- FNEEQ - https://fneeq.qc.ca -

Chronique 94 – Monocratie et électoralisme : tendance « éducation » 2021-2022

ÉCOUTER LE BALADO


 

Était-ce un penchant naturel ou un goût venu avec l’usage à force de gouverner par décrets et conférences de presse ? Depuis le début de la pandémie, la CAQ nous habitue à un exercice du pouvoir qui passe principalement par la volonté du chef de l’État. Monocratie également très avide de sondages… L’éducation n’y échappe pas. Cela s’exprime par exemple par le manque de consultation des corps enseignants, informés de leurs conditions « d’enseignement-Covid » dans les médias, toujours à la dernière minute. Trois récents dossiers en éducation témoignent de cette mode caquiste.

Nouveau cours d’ECR : contenus de cours orientés

En octobre 2021, le gouvernement Legault annonce en grande pompe un nouveau cours pour remplacer celui d’Éthique et culture religieuse (ECR)[1] : le cours Culture et citoyenneté québécoise (CCQ). Cette nouvelle mouture propose, entre autres, d’initier les jeunes aux principaux rouages de notre culture québécoise, dont celui de la démocratie, du débat public et de l’éthique. Si personne ne peut être contre la vertu, l’incohérence entre les buts civiques de ce nouveau cours et les manières dont le gouvernement Legault s’ingère dans le système scolaire québécois sont criantes.

En effet, le nouveau cours de CCQ a fait l’objet d’une consultation en apparence ouverte, mais peu approfondie : d’abord en ligne, ouverte aux citoyens et aux citoyennes, du 10 janvier au 21 février 2020, puis trois forums de discussions (les 7, 14 et 21 février 2020, à Trois-Rivières, Québec et Montréal) ciblant

particulièrement le milieu de l’enseignement et, finalement, la nomination, par le gouvernement, d’un comité d’experts qui a déposé son rapport en un an et demi (CSSCV, 2020). Ce comité n’a pas chômé : trois années avaient été nécessaires pour le défunt cours d’ECR (Bordeleau, 2021).

De fait, il est difficile de parler de « consultations », dans la mesure où celles-ci étaient orientées dès le départ et qu’elles ne prennent pas en considération les perspectives critiques, dont celles des syndicats de l’enseignement[2]. Fidèle à sa tendance mode 2021-2022, la CAQ a préféré opter pour du « prêt-à-penser ». Aussi, plusieurs membres des comités d’experts mis en place pour rédiger le programme et en valider le contenu ont démissionné, l’une de ces démissionnaires accusant même le gouvernement d’ingérence politique (Fortier 2021).

Sans perdre son sang-froid, le gouvernement continue d’aller de l’avant et présente « officiellement » le nouveau cours dans une vidéo mettant en scène… des politiciens et des politiciennes de la CAQ! Voilà que dans le cadre d’une sortie publique à saveur électoraliste, le chef trouve soudain avantage à donner de la visibilité à son équipe. On aurait pu s’attendre à ce que son « équipe », dans le cadre de l’annonce d’un nouveau cours, soit constituée d’enseignants et d’enseignantes mais non, nulle trace d’enseignant‑es dans cette vidéo, pas plus que d’élèves. On apprend alors que, pour la suite des choses, les experts qui couchent le programme sur papier doivent signer des contrats de confidentialité (Fortier, 2021). En effet, rien ne doit s’ébruiter, dans l’espace public, de ce cours qui prépare les élèves au débat démocratique et public !

À peine un mois plus tard, M. Roberge, ministre de l’Éducation, signait, avec son homologue français, une lettre ouverte pour La liberté, contre l’obscurantisme (Roberge, 2021) et y défendait le débat public en ces mots :

D’où provient ce malaise grandissant face aux débats et au dialogue, qui sont pourtant au cœur de nos délibérations citoyennes, et donc de notre démocratie ? […] Face à ce constat, il est plus que jamais nécessaire de réfléchir au rôle de l’Éducation en démocratie. Nous avons le devoir de préparer notre jeunesse à l’exercice d’une citoyenneté active, respectueuse et éclairée. Une citoyenneté qui laisse place au débat, aux opinions d’autrui, à la confrontation des idées et à la remise en question de toutes nos croyances.

Or c’est en référence à la « culture du bannissement » qu’il défendait ces principes. Cela dit, ce même ministre Roberge, lors des trois journées de consultations sur le cours de CCQ, avait pourtant banni Daniel Weinstein, professeur à l’Université McGill. Il est vrai que ce dernier avait été l’objet de fausses accusations de la part d’un chroniqueur… (Lagacé, 2021).

Mais ne boudons pas notre plaisir : le nouveau cours de CCQ va rehausser l’ensemble de la vie démocratique de la société québécoise. L’exemple vient de haut : agir sans consulter, ou à peine, selon le « gros bon sens » et bannir des gens sous la foi de chroniqueurs de journaux. Mais si les jeunes ne peuvent pas prendre modèle sur la CAQ de M. Legault pour comprendre ce qu’est la démocratie, ils peuvent se rabattre sur l’existence d’une vraie démocratie scolaire dans leur milieu respectif. Mais y a-t-il plus de démocratie réelle dans nos écoles que dans les consultations du gouvernement Legault ?

