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Chronique 57 – Le morcellement des tâches d’enseignement et la création de nouveaux titres d’emploi dans les universités

Au cours des dernières décennies, les divers gouvernements ont choisi d’accorder moins d’importance à l’éducation qu’à des secteurs dits «plus rentables». Ces choix des gouvernements, au nom de la société, ont des effets majeurs sur la gestion (gouvernance) de l’université québécoise, son rôle et ses missions ainsi que l’enseignement que l’on y dispense.

Le morcellement des tâches d’enseignement et la création de nouveaux titres d’emploi dans les universités

Il est clair que l’université québécoise adhère à ces orientations. Pensons aux universités montréalaises qui choisissent d’investir dans l’immobilier et gardons l’œil ouvert sur les projets de l’Université de Montréal pour son futur site d’Outremont. Certains éléments mentionnés dans ses présentations par le directeur général du développement du site Outremont, Monsieur Yves Beauchamp, sont révélateurs: «s’inspirer des meilleures pratiques; stimuler les entreprises; optimisation immobilière», le tout dans le cadre de «six vecteurs: apprendre, chercher, créer/innover, vivre, travailler, divertir».

L’apparition d’une telle sémantique dans le discours sur le développement d’une université découle d’une conception bien particulière de ses missions dans la société.

Apparition de nouveaux titres d’emploi
Dans le contexte de déficit, de compressions budgétaires, de mal financement, mais aussi parce que les institutions universitaires décident de se conformer aux nouveaux modes de gestion publique (importés de l’entreprise privée), l’université veut se garder la latitude et la possibilité de pouvoir tronquer des contrats de son personnel enseignant contractuel, de morceler les tâches d’enseignement, de créer de nouveaux titres d’emploi. Chacune de ces actions a comme conséquence des salaires moindres, une hiérarchisation et une contractualisation des divers emplois reliés à l’enseignement. L’université a une vision de la personne chargée de cours comme «fournisseur de services» dont on attend qu’il ou elle soit disponible rapidement et en tout temps, et éjectable au besoin. L’image qui nous vient est celle d’une machine distributrice: insérez 1,00$ (le moins cher possible), appuyez sur le bouton, utilisez puis jetez.

Au fil des années, divers titres d’emplois ont fait leur apparition dans le milieu des contractuels de l’enseignement universitaire. Étrangement, ces emplois ne font pas partie de la même accréditation syndicale que celle des chargées et chargés de cours et parfois même, ne font partie d’aucune accréditation.

Quand on étudie les rapports financiers des universités, on découvre des rubriques intitulées «personnel enseignant non-régulier». Obtenir le détail de cette rubrique s’avère difficile, voire impossible. On reçoit tout au plus une définition qui se rapproche de celle-ci: catégorie qui comprend notamment les professeurs de clinique, les chargés de clinique et les professeurs invités. Qu’est-ce qui se cache derrière l’adverbe «notamment»¹?

Fractionnement des composantes de l’enseignement
On assiste à un fractionnement important de la tâche d’enseignement au niveau universitaire et à l’apparition de micro tâches hiérarchisées et à rémunération variable. Par exemple, l’évaluation a tendance à ne plus faire partie de la tâche d’enseignement du chargé de cours et elle est de plus en plus confiée à d’autres: les correcteurs ou les auxiliaires. Or, l’évaluation fait partie intégrante du processus d’apprentissage et une rétroaction de qualité est utile aux étudiants dans leur processus d’apprentissage, de leur persévérance. Comment donner cette rétroaction quand on ne corrige pas les travaux ou les examens? Sur quelle conception de l’apprentissage cette division se base-t-elle? L’évaluation fait non seulement partie de l’apprentissage, elle est essentielle : elle aide le professeur à planifier son enseignement, puisqu’elle lui permet de poser un diagnostic des connaissances des étudiants. Elle est aussi un puissant outil pour l’étudiant au plan métacognitif. Comment un enseignant peut-il encadrer un étudiant adéquatement sans ce portrait de ses connaissances? Fait à noter, certaines personnes chargées de cours acceptent de travailler comme correcteurs, à salaire moindre. L’université, plutôt que de dédoubler des cours dont la taille ne cesse d’augmenter, économise ici encore une fois au détriment des travailleurs précaires de l’enseignement universitaire.

Le découpage et la comptabilisation des tâches reliées à l’enseignement relèvent d’une logique qui s’éloigne de l’enseignement et va à l’encontre d’un enseignement de qualité.

Conséquences du fractionnement des tâches : stratification sociale et précarité

Selon Jeffrey Williams, dans son article paru dans The Chronical of Higher Education de décembre 2013 et intitulé The Great Stratification², le milieu universitaire américain voit apparaitre une surspécialisation de son corps professoral qui se traduit en stratification sociale :

«Rather than a horizontal community of scholars, or even a pyramid with reasonable steps of rank, the American university has adopted its own harsh class structure: the mass of the contingent (and other workers) struggling at the bottom, tenure-stream professors in the middle class speaking for the university’s intellectual values and productions, and superstar faculty and administrators in the upper class setting its direction and taking the greatest rewards.»

Les universités, au Québec, fonctionnent-elles aussi selon une organisation pyramidale du travail? La même tendance s’y observe : en haut de la pyramide, les administrateurs et gestionnaires, puis les chercheurs, les professeurs, ensuite les chargé-e-s de cours, les accompagnateurs et coach vocaux, les auxiliaires d’enseignement, correcteurs (etc.) et c’est évidemment au bas de la pyramide que les emplois les moins bien rémunérés et les moins bonnes protections sociales se retrouvent.

Les meilleures pratiques et les tendances lourdes
Les milieux de l’éducation supérieure au Québec ne cessent d’invoquer les «meilleures pratiques», les «tendances lourdes» dans ce domaine. Nous sommes en droit de nous questionner. Les meilleures pratiques selon quels critères: ceux des retombées économiques? Au nom du dieu économie, l’éducation supérieure change inexorablement et ce n’est pas pour le mieux.

Dans ce contexte de mutation de nos universités, de leur mode de gestion et de leur assujettissement au marché, le projet de la FNEEQ de tenir des États généraux sur l’enseignement supérieur est des plus opportuns. D’ailleurs, la conférence d’ouverture aura lieu le 26 mars 2014 à Montréal et le conférencier invité est Nico Hirtt du mouvement belge Appel pour une école démocratique (APED).

Le comité école et société
On peut rejoindre le comité école et société à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca

  1. À la lecture du Rapport financier 2012-2013 de l’Université de Montréal, on peut constater qu’un budget important est consacré à du personnel enseignant non régulier chargés de cours: 31,453 (millions de dollars);
    autre personnel enseignant non régulier: 22,677 (millions de dollars);
    auxiliaires d’enseignement: 7,539 (millions de dollars).
  2. http://chronicle.com/article/The-Great-Stratification/143285/