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Chronique 21 – Forum social mondial 2009: crise économique et éducation

Un autre monde est nécessaire!

Claude Vaillancourt est membre du Comité école et société de la FNEEQ et secrétaire général de l’association ATTAC-Québec. Avec l’appui des deux organisations, il a participé au dernier Forum social mondial (FSM) qui s’est déroulé à Belem en Amazonie au Brésil, du 27 janvier au 1er février. Il nous livre ici un compte rendu qui s’intéresse en particulier aux discussions portant sur la crise économique et sur l’éducation.
 
Belem – Comme pour les forums sociaux précédents, le parcours d’une participante ou d’un participant à Belem n’est pas des plus aisés. De plus, les activités se déroulent sur deux campus universitaires relativement éloignés l’un de l’autre. Il faut donc se dépêtrer parmi la surabondance d’ateliers offerts, des horaires changeants, des conférences annulées et des invités parfois absents! N’empêche, même s’il faut subir au passage le climat tropical de Belem avec son écrasante humidité et ses pluies abondantes, l’atmosphère reste excellente et les réflexions toujours aussi riches. Devant l’urgence de la situation et la nécessaire mobilisation face à la crise, se créent de nouvelles solidarités et se réaffirme une ferme volonté de travailler ensemble.
 
Peu d’ateliers ont porté sur l’éducation en particulier. Le sujet est abordé plus largement, comme un élément parmi d’autres dans l’analyse de problématiques générales telles le bien public et le bien commun, les services publics et surtout, les politiques à adopter face à la crise économique que nous traversons. Cette crise demeure sans aucun doute la principale préoccupation de ce forum.
 

La crise, encore la crise
Qualifiée de «systémique», la crise remet en question l’essence même du capitalisme et donne une importante occasion, par l’ampleur des drames qu’elle provoque, de repenser en profondeur le système économique qui s’est déployé au cours des trente dernières années.

Les choix politiques qui résulteront de cette crise toucheront nécessairement le secteur de l’éducation. Celui-ci, comme les autres services publics, pourrait faire les frais d’une crise mal gérée, ou profiter au contraire d’une restructuration majeure de l’économie. De nombreuses organisations, qui se sont mobilisées dans le passé en faveur des services publics, sentent aujourd’hui le besoin de faire le point sur leur stratégie.

Il est difficile présentement de prévoir les intentions des gouvernements. Poursuivront-ils leur politique de déréglementation et d’ouverture des marchés, au risque d’aggraver la situation? Ou par un pragmatisme élémentaire, seront-ils forcés d’adopter des mesures qu’ils rejetaient auparavant?

Tout laisse cependant croire que les gigantesques mesures d’aide aux banques ne vont pas dans la bonne direction. Elles pourront provoquer un endettement majeur des États, qui les lieront aux institutions mêmes qui ont créé le chaos. Si bien qu’on pourrait assister à ce scénario ironique d’une crise majeure du secteur financier au privé provoquant à terme la réduction des budgets consacrés aux services publics, dont l’éducation!

Les syndicats et le mouvement social doivent donc s’unir et proposer des alternatives. Ces dernières ne manquent pas et ont été formulées – quoique souvent de façon désordonnée – depuis la naissance des forums sociaux. Le défi consiste à les présenter de manière accessible et convaincante, pour forcer les dirigeants politiques à revoir les décisions nuisibles qu’ils semblent vouloir prendre.

Plusieurs de ces alternatives ciblent des aspects précis de l’économie: fiscalité progressive et internationale, réglementation des marchés financiers, contrôle public des banques, etc. En ce qui concerne l’éducation, l’objectif serait de la faire reconnaître comme un bien public essentiel et de la retirer de la sphère marchande. Ce projet n’est certes pas nouveau, mais de nombreux observateurs croient que l’échec de l’idéologie du tout au marché rend plus opportune que jamais la défense de ces principes fondamentaux.

Éducation: libération ou contrôle?
Un séminaire sur l’éducation, organisé par Alternatives, a rassemblé une remarquable diversité d’enseignantes et d’enseignants, en provenance de quatre continents (seule l’Océanie n’avait pas de représentantes ou de représentants), avec des délégations relativement équivalentes. De très nombreux aspects du métier ont été abordés, marquant à quel point cette même profession peut être exercée de façon différente d’un pays à l’autre.