Programmes Perspective Québec et Opération main-d’œuvre : financement orienté

Les récentes vagues successives d’annonces de financement de programmes post-secondaires ciblés, accompagnés de généreuses bourses étudiantes, ont également échappé au débat public. Sont ainsi visés des programmes considérés comme « plus payants ou hautement spécialisés » (CÉS, 2021). Les bourses pour la finance, le génie ou l’intelligence artificielle ont émergé d’une rencontre « secrète » entre le premier ministre Legault et certains doyens universitaires en septembre 2021 (Custeau, 2021)[3]. Pour sa part, le programme de bourses Perspective Québec annoncé en novembre 2021 sort d’un chapeau de magicien : aucune consultation publique pour ces bourses qui peuvent influencer le choix de carrière de milliers de personnes.

Lors de la conférence de presse sur l’annonce du programme Perspective Québec, à un journaliste qui « a demandé au premier ministre si ce programme de bourses avait été mis en place à la suite d’une analyse rigoureuse de son efficacité, M. Legault a proposé comme arguments qu’il fallait être créatif et que cela relevait du “gros bon sens” ! » (Bergeron, 2021).

Ces programmes de bourses à saveur électoraliste sont idéologiques et clientélistes. Ils correspondent plus à une vision fantasmée de ce que Legault imagine comme avenir pour un certain « Québec inc. » que de la volonté d’une population qui demande peut-être autre chose. À ce sujet, sans doute pour mieux faire passer la pilule des bourses « à haute valeur spécialisée », il est remarquable que les bourses Perspective Québec, créées dans le but explicite de pallier le déficit de main-d’œuvre en santé et en éducation, laissent une place équivalente, voire prépondérante, aux programmes de génie et autres programmes « spécialisés »[4].

Ces programmes de bourses sont également une entrave à la liberté académique, celle des étudiants et des étudiantes dans ce cas-ci, qui se trouvent limité‑es par ces incitatifs financiers dans leur libre choix d’un programme d’études. Difficile, en effet, pour des étudiant‑es moins nanti‑es, de s’orienter vers un choix de carrière « coup de cœur » quand le portefeuille s’interpose entre désirs profonds et moyens de subsistance, encore plus dans un contexte d’une hausse très marquée du coût de la vie. De plus, à moyen et long termes, quel sera l’impact sur les humanités et les arts ?

Quant à elle, l’Opération main-d’œuvre lancée par le gouvernement Legault l’automne dernier, toujours sans débat public, et dont nous apprenons graduellement les détails, révèle le penchant de ce gouvernement à arrimer l’éducation aux besoins immédiats de l’économie. Ce projet doté d’un budget de 3,9 G$ vise à former 170 000 travailleurs et travailleuses d’ici 5 ans dans des domaines aussi variés que ceux de la santé, de l’éducation, des services de garde, des technologies de l’information, du génie ou de la construction[5]. Il est en droite ligne avec le projet de loi 70 du précédent gouvernement sur l’adéquation formation-emploi dénoncé précédemment par les centrales syndicales et par le comité école et société. Nous rappelions alors que cette approche « désengag[e] les PME de leurs responsabilités financières en matière de formation permanente de la main-d’œuvre […] [et] tend à détourner des fonds publics (issus des taxes et impôts) vers le financement d’activités de formation profitant aux entreprises […] » (Comité école et société, chronique 70, mars 2016).

Cette Opération main-d’œuvre repose particulièrement sur la multiplication de formations de très courte durée, parfois même non créditées. À travers ces démarches, pour ce qui est du collégial, on escamote alors la formation générale qui est ainsi vue de plus en plus comme un obstacle à l’accélération de la diplomation pour remplir les besoins immédiats du marché du travail, y compris dans le secteur public et parapublic.

Bourses de recherche sur la laïcité : recherche orientée

Tout récemment, le gouvernement Legault instaurait le Programme d’appui à la laïcité, initiative visant à développer les connaissances sur la laïcité de l’État par l’entremise de bourses de recherche (Mercure, 2022). Un des objectifs de ce programme est de « [p]romouvoir le modèle québécois défini par la Loi sur la laïcité de l’État », rien de moins. Parmi les critères d’admissibilité, les projets de recherche doivent présenter des « retombées mesurables et positives pour le Québec ». En gros, les chercheurs universitaires sont invités à participer à ce programme et à demander des bourses, pourvu que leurs conclusions suivent les orientations ministérielles. Comment peut-on se targuer de défendre la liberté académique d’un côté et la pourfendre de l’autre ?

En somme, de quoi notre premier ministre a-t-il peur en refusant le débat public sur l’avenir de l’éducation au Québec ? Ne nous leurrons pas : M. Legault est à la tête d’une monocratie et il a pour objectif de mettre le système scolaire au service de l’économie néolibérale et de sa réélection. C’est ce qu’il a fait en 2021 ; c’est sans doute ce qui nous attend en 2022.

C’est à nous de rappeler à M. Legault ce qu’est la démocratie et de réorienter le débat (et les priorités en éducation et en enseignement supérieur) vers le bien commun. La société, contrairement aux partis politiques, ne peut se permettre de vivre uniquement en fonction d’éventuelles élections.

Le comité école et société

 

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca

[1] Voir à ce sujet les Carnets de la FNEEQ, automne 2021, p. 14.

[2] Voir, par exemple, FNEEQ-CSN Mémoire sur la révision du programme d’éthique et culture religieuse

[3] Ces bourses avaient été initialement annoncées dans le cadre du dernier budget provincial. Il semble maintenant que le programme Perspective Québec les ait tout simplement absorbées.

[4] Pour consulter la liste des programmes qui sont admissibles, voir Québec, 2021.

[5] Selon les informations à notre disposition, 110 000 de ces emplois seraient dans les secteurs stratégiques des TI, du génie ou de la construction, tous à prédominance masculine, alors que seulement 60 000 seraient dans les services publics, à prédominance féminine, marquant une fois de plus le sexisme de la position gouvernementale.