Femmes militantes, charge mentale et COVID-19 : regard sur un vécu particulier
Par Christine Gauthier, vice-présidente de la FNEEQ–CSN
Par Caroline Leblond, déléguée à la coordination du regroupement privé de la FNEEQ–CSN
Il faut souligner haut et fort le travail des femmes militantes et enseignantes qui ont tenu le fort pendant la pandémie de Covid-19, et ce, malgré l’isolement, la perte de réseaux et la fragilisation de la situation de travail. Voici un court récit de la première des deux rencontres non mixtes qui ont permis d’approfondir le vécu de ces femmes (article 1 de 2).
Le comité femmes de la FNEEQ–CSN avait pour mandat de réfléchir à l’impact de la situation d’urgence engendrée par la crise sanitaire sur les femmes militantes et enseignantes. Le comité a réalisé sa mission, accompagné d’Amélie Châteauneuf, autrice de l’essai « Si nous sommes égaux, je suis la fée des dents », que nous remercions pour son animation remplie d’humanité.
Le retour en force des rôles traditionnels
Plus de deux ans après le début de la pandémie, les militantes-enseignantes ont été nombreuses à témoigner du recul effroyable de leurs conditions de vie et de leur pouvoir d’émancipation comme femme. Comme si tous les efforts et tous les gains des dernières décennies pour sortir leur genre du déterminisme social traditionnel avaient été anéantis par le virus. Pas complètement, bien sûr, mais suffisamment pour constater que Simone de Beauvoir a bien eu raison de dire que chaque grande crise sociale est une menace pour les droits des femmes.
Confinées à la maison pendant un horizon indéfini à gérer simultanément leurs vies personnelle et professionnelle, cette « collision des mondes » s’est avérée un choc. Obéissantes face aux impératifs qui ont découlé de la gestion de crise, par exemple la fermeture des écoles et des garderies, et de la répartition des rôles, certaines se demandent si nous n’avons pas accepté l’inacceptable. Au sentiment d’impuissance s’est ainsi ajouté un grand sentiment d’exaspération.
Soutenir en souffrance
Ces femmes, souvent mères ou proches aidantes, ont aussi joué un rôle de premier plan dans le soutien offert aux enfants, aux parents. Dans leurs rôles de militantes et d’enseignantes, elles ont particulièrement été attentives à la santé psychologique de leur équipe de travail et ont accompagné leurs étudiant-es face à la détresse vécue. Prendre soin, gérer la charge émotionnelle, chercher à maintenir des activités significatives au travail ou à la maison pour garder le moral : elles ont ainsi porté ce chapeau du « care » dans toutes les sphères de vie.
Ce soutien tous azimuts est toutefois délétère. Elles doivent soutenir sans être soutenues, alors confinées et privées des espaces personnels significatifs qui redonnent l’énergie et du sens à leur vie. L’absence de reconnaissance sociale et gouvernementale du rôle des femmes pendant la pandémie, tenu pour acquis, représente aussi une source de souffrance et d’insatisfaction : devront-elles faire valoir sur la place publique leur rôle indéniable pendant cette période chaotique ?
Des stratégies coûteuses pour se protéger
Face à l’alourdissement de la charge professionnelle et militante, plusieurs femmes ont témoigné avoir utilisé des stratégies personnelles de renoncement. Renoncement à des projets d’études, à des projets de publications, à des lieux de militance. Des sacrifices perçus comme « nécessaires » pour tenir les exigences des nouvelles conditions de vie engendrées par la pandémie, qui restreignent toutefois le champ des possibles et vont à l’encontre de leurs objectifs d’émancipation.
Il y a lieu de s’inquiéter de ce recentrage sur les rôles de mère, de conjointe, d’aidante naturelle, pouvant engendrer des impacts durables sur leurs parcours. Il faudra rester vigilantes au cours des prochaines années pour éviter que cette pandémie soit au centre d’une déchirure du tissu social et d’un recul de la place des femmes dans notre société.