Une grande première pourrait prendre forme dans le monde québécois de l’éducation. Les organisations syndicales, ayant des membres qui y oeuvrent, se sont en effet rencontrées pour définir les conditions nécessaires à l’élaboration, puis à la défense d’un projet pour l’avenir du système d’éducation au Québec, avec l’intention d’interpeller le gouvernement sur cette base. Objectif : permettre aux intervenantes et aux intervenants de première ligne de s’exprimer sur les actions prioritaires à mener, pour que l’éducation redevienne une priorité sociale. Et les syndicats de la FNEEQ sont, bien sûr, sollicités afin de mener cette vaste réflexion sur l’avenir de l’éducation québécoise.
Le projet, ambitieux et nécessaire, est né de quelques constats partagés qui traversent les réflexions menées sur l’école. On a abondamment usé, ces dernières années, de l’expression «société du savoir», parfois à des fins douteuses. Il faut toutefois constater qu’on ne peut échapper à cette mutation. Cette «société du savoir», qui se met lentement mais inexorablement en place, pose un défi de taille à tous les systèmes éducatifs. Elle n’est pas seulement synonyme de transformations importantes du marché du travail; elle entraîne aussi de profonds changements sociaux qui posent dans un tout autre contexte la question de la mission de l’école et la place de cette institution dans la société.
La gamme des emplois disponibles pour les jeunes qui quittent tôt le système scolaire s’est considérablement rétrécie en cinquante ans et cette tendance ne peut que s’accentuer. Nous sommes à l’ère des emplois technologiques, une large proportion de ceux qui sont créés demandant une formation poussée. Parallèlement, la concentration des médias et la croissance exponentielle des modes d’information rendent de plus en plus complexe l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière. Peut-on, dans un tel contexte, accepter les taux de décrochage et d’échecs que l’on observe depuis une dizaine d’années? Notre société peut-elle se permettre qu’autant de jeunes échappent au système scolaire?
De telles questions sont centrales et d’autant plus pressantes qu’elles se posent sur une toile de fond particulière. L’éducation comme service public est bradée dans de nombreux pays, sous les pressions d’une logique marchande qui se manifeste de plusieurs façons. Ici, au Québec, nous observons des inégalités toujours plus grandes entre les élèves en matière de performance scolaire. Cette tendance relève, pour une bonne part, de politiques éducatives gouvernementales qui encouragent la concurrence entre les établissements scolaires. Par exemple, le financement public des écoles privées stimule la mise en place de projets pédagogiques sélectifs dans les écoles publiques (ce qui a comme effet une forme de stratification des effectifs) et favorise l’intégration massive, en classe ordinaire, des élèves handicapés, en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage et ce, sans véritable soutien.
Cette concurrence entre les établissements est encouragée par les palmarès qui, malgré des controverses parfois vigoureuses, continuent de faire périodiquement les manchettes. Pendant ce temps, l’enseignement post-secondaire supérieur souffre d’un sous financement chronique, ouvrant une brèche dans la gratuité scolaire. Les cégeps sont considérés, par certains, comme un obstacle à la standardisation des échanges – éventuellement commerciaux – avec le système éducatif nord-américain.
Un projet audacieux
Est-il possible, dans ce contexte, de rassembler les forces vives de l’éducation derrière un «programme» pour l’éducation québécoise qui puisse rallier et répondre à des impératifs de pertinence, de faisabilité et d’un certain progressisme? C’est le pari que les organisations syndicales ont résolu de faire, en déclenchant la démarche de réflexion nécessaire dans leurs syndicats ou dans leurs instances. Elles le feront en acceptant de situer celle-ci dans un processus de recherche de consensus et en mettant en place les moyens pour y parvenir, dans le cadre d’une démarche en trois temps.
La première phase est celle d’une réflexion menée dans les rangs de chaque organisation. Pour la FNEEQ, cette étape se traduira par un appel aux syndicats, dans chaque regroupement, pour qu’ils réagissent à un projet de contribution préparé par le comité école et société et examiné par le Bureau fédéral. Ce texte déclencheur sera inspiré par le «patrimoine» de nos positions, mais cherchera aussi à présenter les grands enjeux actuels (réussite scolaire, écoles à projets, écoles privées, réforme, gouvernance des établissements…) en énonçant des propositions concrètes susceptibles de répondre au double objectif de rallier, mais aussi de suggérer de véritables avancées pour notre système d’éducation. Les réactions à ces propositions seront ensuite colligées par le comité école et société pour constituer la contribution de la FNEEQ à la réflexion de la CSN, partie prenante au projet. Par la suite, une journée d’échanges et de mise en commun des travaux de chaque organisation est envisagée pour le mois de juin.
Cet exercice peut-il conduire à autre chose qu’à la présentation d’un chapelet des positions de chaque organisation, ce qui risquerait davantage de diviser que de rallier? Une grande partie du pari est là et c’est pourquoi tous sont conviés à avancer des propositions rassembleuses, centrées sur l’essentiel, plutôt que de chercher à imposer les détails de ses propres analyses. Sur la réforme, par exemple, qu’est-ce qui doit primer? Doit-on, si la perspective d’un message commun s’impose, mettre l’accent sur la division entre les «pro-moratoires» et les «pro-réformons-la-réforme»? Y aurait-il moyen de cerner un objectif de changement qui puisse rallier, convaincre le grand public par la convergence de certains points de vue pour exercer ainsi, auprès du gouvernement, une pression importante? Nous soumettons cette manière d’aborder les nombreux enjeux qui façonnent l’évolution de l’éducation.
Contrairement aux états généraux sur l’éducation tenus en 1995, la réflexion sur l’avenir de notre système d’éducation ne se fera pas, dans nos rangs, à l’enseigne d’un coût zéro. Aucune des organisations impliquées ne pense qu’il est possible de relever les nouveaux défis sans insuffler suffisamment d’oxygène au budget de l’éducation, ce qui a deux conséquences. D’abord, celle de placer le cadre de la réflexion : il ne s’agit pas de se demander comment faire plus avec moins, mais de déterminer ce qu’on devrait faire en priorité si on disposait – au primaire, au secondaire, dans les cégeps et les universités – d’un financement mieux adapté aux besoins futurs. Ensuite, ce parti pris comporte l’obligation d’indiquer les avenues suggérées pour que le financement de l’éducation soit considérablement augmenté.
Un rassemblement en janvier 2009
Une fois mises en commun toutes les contributions de chaque organisation, une phase de synthèse, dont les paramètres restent à définir, permettra d’élaborer et d’écrire un «programme» pour l’avenir de l’éducation québécoise.
À l’automne, des travaux de conciliation seront sans doute nécessaires, au plan politique; l’objectif étant que chaque organisation puisse faire valoir les ajustements qu’elle estime nécessaires pour être en mesure de souscrire aux éléments retenus, lors d’un grand rassemblement intersyndical.
Si le projet chemine à travers ces étapes, il s’agira d’une grande manifestation «à l’intérieur», au cours de laquelle sera lancé officiellement ce programme pour l’éducation québécoise, qui aura sans doute une allure de manifeste, et dont on peut espérer qu’il pourra ouvrir un débat social d’une certaine envergure. Dans la mesure où l’ensemble des organisations pourront s’en réclamer, il s’agira d’une véritable première dans le monde québécois de l’éducation.