Le 50e anniversaire de la création des cégeps suscite un large intérêt dans les médias. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Toutefois, certains articles soulignent l’importance d’accélérer les processus de révision des formations initiales collégiales pour accroître leur capacité de s’adapter rapidement à l’évolution de la société et des technologies. À la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), nous sommes conscients que les avancées du numérique pourraient générer des transformations du marché de l’emploi et qu’il faut s’y préparer. Si nous partageons le constat selon lequel les processus actuels de révision des programmes sont trop longs pour faciliter cette adaptation, il est important d’intervenir sur la question pour recentrer le débat autour de la cohérence des formations collégiales et du réseau des cégeps.
Assurer la valeur des formations et des diplômes
D’abord, il est primordial que le ministère de l’Enseignement supérieur joue pleinement son rôle de coordonner les diplômes nationaux pour en assurer la valeur équivalente dans toutes les régions et les institutions collégiales, et pour rendre les travailleuses et les travailleurs moins vulnérables d’une entreprise à l’autre et d’une région à l’autre. Les travailleuses et les travailleurs diplômés des cégeps seront pour une grande partie appelés à changer de fonction ou d’emploi en cours de carrière dans un monde en transformation. Le taux de survie des petites et moyennes entreprises, qui représentent la vaste majorité des établissements commerciaux, est d’à peine 50%, ce qui indique clairement l’importance de former des travailleuses et des travailleurs qui disposent de compétences larges leur permettant de s’adapter aux changements du marché du travail, plutôt qu’en fonction de compétences étroites et difficilement transférables liées à des contraintes immédiates et ponctuelles des entreprises.
Certains proposent, pour raccourcir les délais de révision des programmes, de décentraliser et de donner plus d’autonomie aux collèges. Nous croyons que c’est une fausse solution. Il faut rappeler que les collèges disposent déjà de flexibilité en matière de formation continue. Nous constatons que cette latitude a donné des résultats peu probants: en effet, à l’heure actuelle, le même titre d’attestation d’études collégiales (AEC) est décerné à des programmes dont le nombre d’heures varie de 135 à plus de 2000 heures d’une institution à l’autre. Loin de favoriser l’harmonie entre la formation et le marché du travail, la flexibilité a pour effet de rendre difficile l’identification des fonctions de travail auxquelles correspondent ces formations et les employeurs ne sont plus en mesure de connaître la valeur de la formation.
Les diplômes collégiaux doivent bien sûr répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises, mais ils doivent être pertinents au-delà des transformations du marché de l’emploi. Autrement dit, la formation doit être suffisamment large pour permettre aux finissantes et aux finissants de s’adapter aux changements, plutôt que d’être confinés à des fonctions de travail restreintes résultant d’une formation calquée sur des changements immédiats sans projection à plus long terme.
Des solutions structurantes
Pour raccourcir les délais de révision des programmes, et assurer la valeur des formations et du diplôme, nous proposons la mise en place de comités nationaux de programmes qui, par le biais du personnel enseignant, assureraient un trait d’union entre les milieux du travail et de l’enseignement. Cette solution miserait sur la mise en réseau efficace de structures déjà en place pour raccourcir le cycle de la révision des programmes et pour réagir rapidement à des changements dans le monde du travail. La coordination de ces comités serait assurée par le Ministère pour préserver la cohérence des programmes et la cohésion du réseau sans contourner l’expertise des enseignantes et des enseignants qui sont déjà les acteurs principaux de la mise en œuvre des programmes. En effet, dans tous les cégeps, ceux-ci travaillent au sein des comités de programmes à leur développement, leur implantation et leur évaluation. Les enseignantes et les enseignants sont à la fois les experts de leur discipline et de l’enseignement de cette discipline, forts d’une large connaissance théorique et d’une solide expérience terrain, notamment par le biais des stages. Ils assurent une interface constante entre le monde de l’enseignement et celui de l’emploi.
Cette interface est également assurée par différentes structures déjà existantes, dont le Comité national des programmes d’études professionnelles et techniques (CNPEPT) qui a pour rôle d’accentuer la collaboration et les liens formels avec les partenaires socioéconomiques, sur les plans local, régional et central. La Commission des partenaires du marché du travail (CPMT) joue également un rôle dans cette interface avec le mandat d’accroître l’efficacité des services publics d’emploi ainsi que de favoriser le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre, et à laquelle siègent notamment des représentantes et des représentants des employeurs, de la main-d’œuvre et de l’enseignement. Cette commission reçoit également le soutien des comités sectoriels de la main-d’œuvre (CSMO) qui définissent les besoins en main-d’œuvre et se penchent sur les principaux problèmes qui y sont liés. Cela s’ajoute au contact serré qu’ont les enseignantes et les enseignants des secteurs techniques avec les entreprises et les organisations locales par le biais des milieux de stages : ils sont donc tout à fait en mesure de réagir rapidement aux changements qu’ils constatent en agissant au besoin sur le plan des contenus et de l’harmonisation des cours, sans mettre en péril les compétences nationales.
C’est dans cette perspective, celle d’assurer la préservation d’un réseau collégial offrant des formations et un diplôme national qualifiants, qu’il est nécessaire de privilégier des solutions structurantes pour l’ensemble du réseau aux problèmes que posent les délais des processus actuels de révision des programmes. Les enseignantes et les enseignants des cégeps, forts de leur expertise et d’une connaissance terrain des milieux de travail, sont des acteurs incontournables de cette réflexion.