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Chronique 38 – Education supérieure – Le désastre américain

Éducation supérieure

Le plus gros syndicat américain d’enseignantes et d’enseignants, la National Education Association (NEA), compte plus de 3 millions de membres, dont 200 000 environ œuvrent en enseignement supérieur. Pour prendre en charge les enjeux qui les concernent plus spécifiquement, la NEA a créé une Commission de l’enseignement supérieur, qui se réunit à chaque année pour faire le point sur la situation. Or, le portrait d’ensemble qui se dégage de la rencontre de cette année, qui avait lieu à Boston à la fin de mars, est atterrant.

Le désastre américain

Faire beaucoup plus avec… beaucoup moins!
Dans un contexte où les investissements publics, particulièrement en éducation, subissent des coupes drastiques suite à la crise qui n’en finit plus de finir, l’idée se répand dans les sphères gouvernementales que les États-Unis ont un retard important à combler en enseignement supérieur.

Dans un livre intitulé America’s perfect storm (2007), quatre auteurs américains (Irwin Kirsch, Henry Braun, Kentaro Yamamoto, & Andrew Sum) lançaient un cri d’alarme – qui n’était pas sans rappeler celui de Martin Gardner, en 1985, dans A nation at risk: le système d’éducation américain est dysfonctionnel, ce qui grève lourdement l’avenir du pays.

Joint aux besoins de main d’œuvre qualifiée, qui se font sentir partout dans le pays, un sentiment d’urgence s’est développé, mais dans un contexte économique tel, que le problème semble insoluble. Le gouvernement fédéral et ceux des États – aux prises avec des difficultés budgétaires colossales et complètement obnubilés par une incapacité politique à augmenter les revenus gouvernementaux par une fiscalité différente – doivent réduire la quadrature du cercle: on demande à l’éducation supérieure de faire beaucoup plus avec… beaucoup moins!

Le résultat est pathétique. Les sorciers de tout acabit s’en mêlent et, il fallait s’y attendre, la frénésie de la privatisation s’installe en enseignement supérieur dans tous les États. Qu’attendre d’autre aux États-Unis, comme solution à un problème majeur, que le recours au libre marché?

All you need is Wikipedia!
On assiste donc, dans l’enseignement supérieur, à un scénario catastrophe qui frappe de plus en plus d’États. Le financement public de ce qui reste comme universités d’État est réduit de manière substantielle. La California State University est financée actuellement à 17% seulement par les deniers publics! Partout, les universités et les collèges sont incités à hausser les droits de scolarité, à faire la course aux étudiants étrangers et à développer la formation à distance.

Le promoteur d’un projet de standardisation de l’enseignement supérieur, George L. Mahaffy, insiste sur le fait que le modèle d’enseignement actuel, dans les universités, doit être revu de fond en comble. «On met beaucoup trop d’argent et d’énergie dans la transmission des connaissances – dit-il en substance. On pourrait faire d’énormes économies en utilisant partout les mêmes canaux de transmission, sur des contenus identiques.»

Dans cette foulée, le milliardaire Bill Gates, par un effort philanthropique sans précédent, vient à la rescousse du système éducatif en mettant de l’avant le recours aux nouvelles technologies. Le savoir est là, à portée de main: pourquoi dépenser autant d’argent à le diffuser? All you need is Wikipedia!

Une marchandisation complétée de l’enseignement supérieur
L’avenir, on le comprend, appartient à l’autofinancement de l’éducation supérieure.

À certains endroits, dans un effort utilitariste, les programmes qui rapportent peu (sciences sociales, arts) sont carrément coupés. Des facultés de renom (on pense chez nous à l’exemple du MBA de McGill) sont fières de renoncer ostensiblement au financement de l’État, en autofinançant les programmes au moyen de droits de scolarité élevés et en abaissant les coûts par le biais des cours à distance. À Berkeley, les effectifs étudiants locaux ont fondu de 13 000 à 9400, la différence étant comblée par des étudiants étrangers qui rapportent plus et dont on sous-traite le recrutement à des agences privées spécialisées.

Plusieurs commencent à pointer du doigt le fait que la qualité des programmes d’études connaît de sérieuses baisses au passage. Comment pourrait-il en être autrement, quand le profit devient le paradigme d’organisation de l’enseignement supérieur?

Y a-t-il de l’espoir?
Il va sans dire que les syndicats d’enseignantes et d’enseignants universitaires, là où ils existent, sont perçus comme corporatistes et accusés de nuire à l’évolution des choses. Or, la situation à cet égard est alarmante. Le syndicalisme enseignant, chez nos voisins du Sud, n’est déjà pas culturellement porté à se préoccuper beaucoup de l’enseignement supérieur. La force des syndicats dans les universités est déjà privée de l’apport des chargé-es de cours qui, à plusieurs endroits, ne peuvent se syndiquer. En plus, il faut compter avec les attaques frontales d’une droite riche et organisée, qui n’hésite pas à légiférer pour retirer aux syndicats le droit fondamental de négocier, témoin cette bataille féroce qui a lieu dans l’État du Wisconsin et qui s’annonce dans d’autres États, notamment en Floride et en Ohio.

Les délégués à la conférence de la Commission de l’enseignement supérieur ont multiplié les exemples de dégradation de l’enseignement supérieur. Mais l’ampleur des attaques n’est pas sans provoquer une réaction de mobilisation relativement nouvelle. Il est assez remarquable, de la bouche de nos collègues américains, d’entendre ouvertement dénoncer «l’agenda néolibéral»!

Il est trop tôt pour savoir ce qu’il adviendra du mouvement de résistance qui se dessine. Certains délégués ont déploré la trop grande proximité de leur organisation syndicale avec le pouvoir législatif et certains vont jusqu’à évoquer l’idée de développer une mobilisation volontaire, issue de la base, plutôt que d’attendre une implication directe et concrète de leur organisation.

Mais la volonté d’agir est présente, encouragée par la magnifique résistance populaire qui s’est mise en place au Wisconsin, bien que cette dernière déborde largement la stricte question de l’enseignement supérieur.

La FNEEQ essaie d’inviter, pour le prochain Conseil fédéral, un ou une invitée qui pourra, au bénéfice des délégué-es, dresser un portrait plus complet de cette mutation profonde qui affecte l’enseignement supérieur aux États-Unis.

Cette évolution des choses devrait nous inquiéter au Québec. Manifestement, les pressions existent pour engager notre enseignement supérieur dans une direction similaire de marchandisation. La bataille engagée autour des droits de scolarité et l’espoir de voir s’organiser des États généraux sur l’avenir des universités québécoises participent à un effort nécessaire pour empêcher ce type de dérive, qu’il importe de placer tout de suite sur le plan idéologique.

Le comité école et société
On peut rejoindre le comité école et société à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca