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Chronique 39 – La réforme de l’éducation revisitée

Le nouveau bulletin scolaire unique révèle certains changements importants dans les enseignements au primaire et au secondaire. Les résultats seront chiffrés, les controversées compétences transversales disparues. Les connaissances font leur apparition, alors que les compétences, toujours présentes, sont moins visibles. Le MELS a-t-il donc choisi de réformer sa réforme sans tambour ni trompette? Ou avance-t-il dans la même direction, avec quelques modifications pour calmer la grogne?

Avancez en arrière!

Le MELS justifie et explique ces changements dans une section de son site Web intitulée «Progression des apprentissages au secondaire». Dans une petite vidéo, très pédagogique et bien en vue, on affirme d’emblée que «les connaissances qu’un jeune acquiert lui permettent de mieux comprendre l’univers dans lequel il évolue». Seulement, ces connaissances, il faut les «élargir, approfondir, organiser», afin, dit-on, de les rendre utiles et durables. Ainsi, les connaissances et les compétences se «renforcent mutuellement».

Ce document revient aussi sur les méthodes d’enseignement qui doivent être adaptées. Parmi celles-ci, on nomme, dans l’ordre: l’enseignement magistral, l’enseignement individualisé, les séries d’exercices, le travail en équipe et les projets. Ces fameux projets, tellement valorisés dans cette réforme, arrivent donc en dernier, alors que les décriés cours magistraux se placent en premier. Certes, il ne s’agit pas d’une hiérarchie, mais il serait difficile de croire que cet ordre relève du hasard.

Les connaissances semblent désormais nettement mieux cernées et une liste est déterminée selon les années scolaires. Un regard sur la section «langue d’enseignement» permet par exemple de constater un retour aux genres littéraires qui sont bien identifiés et que l’on doit aborder sur le plan de la lecture, de l’écriture et de la communication orale. Un tableau de progression des apprentissages fixe des visées à atteindre au fil des ans, surtout sur le plan méthodologique, permettant d’évaluer la réutilisation adéquate d’une connaissance.

Des points de vue divergents
L’examen de ce document laisse pourtant perplexe. L’utilisation nettement prépondérante du mot «connaissance», devant le mot «compétence», laisse entendre que le MELS revient sur l’élément central de la réforme. Celle-ci aurait-elle donc été un échec patent, celui que ses détracteurs avaient annoncé, au point de redresser la barre et d’entreprendre un important virage? Pourtant, l’approche par compétence n’est pas reniée, pas plus qu’on ne retrouve un bilan net et clair des cinq précédentes années de réforme.

La Fédération autonome des enseignants (FAE) a vivement réagi à ces changements. Dans un communiqué émis le 11 avril, les changements sont qualifiés de «cosmétiques». Selon le vice-président Sylvain Malette, «les programmes sont encore formulés en termes de compétences et la place réservée aux connaissances est accessoire et superficielle». Il y aurait dans la nouvelle approche, selon la FAE, un refus d’établir des contenus d’apprentissages communs pour tous les élèves.

Par contre, un groupe d’universitaires en sciences de l’éducation a écrit un manifeste intitulé Pour une école compétente qui déplore les changements faits à la réforme: «au cours des cinq dernières années, la législation a apporté tellement de modifications à la réforme […] qu’elle s’en trouve dénaturée et qu’on la fait s’engager dans une direction opposée à la finalité première». Le manifeste dénonce, entre autres, le net recul des compétences et la façon dont la terminologie de la réforme a été tournée en dérision. Sur un ton plutôt alarmiste, les auteurs s’inquiètent: «L’impact de ces reculs ne se fera pas sentir à court terme, mais, dans vingt ou trente ans.» Opposants et défenseurs de la réforme s’entendent cependant sur un aspect : la nécessité de faire un bilan rigoureux de ces années de réforme.

Augmentation de tâche
Les enseignantes et enseignants du regroupement privé de la FNEEQ subissent les conséquences de cette bataille de la réforme. Depuis son implantation, ils vivent sur un terrain glissant, ne sachant plus trop dans quelle direction on les envoie et quelles nouvelles consignes ils devront suivre. Non seulement la réforme a-t-elle voulu bouleverser leurs pratiques, sans qu’ils ne soient consultés, mais les ajustements récurrents leur demandent à répétition de s’adapter.

Ainsi Caroline Fontaine, enseignante en mathématiques à l’École Saint-Joseph à Saint-Hyacinthe, considère que l’attention portée à la fois aux connaissances et aux compétences entraînera une double évaluation, ce qui risque d’alourdir la tâche. Elle se demande comment pourront être faits ces changements alors que l’on vient tout juste de concevoir du nouveau matériel pédagogique que l’on ne pourra pas transformer du jour au lendemain.

Jean Pouliot, enseignant en physique au Collège de Lévis, s’inquiète lui aussi de la surcharge de travail. Bien qu’on ait réduit les compétences de quatre à trois dans le nouveau bulletin, l’évaluation de chacune de ces compétences équivaut à tripler la tâche. Selon lui, les changements proposés sont surtout du maquillage qui cache l’absence d’une remise en cause sérieuse: la nouvelle approche n’a jamais fonctionné parce qu’une compétence ne se pondère pas et que la réforme se base sur des principes qui ne sont pas applicables dans l’enseignement des sciences.

Les enseignantes et enseignants ne cessent de subir les conséquences de la cacophonie qui se reproduit depuis que la réforme a été implantée. Celle-ci a été imposée trop rapidement, en laissant en plan les enseignantes et les enseignants mal préparés, sans matériel pédagogique adéquat. Au lieu d’être rassembleuse, elle mettait de l’avant des principes qui soulevaient de vives controverses.

Elle a été corrigée par la suite sans aucune excuse de la part du MELS pour ses errements, ses erreurs de jugement et pour l’instabilité dans laquelle elle a plongé les enseignantes et les enseignants. Elle poursuit son cheminement chaotique, en avançant et en reculant à la fois. Tout cela avec très peu de consultations des enseignantes et enseignants, comme si ces derniers ne se retrouvaient pas à tous les jours devant les groupes de jeunes, à continuer bravement à transmettre leur savoir, en dépit des hésitations et des turbulences dont ils ne sont en rien responsables.

Le comité école et société
On peut rejoindre le comité école et société à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca.