui a Ă©tĂ© transmise Ă  la ministre.

Un impact majeur dans les Ă©tablissements d’enseignement supĂ©rieur
L’UniversitĂ© fonctionne, dans sa gestion, sur le principe de la collĂ©gialitĂ© et sur la base de consensus qui rĂ©sultent de l’interaction entre les groupes qui composent la communautĂ© universitaire. Or, c’est justement Ă  cette collĂ©gialitĂ© que s’attaquent l’IGOPP et le projet de loi de la ministre. Ils visent la marginalisation de la communautĂ© universitaire dans les processus de prise de dĂ©cision et menacent ainsi la culture universitaire, en concentrant les pouvoirs dans des conseils d’administration autoritaires et fermĂ©s, en rĂ©duisant les obligations de transparence gestionnaire envers la communautĂ© universitaire tout en augmentant les contrĂ´les gouvernementaux. Le projet de loi veut modifier l’Ă©quilibre de reprĂ©sentation sur les CA des membres issus de l’interne et y assurer une large prĂ©pondĂ©rance de membres extĂ©rieurs Ă  la communautĂ©, prĂ©textant une vĂ©ritable indĂ©pendance de ces derniers. Ce serait nuire profondĂ©ment Ă  l’institution universitaire que d’instaurer une gouvernance qui minimise Ă  ce point la participation de toutes les composantes de la communautĂ© aux orientations et Ă  la rĂ©alisation des missions de l’UniversitĂ©. C’est lĂ  un dĂ©ni de lĂ©gitimitĂ© qui contribue Ă  instaurer une culture du secret dans les CA, lesquels pratiqueront la cooptation auprès du monde des affaires pour assurer une gestion soi-disant plus «efficiente» des Ă©tablissements.

Dans les cĂ©geps, l’approche gouvernementale est la mĂŞme. Exit du CA les parents, la direction des Ă©tudes et les anciens Ă©tudiants: on veut imposer un CA comportant 11 membres externes, ce qui n’est pas une bagatelle quand on connaĂ®t les difficultĂ©s qu’ont ces personnes Ă  bien saisir les enjeux, la culture et la dynamique propres Ă  un cĂ©gep. Comment y arriver en quatre ou cinq rĂ©unions administratives par annĂ©e, sans compter la pile indigeste de documents Ă  lire, Ă  comprendre et Ă  situer dans leur contexte?

La FNEEQ prĂ©sentera certainement un mĂ©moire Ă  la Commission parlementaire de l’Éducation qui devrait siĂ©ger lĂ -dessus le printemps prochain. Ce mĂ©moire, dont les prĂ©misses seront discutĂ©es au prochain Conseil fĂ©dĂ©ral, s’opposera aux modifications des conseils d’administration, critiquera la prĂ©tendue indĂ©pendance des membres recrutĂ©s Ă  l’extĂ©rieur de la communautĂ© collĂ©giale ou universitaire et dĂ©noncera la culture du secret et la concentration des pouvoirs.

La FNEEQ prĂ©conise l’extension et le renforcement de la collĂ©gialitĂ© dans toutes les instances de dĂ©cision des Ă©tablissements d’enseignement supĂ©rieur. Le gouvernement profite du sous-financement des universitĂ©s pour resserrer les mesures de contrĂ´le et rĂ©duire la participation des acteurs internes Ă  l’exercice des pouvoirs au sein des Ă©tablissements. Une bonne gouvernance, Ă  notre avis, repose Ă  la fois sur la participation dĂ©mocratique et l’expertise des membres de la communautĂ© dont l’intĂ©rĂŞt est de parvenir Ă  des consensus et Ă  des ajustements mutuels, fondements de la lĂ©gitimitĂ© d’une saine gouvernance. VoilĂ  qui nous semble plus prometteur que les conceptions vĂ©hiculĂ©es par l’IGOPP.