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Chronique 96 – Budget du Québec, les 12 travaux de Drainville et de Déry

 

ÉCOUTER LE BALADO

Le 26 janvier 2023, Bernard Drainville convoque la presse pour présenter ses 7 priorités en éducation. Après un long silence – qui n’est pas sans rappeler les absences de McCann – le nouveau ministre de l’Éducation sort de sa réflexion avec 7 idées que l’on croirait littéralement dessinées sur un coin de table. Sa collègue de l’Enseignement supérieur n’est pas en reste dans la rubrique « briller par son absence ». Mis à part un mémo anti-Wokes sur la “liberté académique”, aucun plan, aucune vision, concernant les cégeps et les universités. D’aucuns ont signalé le manque de contenu des 7 idées du ministre Drainville, tout en concédant que les intentions pouvaient être bonnes. Au comité école et société, nous sommes loin d’être convaincus de la pertinence de ces priorités et en proposons 12 nouvelles qui embrassent également l’enseignement supérieur.

On n’apprendra rien à personne : que ce soit en santé, sur le front des disparités socio-économiques ou en éducation, les chantiers sont immenses au Québec ; les défis, herculéens. Nos décideurs – récemment réélus grâce à un système parlementaire dont le jupon non-représentatif dépasse de plus en plus – s’agitent à montrer qu’ils et elles se dévouent à la tâche. Or la société civile crie à l’aide : réinvestissez dans les réseaux de santé et d’éducation ! Que les plus riches contribuent à leur juste part ! Mais nos décideurs font la sourde oreille et annoncent des baisses d’impôts après des chèques électoralistes qui réduisent notre capacité d’action publique. Prétextant la complexité de la tâche, ils plaident l’impossibilité de changement ou, encore pire, imposent des « soins » néolibéraux à des problèmes causés par des recettes néolibérales : davantage de privé et de numérique, moins de services publics, donc moins de pouvoir pour la population, moins de protection de l’environnement, de la biodiversité et, en bout de ligne, de respect de la vie en général.

Les écuries d’Augias ou la maison des fous ?

La plupart des 7 travaux de Drainville se règleraient avec deux mesures globales qui, selon l’expression « nettoyer les écuries d’Augias » inspirée d’un des 12 travaux d’Hercule (Historia, 2013), permettraient de remettre de l’ordre dans cette institution qu’est l’éducation au Québec. Voilà qui devrait plaire aux ministres Drainville et Déry : seulement deux travaux à faire à eux deux, défi loin d’être insurmontable et qui, par surcroît, répond à deux demandes qui font consensus chez le personnel enseignant, du primaire à l’université.

La première des mesures globales répondant à l’ensemble des autres consiste en un financement adéquat de l’éducation et des services publics en général. Si l’austérité a été associée au Parti libéral du Québec, les coupures néolibérales dans les services publics sont généralement précédées par des baisses d’impôts. Devant gérer de nombreuses crises (pandémique, de main-d’œuvre, en santé, etc.), le gouvernement caquiste n’a eu d’autre choix que de dépenser les milliards cumulés par l’austérité libérale mais, jusqu’à maintenant, il s’agissait de dépenses « à la petite semaine », sans plan ni vision. Les baisses d’impôts annoncées ne pourront se traduire autrement que par des non-investissements et de futures coupures. Aussi, le réinvestissement austéritaire actuel (en enseignement à distance, en partenariats, en bourses discrétionnaires ou en intelligence artificielle, par exemple) annonce déjà un envahissement par des entreprises  privées de l’espace laissé volontairement vide par l’État. Nous devons nous battre contre la naturalisation de ces coupures déguisées en réinvestissement et imposer dans l’espace public la nécessité d’un investissement récurrent et autogéré, à la hauteur des missions de l’éducation publique.

L’amélioration des conditions d’enseignement constitue la seconde mesure globale permettant de régler l’ensemble des autres tâches de nos ministères en manque de leadership. L’amélioration de ces conditions de travail solutionnerait, entre autres, les problèmes d’attraction et de rétention du personnel enseignant, tout en contribuant à la réussite éducative de toutes et tous. Comme nous l’avons affirmé à de nombreuses reprises, il s’agit moins de pénurie de main-d’œuvre que d’une pénurie de bonnes conditions de travail.

Si Drainville s’entête à ne pas écouter la voix des enseignantes et des enseignants et à préférer conserver ses 7 travaux, voyons pourquoi ceux-ci s’apparentent davantage à l’épreuve de la maison des fous dans Les 12 travaux d’Astérix. Nous en profitons pour réorienter ces 7 travaux afin de les inclure à un total de 12 travaux dignes de ce nom, si les ministres Drainville et Déry préfèrent la technique des petits pas.