Très rapidement toutefois, une question centrale a été formulée: l’école actuelle est-elle un facteur de changements sociaux ou un instrument de contrôle social? Dans notre société québécoise, avec l’omniprésence des médias appartenant à une poignée d’entreprises, il est souvent aisé de considérer – ou d’espérer! – l’école comme un lieu de résistance et d’apprentissage de la pensée critique. Mais dans de nombreux pays – ceux du Sud, surtout -, l’école devient un lieu d’endoctrinement et les enseignantes et les enseignants servent de relais à la propagande officielle.

Le débat s’est animé lorsque des enseignants palestiniens ont décrit leur condition. La censure est permanente dans leurs écoles. Les professeurs jugés trop «patriotiques» sont congédiés. Les manuels scolaires doivent être conçus avec Israël et les États-Unis, dressant des portraits stéréotypés des Palestiniens et des Israéliens, les premiers étant menteurs et idiots, les seconds forts et intelligents. Ces propos ont été clairement confirmés par deux enseignants juifs israéliens présents dans la salle.

De nombreux autres problèmes ont été soulevés. En Afrique subsaharienne, l’utilisation d’auxiliaires d’enseignement, mal payés et non qualifiés, détériore grandement la qualité de l’éducation. Dans certains pays, comme l’Inde, l’école parvient difficilement à s’adapter à la diversité des langues et des religions, et n’arrive pas à s’établir comme inclusive. Au Brésil, dans certaines régions, notamment l’Amazonie, les écoles publiques sont si pauvres qu’elles ne parviennent pas à remplir leur rôle, ce qui accentue de façon marquée les écarts entre les riches, qui profitent de l’école privée, et les pauvres. Plusieurs se sont inquiétés de la façon dont les manuels scolaires réécrivent l’histoire et cachent des vérités essentielles. Et partout, les enseignantes et les enseignants subissent une forme de perte de contrôle du savoir, tant Internet et la télévision occupent désormais un rôle central dans la formation des élèves.

Un Forum social de l’éducation en Palestine?
Un forum social de l’éducation en Palestine? Voilà l’une des surprenantes propositions amenées lors du FSM à Belem. D’après Michel Lambert, responsable du projet pour Alternatives, un tel forum semble en mesure de se réaliser! De fructueuses rencontres entre une délégation palestinienne et le groupe organisateur du FSM ont permis de poser des jalons afin que l’événement ait bel et bien lieu.

Inutile de dire que ce forum aurait un impact considérable. Non seulement il contribuerait à sensibiliser davantage les populations aux difficultés vécues par les enseignantes et les enseignants palestiniens, mais il permettrait aussi d’aborder plus largement la situation palestinienne, l’éducation étant au cœur de l’organisation d’une société.

Rappelons que la FNEEQ s’était associée à Alternatives et à l’ONG palestinienne «Teacher Creativity Center» pour tenir une conférence sur les enjeux de la mondialisation, de l’éducation et du changement social en octobre 2004. L’appui de la FNEEQ à l’action démocratique palestinienne s’est ainsi ancré de manière plus forte encore. La présence de ressortissants étrangers sur le sol palestinien demeure un important geste de solidarité, surtout depuis les événements récents à Gaza. Certainement que l’appui d’une instance comme le FSM offrira une chance incroyable de tenir un événement majeur de solidarité, mais aussi un appui concret à toute approche véritable pour la paix dans cette région du monde.

Une volonté pragmatique de formuler des alternatives
Le FSM de Belem, comme les précédents, a donc été riche en débats de toutes sortes. Mais outre ces inévitables et stimulantes discussions, est apparue de façon systématique la volonté d’organiser de façon pragmatique la résistance et de formuler les alternatives. Dans la foulée de ce mouvement, le milieu de l’éducation, forcé ces dernières années à se défendre contre des agressions constantes visant une marchandisation progressive du secteur, pourra exposer publiquement et avec conviction les valeurs qu’il sera nécessaire de développer. Au FSM de Belem, on ne dit plus «un autre monde est possible», mais «un autre monde est nécessaire».