Un débat qui se poursuit
Novembre 2007 – La réforme à l’enseignement au secondaire, qui entre dans sa troisième année, soulève depuis son implantation d’importantes controverses. La ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, semble elle-même l’aborder avec réserves et se dit particulièrement préoccupée par ses effets sur l’apprentissage du français. Déjà, la volonté de l’Assemblée nationale d’imposer des bulletins chiffrés remet en cause le fondement même de la réforme, l’approche par compétence — des compétences qui ne s’évaluent pas toujours facilement par des chiffres.
Basée sur les théories socioconstructivistes, selon lesquelles l’individu construit son savoir par l’expérience, cette réforme donne une place centrale au savoir-faire. Les élèves doivent désormais développer des «compétences», ce qui transforme l’approche pédagogique, en favorisant entre autres le développement de «projets» qui permettent d’appliquer les compétences. Selon ses défenseurs, cette approche correspond à un besoin de moderniser et d’adapter l’enseignement à la culture contemporaine. Elle devrait en principe solliciter davantage les enseignants dans le développement des approches pédagogiques. Elle permettrait aussi à l’élève d’apprendre dans un contexte moins rigide, plus favorable à son épanouissement.
Les opposants à la réforme dénoncent tant ses présupposés théoriques que ses résultats peu probants. L’une des principales objections à la réforme concerne la place accordée à l’acquisition des connaissances. L’accent mis sur le savoir-faire néglige cette fonction fondamentale de l’école qui consiste à transmettre des connaissances, sans lesquelles on ne peut établir de solides apprentissages.
La réforme et ses fondements constructivistes entraîneraient aussi les apprentissages sur la voie du relativisme. Comme l’avance Normand Baillargeon, selon l’optique de la réforme, «connaître, c’est construire des relations entre lesquelles il ne saurait y avoir de hiérarchies, ce qui mène directement à la confusion entre savoir et opinion». Les sciences et les savoirs se développent pourtant sur des concepts de base essentiels, des dénominateurs reconnus, dont la relativisation pourrait mener à de dangereux reculs.
De la grogne sur le terrain
La réforme de l’éducation au secondaire soulève aussi de nombreuses réserves sur le terrain. Les enseignants et les enseignantes membres de syndicats d’écoles secondaires privées à la FNEEQ se sont exprimés à maintes reprises sur le sujet; leurs commentaires rejoignent très souvent ceux que l’on entend chez beaucoup de leurs collègues du réseau public.
Plusieurs enseignantes et enseignants s’inquiètent de l’écart entre les intentions de la réforme et ses résultats. Ainsi, l’approche par projet avait pour objectif de rendre l’école plus conviviale pour les élèves faibles, de les aider à intégrer plus efficacement les matières enseignées. Il s’avère cependant que ceux-ci se trouvent plutôt privés d’un cadre rigoureux pour leurs apprentissages; ils arrivent difficilement à bien réussir, alors que les élèves forts, plus généralement autonomes, obtiennent d’excellents résultats. L’écart entre les forts et les faibles se trouve donc accentué.
L’approche par compétence et les compétences transversales entendent amener les élèves à faire des liens entre leurs différents apprentissages. Or, cette pédagogie ne permet pas d’approfondir les apprentissages autant que le désireraient certains enseignantes ou enseignants, ce que craignaient effectivement les détracteurs. Les lacunes sont particulièrement flagrantes dans les matières de base, comme le soulignait la ministre Courchesne à propos de l’enseignement du français. Le manque de notions de base dans de nombreuses matières fait craindre à plusieurs la nécessité de multiplier les cours de mise à niveau, pour compenser un apprentissage qui n’a pas été fait. Ce qui aura comme conséquence d’alourdir le parcours des élèves en difficulté et de compliquer singulièrement le passage du secondaire au collégial!
Bon nombre d’enseignantes et d’enseignants ont souligné le contexte d’improvisation dans lequel la réforme a été lancée. Peu de formations valables leur ont été données. De plus, les outils pédagogiques manquent. Sans manuels appropriés, sans mode d’emploi, sans consignes ministérielles précises, sans support logistique, les enseignantes et les enseignants, déjà sceptiques pour plusieurs, restent dépourvus et mal armés pour entreprendre le virage qu’on leur impose.
Les difficultés de la réforme ont surtout été révélées au grand jour par la question des bulletins. L’aspect sibyllin des critères d’évaluation a déconcerté plusieurs parents. Que veut donc dire «réinvestir sa compréhension de texte lu et/ou entendu» en anglais? «interpréter le changement dans une société et sur son territoire» en géographie et éducation à la citoyenneté? Et surtout comment comprendre l’évaluation d’une «compétence transversale» comme « coopérer » ou « structurer son identité»? Ce bulletin a soulevé un tel tollé qu’il est devenu un enjeu lors des dernières élections provinciales. La décision de la ministre d’en revenir aux bulletins chiffrés ne règle pas tous les problèmes. La réintroduction des chiffres ne convient pas toujours à l’évaluation des compétences, surtout si celles-ci restent mal définies. Comment en effet donner avec certitude une note sur 100 au critère «exploiter l’information» des compétences transversales, par exemple.
Mais que faire de cette réforme
Si la réforme soulève de sérieuses réserves chez un nombre important de parents et d’enseignantes et d’enseignants, il est par contre moins évident d’envisager une solution consensuelle qui fera l’unanimité aux problèmes qu’elle provoque. Certains voudraient stopper cette réforme, l’éliminer tout simplement. Un mouvement appelé «Stoppons la réforme» s’est constitué dans ce but et rassemble une dizaine de syndicats d’enseignantes et d’enseignants. D’autres voudraient la transformer, s’attaquer à ses points faibles sans tout remettre en question, de manière à la rendre efficace. D’autres enfin, nettement plus favorables à ce «renouveau pédagogique», jugent qu’il est encore trop tôt pour évaluer avec certitude ses résultats.
Suite à un rapport du comité école et société intitulé «Réforme au secondaire, l’urgence d’un bilan d’étape», le conseil fédéral de la FNEEQ en mai/juin 2007 s’est prononcé sur la question. Des membres souhaitaient que la FNEEQ prenne position en faveur d’un retrait de la réforme. Mais une majorité trouvait ce choix difficile et trop radical. Les enseignantes et les enseignants d’écoles secondaires privées ont manifesté leur inquiétude devant un arrêt trop brutal. Que faire alors des élèves du secondaire qui ont déjà entrepris une ou deux années dans le nouveau système? Par quoi remplacer la réforme, alors qu’il ne semble pas y avoir de consensus sur l’approche pédagogique à offrir en échange.
Le conseil a donc adopté une résolution mandatant la FNEEQ d’établir des liens avec le plus grand nombre d’organisations syndicales directement concernées par le problème, puis de poser un diagnostic sur les difficultés du système d’éducation et de prendre les moyens pour faire entendre le point de vue des professeurs.
Les positions récentes de la ministre Michelle Courchesne permettent d’envisager que des correctifs seront imposés à la réforme et que des irritants seront éliminés. Reste à savoir si elle sollicitera au passage l’avis des principaux intéressés et si les modifications envisagées suffiront à assurer aux élèves du secondaire la formation équitable et de qualité dont ils ont grandement besoin.