Benoît Lacoursière
Président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN)

L’actualité récente ramène à l’avant-plan une question centrale qui tient à cœur au personnel enseignant des cégeps : la liberté académique. Dans un contexte où les sociétés occidentales se polarisent et où la population étudiante exprime parfois du mécontentement à l’égard du contenu des cours – ce phénomène n’est pas nouveau –, cet enjeu demeure crucial.

Notre fédération, qui représente 85 % des profs de cégep dans 45 syndicats, rappelle que des avancées ont été réalisées en cette matière à la suite de la négociation de la convention collective 2020-2023 dans les collèges publics. En effet, à l’arraché, les enseignant∙es ont réussi à négocier une annexe à leur convention qui renforce leur liberté académique et offre certaines protections. Rappelons que ce texte protège le corps professoral du réseau collégial public notamment contre les limites qu’on voudrait imposer aux contenus abordés dans ses cours ou à ses choix pédagogiques. Ainsi, comprenons-nous bien : aucun de ses membres ne devrait être censuré ou ne devrait se censurer pour éviter de froisser qui que ce soit. Faisons confiance aux personnes expertes de l’enseignement pour bien transmettre les savoirs. 

Soulignons, malheureusement, que le personnel enseignant des collèges privés ne dispose pas nécessairement des mêmes garanties. Bref, la protection existe, mais elle reste à améliorer.

Un rempart toujours fragile

En outre, ce rempart s’avère beaucoup moins solide en ce qui concerne d’autres aspects de cette liberté académique, tels l’autonomie professionnelle collective et le fonctionnement en collégialité des établissements. Dans plusieurs collèges, on note une volonté claire de diminuer la représentativité du corps professoral au sein de la Commission des études, par exemple. Pourtant, cette instance a justement le mandat de conseiller les conseils d’administration des cégeps sur les enjeux de nature pédagogique. Pour justifier cette perte de représentativité, on accuse les membres du personnel enseignant d’être trop critiques et d’être des « empêcheurs de développer ou d’innover en rond ». C’est dire !

Autre attaque : des directions exercent de plus en plus de pressions sur les personnes enseignantes afin qu’elles adoptent sans débat des façons de faire bien précises, comme les pratiques « à impact élevé » ou la pédagogie dite « inclusive », ce qui entraîne une forte uniformisation des méthodes pédagogiques au détriment de la liberté d’enseigner. Cette menace puise ses racines dans la réforme Robillard de 1993, dans le contexte de laquelle a été créée la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC). Il est grand temps d’abolir cet organisme nuisible à la liberté académique.

Abuser du « devoir de loyauté »

Enfin, nous dénonçons des menaces structurelles à la liberté académique. Combien d’employeurs invoquent de façon abusive le « devoir de loyauté » pour protéger la réputation de leur établissement, pour empêcher la critique ou même pour interdire aux enseignants∙es de s’exprimer dans les médias ?

Combien d’entreprises privées dirigent la recherche dans les cégeps en finançant les travaux ? Combien de directions ou de bailleurs de fonds ont leur mot à dire sur les publications scientifiques ou sur l’organisation de la recherche ?

À l’évidence, si la liberté académique des profs du collégial public a été consolidée récemment, il reste du chemin à parcourir avant qu’elle se révèle à la hauteur des standards de la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur de l’UNESCO. Une société démocratique comme la nôtre mérite mieux.