Pourtant, les voix – pas seulement syndicales – se multiplient pour réclamer un encadrement urgent de cette technologie, que les ténors du gouvernement caquiste entichés d’économie semblent parfois confondre naïvement avec la huitième merveille du monde. D’ailleurs, le 25 avril dernier, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), conjointement avec la Commission de l’éthique en science et en technologie, déposait un rapport sans équivoque appelant à un encadrement et à une régulation de l’IA en enseignement supérieur. À bien des égards, l’analyse du CSE conclut, comme la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN), au danger d’une promotion des intérêts marchands dans le développement de l’IA, alors que l’enseignement supérieur est un bien commun. Elle remet en question l’efficacité de l’IA générative de même que les bénéfices en enseignement qu’on nous fait miroiter et attire l’attention sur les risques de dérives.
Apprendre de l’implantation des écrans à l’école
Étrangement, nous avons le sentiment de jouer à nouveau dans un film qui s’est révélé fort mauvais. Souvenons-nous de l’arrivée tous azimuts des écrans dans les classes. Impossible de s’opposer « au progrès », affirmait-on au début des années 2010, malgré le regard critique de nos membres, qui en mesuraient les effets néfastes quotidiens dans leurs groupes. Les récentes études crédibles et approfondies de l’UNESCO et de l’INSPQ confirment, hélas, nos appréhensions technocritiques maintes fois exprimées. Elles forcent maintenant les gouvernements, comme celui de l’Ontario, à adopter des règlements plus sévères qu’au Québec pour lutter contre la présence des écrans dans les établissements. Apprenons de nos erreurs collectives ; c’est le propre de l’enseignement.
Encadrer en toute collégialité
La ministre Déry devrait s’abstenir d’obliger les réseaux collégial et universitaire à suivre une ligne directrice uniforme en matière d’intelligence artificielle. Néanmoins, elle doit exercer son leadership pour créer un lieu d’échange permanent, représentatif et ouvert aux divers points de vue, qui pourront s’exprimer selon le principe de la collégialité. Pour préserver la qualité de l’enseignement, menacée par l’IA, il nous faut par exemple étudier ses conséquences sur les capacités d’apprentissage des personnes étudiantes ainsi que sur la tentation de recourir au plagiat – devenu indétectable –, mesurer les iniquités exacerbées pour les groupes en situation de vulnérabilité et protéger tant les renseignements personnels que les droits d’auteur. On doit en outre évaluer l’impact de l’IA sur les emplois du corps enseignant, des robots conversationnels se trouvant maintenant presque en mesure d’effectuer certaines de ses tâches au détriment de la précieuse et formatrice relation maître-élève.
Ces immenses chantiers, pour ne nommer que ceux-là, ne peuvent être l’apanage d’entreprises multinationales qui dépensent des milliards de dollars en développement, espérant en engranger des milliards d’autres, au mépris des effets à long terme sur les « consommateurs ».
Il est temps de remettre l’être humain au cœur de l’acte d’enseignement pour s’épargner le cauchemar d’un réveil collectif brutal dans quelques années, alors qu’il sera peut-être trop tard…