Le ministre Drainville propose de rétablir une voie rapide vers le brevet en enseignement en permettant aux personnes détentrices d’un baccalauréat dans une discipline pertinente d’être qualifiées par le biais d’une passerelle vers un certificat en pédagogie de 30 crédits plutôt que vers une maîtrise qualifiante de 60 crédits. La FNEEQ avait recommandé, lors de son conseil fédéral de décembre 2018, en concordance avec son rapport sur La formation des maîtres au Québec, le recours à des passerelles, mais « en s’assurant que la formation complémentaire exigée à ces personnes […] soit comparable au baccalauréat en enseignement secondaire en termes d’heures de stage […][,] de qualité de formation […] [et de] critères exigés ». Cela dit, si entre 25 % et 50 % des enseignant‑es continuent à abandonner le métier avant leur 5e année dans la profession faute de conditions de travail décentes (Canisius Kamanzi et al., 2015), à quoi bon ?! C’est la raison pour laquelle les recommandations du conseil fédéral de la FNEEQ exigeaient du gouvernement qu’il « valorise réellement la profession enseignante, en la rendant plus attrayante, en améliorant ses conditions de travail et en assurant une meilleure reconnaissance de l’autonomie professionnelle du corps enseignant ».

Plutôt que d’augmenter le nombre d’élèves par classe, tel que stipulé dans les propositions patronales présentées par le gouvernement en décembre 2022, tout en promettant d’hypothétiques « renforts » provenant des services de garde, comme le propose le ministre Drainville, il faudrait réduire le nombre d’élèves par groupe tout en augmentant les ressources pour les élèves en difficulté ou avec des troubles d’apprentissage, comme des orthopédagogues, des psychologues ou des psychoéducateurs, ainsi que l’a prôné le conseil fédéral dans ses recommandations de mai 2022, en lien avec le rapport Augmentation du nombre d’étudiantes et d’étudiants en situation de handicap, diversification des profils étudiants et impacts sur la tâche enseignante.

Plutôt que de prétendre généraliser les projets particuliers sélectifs, en les rendant plus accessibles et plus nombreux, il faudrait mettre un terme à « l’école à trois vitesses », à la ségrégation scolaire et aux mécanismes de sélection scolaire, tant ceux qui sont financiers que ceux qui sont basés sur la performance des élèves, comme le prône le Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014‑2016 : Remettre le cap sur l’équité du Conseil supérieur de l’éducation, la coalition citoyenne Parlons éducation, de même que la CSN et, bien entendu, la FNEEQ !

Le ministre Drainville propose de « valoriser » la formation professionnelle et d’y contrer le décrochage scolaire. Or il renforce, encore une fois, la subordination de l’éducation aux impératifs à courte vue des entreprises privées, notamment en prônant la même « adéquation formation-emploi » que les libéraux avec leur « Modèle dual néolibéral ». En effet, des 81,3 M$ annoncés récemment, 40 % de ces sommes seront allouées au « soutien au démarrage de formations dans des domaines prioritaires ». Aucun montant n’est investi dans les classes, dans le concret de la relation « enseignant-e / élève ». Or le manque de personnel enseignant est particulièrement criant dans le secteur de la formation professionnelle, faute de conditions de travail et salariales décentes. Pourtant, les conditions d’apprentissages des élèves sont tributaires des conditions de travail des enseignants et des enseignantes. Voilà donc un autre des 7 travaux de Drainville qui ne tient pas la route.

S’il est important de bâtir et de rénover les écoles, comme le prétend le nouveau ministre de l’ducation, il ne faut pas oublier que cette promesse date de l’ancien mandat de la CAQ qui – à part la poudre aux yeux de quelques écoles « modèles » au look « fierté bleu fleurdelisé, bois et aluminium du Québec » réalisées à grands frais – n’a pas investi suffisamment pour répondre aux besoins criants des quelques 50 % des écoles du Québec se trouvant en piètre état. On en revient au premier chantier concernant le financement adéquat et la lutte contre les réinvestissements austéritaires de la CAQ.

Bien que l’objectif du ministre Drainville de revaloriser l’enseignement du français soit louable, il ne signifie rien tant qu’il n’est pas arrimé à une réelle stratégie. Or le ministre a été peu loquace quant aux mesures envisagées à cet effet. La ministre Déry, quant à elle, à force de pressions, a fini par rendre public un rapport sur La maîtrise du français au collégial qui dormait sur les tablettes du ministère de l’Enseignement supérieur depuis plus d’un an. Or, comme en fait foi le mandat restreint ayant mené à ce rapport, force est de constater que le gouvernement de la CAQ, qui dit pourtant depuis 2018 que l’éducation est sa priorité, n’a aucune vision globale de l’éducation au Québec. En toute logique, avant d’envisager des changements d’importance au collégial (dont plusieurs visant à secondariser l’enseignement supérieur), il aurait d’abord fallu consulter et mobiliser les enseignantes et les enseignants de français du primaire et du secondaire dans le but de leur offrir des conditions d’enseignement favorisant ce rehaussement de la maîtrise du français chez leurs élèves. C’est d’ailleurs ce que proposait la FNEEQ dans une série de recommandations adoptées au conseil fédéral de décembre 2022, et ce, afin de soutenir L’avenir du français au Québec du primaire à l’université. La FNEEQ s’attardait également aux besoins de divers profils étudiants, notamment des élèves et des étudiantes et étudiants issus de l’immigration ainsi que des étudiantes et étudiants autochtones. Si le ministre Drainville a besoin d’un exemple concret de recette gagnante qui reprend plusieurs de nos recommandations, nous l’invitons à aller faire un tour aux Îles-de-la-Madeleine, où les élèves de secondaire 5 ont, malgré les impacts de la pandémie, réussi haut la main à l’épreuve ministérielle de français. Rien de sorcier parmi ces mesures : petits groupes permettant notamment un meilleur encadrement des élèves faibles en français, peu ou pas d’enseignement à distance pendant la pandémie, travail accru de l’écriture et de la lecture au primaire… Bref, les enseignantes et enseignants de français savent déjà comment atteindre ces objectifs de maîtrise de la langue; il suffit de leur offrir les conditions de travail le leur permettant.

On ne peut cesser de s’inquiéter de la volonté du ministre Drainville de rendre le réseau plus efficace en se basant sur des données « fiables, obtenues de manière rapide et souple » pour prendre « les meilleures décisions possibles » ; car on ne peut s’empêcher d’entendre un discours venu de l’idéologie de la Nouvelle gestion publique prétendant, au nom de l’assurance « qualité », standardiser l’enseignement et surveiller de près les personnes enseignantes. Nul besoin de quantifier, si l’on veut être « efficaces » à réaliser les missions fondamentales du système d’éducation québécois, marqué par une vision humaniste de l’éducation, visant l’émancipation et la réalisation du plein potentiel de chaque étudiant et étudiante ainsi que de la collectivité. Mais, de toute évidence, ce n’est pas l’objectif du ministre.

Comme l’ont montré les États généraux de l’enseignement supérieur (ÉGES), la vision néolibérale de l’éducation – promue notamment par l’idéologie de « l’économie du savoir », partagée par la CAQ, les libéraux et le PQ – a fait en sorte que l’ensemble du système est précarisé. Comme nous l’avons dit plus haut, le sous-financement de l’éducation est une politique volontaire visant à transformer des droits (publics) en marchandise et profits (privés). Les personnes chargées de cours sont les premières à ressentir ladite précarisation, en fonction de la pérennisation de contrats à durée déterminée (au-delà de ce qui serait acceptable selon la loi pour tout autre corps de métier). Toutefois, c’est l’ensemble du système d’éducation qui se voit affecté par la précarisation généralisée : des étudiant‑es à la recherche, en passant par le personnel de soutien et même les services de cafétéria ou les coopinc, comme le montre en détail le rapport Partenariats et place de l’entreprise privée en éducation. Il ne suffit donc pas d’injecter de l’argent dans le système, il faut également viser la justice, l’égalité et la démocratie dans la cogestion de notre système d’enseignement.

En lien direct avec la lutte à la précarisation, la rémunération des stages ou, encore mieux, le salaire étudiant, devrait être une priorité pour le gouvernement, puisque cette mesure aiderait à pallier la pénurie de main-d’œuvre (ou de bonnes conditions de travail) en même temps qu’elle répondrait à une profonde injustice de notre système d’éducation. On se souviendra de la grève à l’UQAM cet automne et de la manifestation du 10 novembre 2022 pour la rémunération des stages. Le mouvement remonte pourtant à l’automne 2014, avec la Campagne de revendication et d’actions interuniversitaires des étudiant‑es en éducation en stage (CRAIES) et à l’automne 2018, avec les CUTE (Comités unitaires sur le travail étudiant). Nous appuyons La nécessaire rémunération des stages dans la perspective féministe militant pour la rémunération du travail invisible[1] et contre la surexploitation des emplois typiquement féminins.

Finalement, pour compléter le tour des 12 travaux de Drainville et de Déry, le respect de la liberté académique devrait être une priorité pour les ministères de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Toutefois, plutôt que d’instrumentaliser le principe de la liberté académique pour remettre en question certains processus de discrimination positive afin de favoriser une meilleure représentativité du corps professoral, comme l’a fait la ministre Déry en janvier dernier, le gouvernement devrait protéger toutes les institutions d’enseignement contre ses propres ingérences, contre l’envahissement du privé, auquel il contribue allègrement, et contre les mesures sommaires et discrétionnaires prises par les administrations contre leur personnel enseignant précarisé.

En somme, ces 12 travaux sont sans doute trop héroïques pour de simples ministres catapultés dans leurs fonctions sans expérience et même sans envie, à en croire leur manque d’engagement réciproque. Si le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) n’avait pas empêché le débat pendant la campagne électorale, il aurait été possible de dénoncer le manque de vision de la CAQ en éducation, malgré ses prétentions d’en faire sa « première priorité », et de confronter démocratiquement diverses perspectives. Parions que le prochain budget poursuivra dans la voie des réinvestissements idéologiquement orientés, d’où l’importance de continuer à prendre la place qui nous revient dans le débat public et à nous battre pour le bien d’une éducation délaissée par ses principaux responsables.

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca

 

[1] Non rémunéré mais non moins nécessaire à la reproduction du social.