La Conférence mondiale sur l’apprentissage en ligne a eu lieu du 16 au 19 octobre 2017 à Toronto. Sous le thème «l’enseignement à l’ère numérique – repenser l’enseignement et l’apprentissage», l’International Council for Open and Distance Education (ICDE) a réuni plus de 1400 personnes. Un record pour cet organisme affilié à l’UNESCO depuis 1967. On y retrouvait des membres du personnel enseignant, professionnel, de recherche, de la direction d’établissements d’enseignement supérieur des cinq continents, de près d’une centaine de pays. La FNEEQ était présente.

Cette 27e édition de la Conférence mondiale de l’ICDE cherchait à explorer cinq domaines clés de l’apprentissage en ligne: «l’émergence de pédagogies et de conceptions pour l’apprentissage en ligne; l’élargissement de l’accès, de l’ouverture et de la flexibilité; l’évolution des modèles d’évaluation; les nouveaux outils et les nouvelles ressources de prestation pour l’apprentissage; la reconception des modèles de gestion institutionnelle» (ICDE, 2017).

Avec un choix de plus de 150 ateliers et de 400 présentations différentes, répartis sur six demi-journées, le choix était particulièrement difficile. Est-ce pour nous faire expérimenter ce que peut ressentir un étudiant à la recherche d’un cours en ligne et qui se retrouve devant un choix de plus de 6 000 cours accessibles à tous, gratuits et offerts en tout temps par les plus grandes universités du monde? Et oui, il existe présentement plus de 6 000 MOOCs (Massive Open Online Course) ou CLOMs (Cours en ligne ouvert et massif). Et cela ne représente que la pointe de l’iceberg! Il y a aussi les cours en ligne offerts par différents établissements d’enseignement dans un programme d’études offerts sous diverses formes : entièrement en ligne ou en formule hybride (en partie en ligne et en partie en présentiel), en mode asynchrone (sans horaire fixe) ou synchrone (le cours est offert dans une plage horaire particulière). On parle même aussi de SPOCs (Small Private Online Course) pour faire contrepoids aux MOOCs qui sont très populaires et attirent beaucoup d’inscriptions, mais qui ont de la difficulté à susciter la persévérance. Car tout n’est pas rose dans cet univers qui est présenté comme la voie de l’avenir.

Flexibilité et accessibilité: est-ce vraiment le cas?

Au premier abord, l’apprentissage en ligne se présente comme une manière de démocratiser l’éducation et de la rendre disponible au plus grand nombre. Pour résumer les propos de John Baker, président fondateur de Desire2Learn, compagnie offrant une plateforme d’apprentissage en ligne, cette forme d’apprentissage permet d’apprendre n’importe où, n’important quand. L’accès à l’éducation devient plus facile pour certaines populations (personnes réfugiées, personnes en régions éloignées) ou certaines catégories d’étudiantes et d’étudiants (ayant des ressources financières limitées, des difficultés à concilier études-travail-famille, en situation de handicap). La plus grande accessibilité et la flexibilité offerte aux étudiantes et étudiants sont d’ailleurs reconnues par 99% des répondants du premier sondage national sur la formation à distance et l’apprentissage en ligne dans les établissements canadiens d’enseignement postsecondaire. Il faut dire que ce sondage s’adressait surtout aux directions d’établissements d’enseignement supérieur (rectorat à l’enseignement ou direction des études).

Toutefois, cet accès à l’apprentissage en ligne n’est pas magique ni garanti. Les outils informatiques et un réseau Internet de qualité ne sont pas disponibles pour certaines personnes ou certaines régions, surtout dans les pays en voie de développement. Les contraintes de la langue réduisent également l’accessibilité de ce qui est offert puisque la plupart des cours sont offerts en anglais. La Conférence mondiale sur l’apprentissage en ligne était d’ailleurs à l’image de ce qui est disponible dans les cours en ligne : seulement 3% des présentations étaient faites en français et la traduction simultanée n’était disponible que pour un certain nombre d’ateliers. Les valeurs transmises et la dépendance numérique sont d’autres considérations éthiques qui ont été soulevées. En ce qui concerne cette dernière, il semble que le contenu éducatif numérique peut être tout aussi addictif qu’un contenu non éducatif. Pourtant, c’est la tendance que l’on propose dans l’atelier «The Gamification of Education» ou dans le site Internet Virtually inspired de l’Université Drexel où on présente différentes innovations pédagogiques ayant recours entre autres à des jeux éducatifs et à des simulations.

Repenser les pratiques pédagogiques et les modèles d’évaluation: réinventer la roue?

Le souci de recourir à des méthodes pédagogiques «innovantes» caractérise une bonne partie des ateliers (40% des ateliers offerts). C’est pour dire que les questions pédagogiques posent tout un problème dans l’apprentissage en ligne ! Pour améliorer la réussite et la persévérance des étudiantes et étudiants, on souligne qu’il faut faire une plus grande place à l’aspect «émotif et social» de l’apprentissage: améliorer l’encadrement, fournir des rétroactions personnalisées, favoriser l’interaction entre étudiants, recourir à la pédagogie active plutôt qu’aux exposés théoriques, proposer des évaluations formatives ou sommatives significatives et authentiques (c’est-à-dire qui s’apparentent à des activités à réaliser en milieu de travail). À part certains outils technologiques de collaboration qui peuvent d’ailleurs être utilisés dans un cours en présentiel, rien de nouveau sous le soleil. En fait, on dirait que l’on cherche à récupérer ce qui fait la force des cours en présentiel!

Il n’en demeure pas moins que l’appropriation de nouvelles technologies et de plateformes d’apprentissage n’est pas simple. La présentation de France Lafleur de l’Université du Québec à Trois-Rivières soulignait d’ailleurs le manque de formation offerte aux enseignantes et enseignants qui donnent des cours en ligne. Est-ce que cela explique la popularité des trois (3) ateliers offerts par Tony Bates à propos de son livre «Teaching in a Digital Age» (L’enseignement à l’ère numérique: des balises pour l’enseignement et l’apprentissage) et des séances de distribution du volume?

Ouverture = gratuité? Ce n’est pas certain

Dans la plénière d’ouverture, Tony Bates a été présenté comme un précurseur et un défenseur de l’apprentissage en ligne, dont le livre est gratuit et libre d’accès, à l’image de l’éducation ouverte que l’ICDE cherche à promouvoir. On peut se questionner sur cette notion d’ouverture. Est-ce de la gratuité dont on parle ici? Il y a effectivement certains cours en ligne dont le contenu est gratuit, dont les MOOCs ou CLOMs. Par contre, la plupart du temps, l’étudiante ou l’étudiant devra payer pour avoir accès aux évaluations qui lui permettront d’avoir une certification, mais peu persistent jusqu’à cet objectif. S’il n’y a pas de droits de scolarité, comment les établissements d’enseignement financent-ils l’apprentissage en ligne? Bien que ces cours «gratuits» semblent servir de publicité pour les établissements d’enseignement qui les offrent et faire partie d’une stratégie commerciale, comment les coûts de production et de diffusion sont-ils absorbés si ce n’est au détriment d’autres services ou secteurs d’activité?

Quelques ateliers ont d’ailleurs porté sur la reconception des modèles de gestion institutionnelle qu’implique la place de plus en plus grande de l’apprentissage en ligne. Le sujet est sans doute pertinent lorsque l’on tient compte des coûts associés à l’utilisation des plateformes d’apprentissage en ligne et à l’élaboration des cours. Il est à noter que peu d’informations sont disponibles à ce sujet, à part quelques informations provenant de eCampusOntario. Cet organisme finance des projets d’élaboration de matériel pédagogique ou de cours en ligne à même des fonds provenant du gouvernement ontarien. Une liste des projets présentement financés indique le montant accordé aux établissements impliqués dans le projet, sans préciser ce que l’auteur du cours reçoit. Ce financement est-il suffisant? Que se passe-t-il par la suite? Quelles sont les conditions de travail des personnes qui donnent le cours en ligne?

Conditions de travail? Aucune idée!

En fait, très peu de choses ont été dites sur la situation des enseignantes et enseignants lors de cette Conférence mondiale. Aucun atelier n’a abordé le thème des conditions de travail des enseignantes et enseignants qui donnent des cours en ligne. À quelques reprises, certaines personnes ont dénoncé la résistance du personnel enseignant au changement ainsi que celle des syndicats. Ces derniers sont vus comme des empêcheurs de tourner en rond. À mots couverts, on les accuse d’être responsables de la sclérose de certains établissements d’enseignement qui ont eu besoin d’un électrochoc pour survivre dans cette ère numérique. De même, le sondage déjà cité sur l’évolution de la formation à distance et l’apprentissage en ligne au Canada identifie la résistance des enseignantes et enseignants comme un des défis auxquels est confronté l’apprentissage en ligne, mais laisse sous silence les conditions de travail. Lorsqu’on ajoute les autres défis identifiés par les répondants comme le manque de ressources adéquates, l’absence de formation pour les enseignantes et enseignantes pour ce type d’enseignement, le manque de connaissances pédagogiques sur l’apprentissage en ligne (et on pourrait probablement ajouter le manque de données probantes sur son efficacité), le manque de personnel spécialisé en technologie d’apprentissage ou le manque de support, l’inquiétude quant à la valeur et la qualité de l’apprentissage en ligne, la résistance a toute sa raison d’être actuellement. En fait, l’apprentissage en ligne soulève des inquiétudes et des interrogations chez le personnel enseignant qui sont tout à fait légitimes et pertinentes.

La prochaine conférence mondiale sur l’apprentissage en ligne aura lieu à Dublin, du 4 au 7 novembre 2019. Quel sera le portrait de l’apprentissage en ligne à ce moment? Étant donné que plus de 97% des établissements canadiens d’enseignement considèrent que l’apprentissage en ligne est important à long terme pour leur institution, on peut s’attendre à une augmentation de la pression faite par les directions (dont plusieurs membres étaient présents) pour implanter des cours ou des programmes en ligne. C’est d’ailleurs ce qui se passe présentement dans certains établissements au Québec. L’article de Miguel Charlebois (2016) sur le télé-enseignement au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue est particulièrement édifiant. Se questionner sur la place de l’apprentissage en ligne en éducation et sur les conditions de travail qui y sont associées s’avère, plus que jamais, crucial.

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca